26/02/2020
Quelques observations sur la réforme des retraites
François ECALLE
PDF à lire et imprimer
Ce commentaire d’actualité a seulement pour ambition d’éclairer le débat public sur quelques points particuliers, et non sur l’ensemble, du projet de loi de réforme des retraites. La question de la prise en compte de la pénibilité du travail est d’ailleurs traitée dans un autre billet.
La fragmentation du système de retraite actuel entraîne des coûts de gestion inutiles, constitue un obstacle à la mobilité professionnelle et un facteur d’injustice sociale dans la mesure où un même montant de cotisations ne donne pas droit à la même pension selon l’activité professionnelle. Il est souhaitable de créer un régime universel par répartition dans lequel les cotisations payées tout au long de la vie professionnelle seront converties en points convertibles en pension, avec les mêmes valeurs d’achat et de service pour tous, des points gratuits financés par l’impôt devant néanmoins être attribués par solidarité à certaines personnes.
Dans un régime par répartition, par annuités ou par points, la hausse du taux de dépendance démographique (rapport entre les nombres de retraités et de cotisants) doit être compensée par une baisse équivalente du taux de remplacement moyen (rapport de la pension moyenne au revenu moyen d’activité) pour assurer l’équilibre financier sans hausse du taux de cotisation. Avec les règles actuelles et une croissance de 1,3 % par an de la productivité, la hausse du taux de dépendance sera à peu près compensée à long terme par la baisse du taux de remplacement moyen qui résultera de trois facteurs : l’indexation des pensions sur l’inflation ; l’indexation des salaires retenus pour calculer la pension sur l’inflation ; la hausse de 42 à 43 ans de la durée de cotisation requise pour avoir le taux plein. Dans le système universel, le premier facteur jouera de la même façon, l’indexation de la valeur de service du point sur le revenu moyen d’activité contribuera à stabiliser le taux de remplacement moyen alors que le recul progressif de « l’âge pivot » le réduira.
Selon l’étude d’impact et avec une croissance de 1,3 % par an de la productivité, les dépenses de retraite devraient rester à peu près les mêmes qu’avant réforme, avec un taux de remplacement moyen un peu plus élevé, donc une pension moyenne plus importante, et un taux de dépendance démographique un peu plus faible du fait d’un âge de départ un peu plus élevé. La valeur de service du point et l’âge pivot devront toutefois être ajustés pour tenir compte de la situation économique et démographique réelle. La prévisibilité des retraites ne sera pas pour autant plus faible que dans le système actuel.
Il est souhaitable d’inciter les Français à partir plus tard en retraite. Le recul de l’âge de départ n’a pas d’effet significatif à long terme sur le chômage et son indemnisation et il réduit le déficit structurel de l’ensemble des administrations publiques. Dans le futur système universel, l’ajout d’un bonus à la valeur de service du point, dépendant de l’écart entre l’âge effectif de départ et 62 ans, pourrait avoir le même effet que l’âge pivot en cristallisant moins les oppositions. A plus court terme, dans le système actuel, il suffit de modifier un paramètre tel que la durée de cotisation requise pour avoir le taux plein.
La multiplicité des régimes et la complexité de leurs règles sont telles qu’il est très difficile d’identifier les gagnants et les perdants de cette réforme mais il y en aura. La période de transition doit donc être très longue et une « clause du grand-père » généralisée est sans doute la meilleure solution, les nouvelles générations n’ayant pas de droits acquis à perdre. Mais le Gouvernement s’oriente vers des transitions différenciées selon les professions qui pourraient rendre le système encore plus complexe et inéquitable pendant très longtemps.
A)La situation actuelle et les objectifs à long terme de la réforme
Le projet du Gouvernement repose sur une analyse correcte des défauts du système actuel de retraite, avec ses 42 régimes de base et complémentaires, et les grands principes de la réforme sont globalement pertinents (cf. note sur ce site).
En raison de la rapidité de diffusion des nouvelles technologies et des restructurations nécessaires ainsi que des aspirations des nouvelles générations à des parcours professionnels plus diversifiés, il est en effet souhaitable de favoriser les transitions professionnelles d’un secteur et d’un statut à l’autre. Or la segmentation des régimes de retraite fait obstacle à ces transitions. Même si les droits à pension acquis successivement dans les différents régimes au cours de la vie active s’additionnent pour l’essentiel, le fait qu’ils soient calculés différemment et gérés par des organismes différents constitue un obstacle à la connaissance et à l’anticipation de ces droits et donc au changement de statut.
Les règles de calcul des cotisations et des pensions sont généralement différentes d’un régime à l’autre et le même montant de cotisations ne donne pas droit à la même pension, ce qui est un facteur d’injustice. En outre, bien souvent, ces règles sont complexes et le lien entre cotisations et pensions est très distendu, à la fois du fait d’avantages « non contributifs » (ne reposant pas sur des cotisations) spécifiques à chaque régime et du financement de la plupart des régimes par des ressources pour partie autres que les cotisations sociales (des impôts pour l’essentiel).
En conséquence, les justifications des différences entre régimes sont peu convaincantes et l’importance des avantages indus dont pourraient bénéficier certaines catégories sociales donne lieu à des polémiques récurrentes. Les « régimes spéciaux », notamment ceux des fonctionnaires, sont au cœur de débats permanents alors que leur degré relatif de générosité est parfois difficile à mesurer en pratique.
Si les coûts de gestion des régimes de retraite sont mal connus, des rapports de la Cour des comptes montrent que la fusion de certains d’entre eux permettrait de dégager des économies significatives.
Dans le projet du Gouvernement, les 42 régimes de retraite actuels seront remplacés à terme par un système universel en répartition par points. Tous les revenus d’activité seront soumis à des cotisations, à un taux unique sur des assiettes harmonisées (donc primes incluses pour les fonctionnaires), et ces cotisations seront converties en points avec, chaque année, la même valeur d’acquisition du point pour tous. Les points accumulés au cours de la vie active seront convertis en une pension mensuelle au moment de la retraite en leur appliquant la valeur de service du point en vigueur à ce moment. Sauf décision contraire du Parlement, les valeurs d’acquisition et de service du point appliquées chaque année seront indexées sur le revenu moyen d’activité[1]. L’âge minimal de départ est maintenu à 62 ans, mais la valeur de service du point sera minorée par une décote en cas de départ avant un âge « pivot » ou « d’équilibre ». Une fois liquidée, la pension sera indexée sur l’inflation.
Des points gratuits, financés par l’impôt à travers un fonds de solidarité vieillesse universel, seront attribués à ceux qui ne peuvent pas travailler pour cause de chômage, maladie, maternité… Ce fonds financera également une retraite minimale portée à 85 % du SMIC net, une majoration des pensions de 5 % par enfant dès le premier et des pensions de réversion dont le calcul aura été harmonisé ainsi que des dispositifs de départ anticipé (carrières longues…).
B)L’évolution des pensions
Dans un régime de retraite par répartition, qu’il soit par points ou par annuités, les recettes perçues chaque année, ou plutôt en moyenne sur un cycle économique, doivent être égales au total des pensions versées. Les recettes sont égales au produit du nombre de cotisants par le revenu moyen d’activité et par le taux de cotisation. La masse des pensions est égale au produit du nombre de retraités par la pension moyenne. Dans ces conditions l’équilibre financier d’un régime par répartition impose de respecter l’égalité suivante où le taux de dépendance démographique est le rapport entre les nombres de retraités et de cotisants et où le taux de remplacement moyen est le rapport entre la pension moyenne et le revenu moyen d’activité :
La condition d’équilibre d’un régime de retraite par répartition
Selon les rapports du conseil d’orientation des retraites, le taux de dépendance démographique augmentera de 35 % à l’horizon de 2070 à législation constante. Or il n’est pas souhaitable d’augmenter le taux des cotisations parce qu’il est déjà particulièrement élevé au regard de ceux des autres pays et parce que les cotisations sociales réduisent la compétitivité des entreprises ou le pouvoir d’achat des actifs et pénalisent l’emploi. Si aucune mesure n’est prise pour reculer l’âge effectif de départ en retraite, il faut donc diminuer le taux de remplacement de 35 %.
C’est à peu près la baisse qui résultera de la législation actuelle à l’horizon de 2070, avec une croissance de la productivité du travail et du revenu moyen d’activité[2] de 1,3 % par an, sous l’effet des trois facteurs suivants : l’indexation des pensions, une fois liquidées, sur l’inflation ; l’indexation des salaires pris en compte pour calculer la moyenne des 25 meilleures années sur l’inflation ; la hausse de 42 à 43 ans de la durée de cotisation requise pour obtenir le taux plein (réforme dite « Touraine »). Ces règles d’indexation conduisent en effet à un taux de croissance de la pension moyenne inférieure à celui du revenu d’activité moyen, l’écart entre ces deux taux étant d’autant plus fort que la productivité et le PIB augmentent vite. Cette baisse du taux de remplacement ne signifie pas que les pensions diminueront en euros, courants ou constants, mais que leur niveau relatif baissera par rapport aux revenus d’activité.
Dans presque tous les scénarios du COR, la baisse du taux de remplacement est un peu plus forte que la hausse du taux de dépendance, ce qui entraîne une légère diminution du poids des retraites en pourcentage du PIB et un excédent financier en 2070.
La condition d’équilibre du futur régime par points sera la même : si l’âge effectif de départ en retraite et le taux de cotisation ne changent pas, la hausse du taux de dépendance doit être compensée par une baisse équivalente du taux de remplacement. L’indexation des pensions liquidées sur l’inflation contribuera à la baisse du taux de remplacement comme dans le système actuel. En revanche l’indexation de la valeur de service du point sur le revenu moyen d’activité sera plus favorable aux retraités que l’indexation des salaires portés au compte sur l’inflation dans le système actuel, ce qui contribuera à maintenir le taux de remplacement au même niveau.
Un autre paramètre fera toutefois baisser le taux de remplacement moyen : le recul progressif de l’âge « pivot » au-delà duquel la valeur de service du point sera appliquée sans décote.
L’étude d’impact montre que, dans ces conditions et avec une croissance de la productivité du travail de 1,3 % par an, le poids des retraites en pourcentage du PIB sera chaque année à peu près le même que dans les projections du COR[3].
Si la masse des retraites est ainsi à peu près identique avant et après réforme, le ratio de dépendance est un peu plus faible après réforme et le taux de remplacement moyen un peu plus élevé. La baisse du ratio de dépendance proviendrait d’un recul plus important de l’âge effectif de départ après réforme, le mécanisme d’âge pivot étant supposé plus incitatif que les règles actuelles. Cela permet d’afficher une pension moyenne plus élevée après réforme et donc plus de cas-type gagnants.
Quoi qu’il en soit, ce ne sont que des prévisions et la réalité sera différente. La valeur du point et l’âge pivot devront être adaptés en fonction de la situation économique et de l’équilibre financier effectifs du système au fil du temps. Les règles d’indexation prévues dans la loi seront éventuellement modifiées par une nouvelle loi, dans un sens favorable ou défavorable aux nouveaux retraités.
Cela ne signifie pas que les retraites seront moins prévisibles qu’aujourd’hui. Actuellement, la valeur du point de l’Agirc-Arrco est fixée par les partenaires sociaux en fonction de la situation financière du régime. Si le code de la sécurité sociale prévoit une indexation des pensions liquidées du régime général sur l’inflation, le Parlement peut toujours décider une désindexation temporaire, ce qu’il a fait pour 2019 et 2020 (sauf pour les retraités modestes). Plus généralement, ceux qui sont entrés dans la vie active au cours de ces 30 dernières années ne pouvaient pas anticiper toutes les réformes qui ont eu lieu et qui ont fortement modifié les modalités de calcul de leur retraite.
Les modifications des paramètres devraient même être moins importantes que dans le système actuel car l’indexation de la valeur de service du point sur le revenu moyen d’activité rendra l’équilibre financier du régime universel moins dépendant de la croissance en volume du PIB que l’indexation sur l’inflation des salaires retenus pour en faire la moyenne sur 25 ans dans le système actuel.
Il est enfin peu probable qu’une baisse de la valeur du point en euros soit nécessaire pour assurer l’équilibre financier du système et la garantie de non-diminution du point prévue dans le projet de loi est donc raisonnablement solide.
C)L’âge pivot et l’équilibre financier du système de retraite
Un relèvement de l’âge effectif de départ en retraite permet d’augmenter l’emploi et le PIB potentiel. En effet, l’augmentation de la population active n’a pas d’incidence sur le taux de chômage à long terme mais a un impact favorable sur l’emploi et la production (voir note). En conséquence, le nombre de cotisants aux régimes de retraite est plus élevé, le nombre de pensionnés est plus faible et la hausse tendancielle du taux de dépendance de ces régimes, due au vieillissement de la population, est freinée, ce qui améliore leur situation financière. L’augmentation de la population active n’augmente le chômage, et donc les dépenses d’indemnisation, qu’à court terme. Le relèvement de l’âge de départ en retraite constitue en fait un bon moyen de réduire le déficit public structurel.
Il est donc souhaitable d’inciter les Français à partir plus tard en retraite, mais les instruments utilisables à cette fin ne sont pas les mêmes dans des régimes par points et par annuités.
Dans un régime par points, les actifs sont libres de partir en retraite quand ils le souhaitent, en fonction notamment du nombre de points déjà accumulés. Il n’existe pas de taux plein ni d’âge du taux plein. Il n’y a pas d’âge minimal de la retraite, sauf pour obtenir la pension minimale si elle existe. Les actifs peuvent être incités à partir plus tard à la retraite en n’appliquant pas complètement la formule d’indexation de la valeur de service du point.
Un effet incitatif plus important est nécessaire mais il peut être obtenu en faisant dépendre la valeur de service du point de l’âge de départ. Par exemple, cette valeur pourrait être de 50 centimes pour une liquidation à 62 ans, de 52 centimes pour une liquidation à 63 ans…Un tel barème est techniquement équivalent à un dispositif d’âge pivot au-delà de 62 ans avec décote et surcote mais évite de polariser l’attention sur cet âge pivot et sur la décote appliquée entre 62 ans (« l’âge de la retraite » dans le langage courant) et cet âge pivot.
Avec un tel barème, il n’y a qu’un « bonus » en cas de départ après « l’âge de la retraite », plus facilement acceptable qu’une décote. Le barème de ce bonus en fonction de l’âge de départ devrait néanmoins pouvoir être modifié chaque année pour tenir compte de l’évolution du ratio de dépendance démographique du système de retraite et éventuellement inciter à partir un peu plus tard. Comme dans le dispositif prévu par le Gouvernement, la formule d’indexation de la valeur du service du point devrait également pouvoir être transitoirement modifiée si l’équilibre financier n’est pas assuré.
Si la valeur de service du point était ainsi modulée en fonction de l’âge de départ, il ne serait pas nécessaire d’introduire un âge pivot.
Dans le système actuel par annuités, dont les règles de calcul des pensions s’appliqueront encore longtemps, les Français peuvent être incités à liquider leur pension plus tard sans créer un âge pivot en relevant l’âge minimal de la retraite, en augmentant la durée de cotisation requise pour obtenir le taux plein ou en modifiant les pourcentages de décote et surcote appliquées si la durée effective de cotisation diffère de cette durée requise.
D)La transition vers le système universel
La pension moyenne ne devrait être que légèrement plus élevée après réforme. Il y aura donc probablement beaucoup de perdants et de gagnants et, comme la situation de départ est caractérisée par une multiplicité de régimes et de règles complexes et différentes, il est difficile de les identifier. Dans ces conditions, une grande majorité de la population peut considérer, à tort ou à raison, qu’elle sera perdante et s’opposer à la réforme.
Il est donc nécessaire de prévoir une très longue période de transition et l’application systématique des nouvelles règles seulement à ceux qui entreront sur le marché du travail à partir d’une certaine date (la « clause du grand-père ») est probablement la meilleure solution. En effet, ceux qui ne sont pas encore sur le marché du travail n’ont en principe pas de droits acquis à défendre. C’est l’option qui a été retenue lorsque les fonctionnaires ont été remplacés par des salariés de droit privé chez France Télécom.
Il faudrait certes expliquer alors pourquoi les règles changent entre deux générations successives mais il existe des exemples de telles mesures (une génération a fait son service militaire et pas la suivante) et la solution d’une transition moins longue adoptée par le Gouvernement n’est pas plus satisfaisante.
La transition sera en effet différente selon les règles (âge minimal de départ, taux de cotisation…) et selon les professions, ce qui va complexifier le système pendant longtemps et accroître le sentiment d’injustice si la longueur de la transition et les compensations salariales paraissent surtout résulter de rapports de force.
En outre, pour faciliter cette transition, le Gouvernement a été conduit à retenir des solutions techniques plus favorables aux agents pour liquider les droits acquis au titre des règles actuelles. Pour les fonctionnaires, ces droits seront ainsi calculés sur la base de leur dernier salaire avant leur départ en retraite (clause dite italienne) et non sur leur salaire au début de la réforme comme il était envisagé initialemen
[1] Moyenne pondérée des revenus des salariés, des fonctionnaires et des indépendants. Si cet indicateur n’est pas publié par l’Insee, il est facile à calculer et il a un rôle central dans les projections à long terme présentées dans les rapports du conseil d’orientation des retraites (cf. ci-dessous).
[2] Dans toutes les projections du COR, le revenu moyen d’activité augmente comme la productivité du travail.
[3] En fait, l’étude d’impact a modifié la projection du COR pour intégrer une poursuite de la hausse de la durée de cotisation requise pour avoir le taux plein au-delà de la « réforme Touraine » pour tenir compte de l’allongement de l’espérance de vie. L’enjeu est limité à une baisse de 0,2 point du poids des retraites dans le PIB en 2070.