22/05/2017
Qui est responsable du déficit public ?
François ECALLE
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Le déficit public de la France de 2016 (3,4 % du PIB) résulte des fluctuations de l’activité économique et des mesures budgétaires mises en œuvre, non seulement en 2016 mais aussi toutes les années précédentes. La contribution des mesures budgétaires prises par chaque majorité parlementaire, depuis 1989, à la formation du déficit public de 2016 est estimée en mesurant « l’effort structurel », positif ou négatif, réalisé pendant chacune des législatures qui se sont succédées.
Les mesures budgétaires prises depuis 1989 ont accru au total le déficit de 1,8 point de PIB. L’effort structurel n’a été positif (favorable à la réduction du déficit) que pendant les périodes 1993-1997 (à hauteur de 2,2 points de PIB) et 2012-2016 (2,7 points de PIB). Il a été fortement négatif pendant les années 1989-1993 (- 2,2 points de PIB) et 1997-2002 (-2,3 points), moins fortement dans les périodes 2002-2007 (- 0,6 point de PIB) et 2007-2012 (- 1,7 point de PIB).
L’effort structurel est la somme des efforts relatifs aux dépenses publiques (ralentissement des dépenses) et aux prélèvements obligatoires (hausse des prélèvements). Depuis 1989, l’effort sur les dépenses a été très négatif (-5,6 points de PIB si on ajoute les crédits d’impôt aux dépenses et – 4,2 points sinon), alors que l’effort sur les prélèvements a été positif (+ 3,7 points de PIB si on n’en déduit pas les crédits d’impôt et + 2,3 points si on les en déduit). La progression des dépenses a donc été trop forte et les hausses, pourtant importantes, des impôts et cotisations sociales n’ont pas suffi pour la compenser.
L’effort de maîtrise des dépenses n’a été positif, légèrement, que dans la période 2012-2016. Il a été quasiment nul dans les années 1993-1997 et 1997-2002. Il a été fortement négatif sur les périodes 1989-1993 et 2007-2012, un peu moins sur 2002-2007.
Les périodes de hausse et de baisse des prélèvements obligatoires ont alterné, avec notamment deux législatures marquées par une forte augmentation (1993-1997 et 2012-2016) et une autre marquée par une forte diminution (1997-2002).
A) La définition et la mesure de l’effort structurel
1) La notion d’effort structurel
L’effort structurel, qui est exprimé en points de PIB, constitue l’estimation la plus rigoureuse de la contribution des mesures budgétaires à la réduction ou l’aggravation du déficit public. Il permet d’éliminer l’impact de la conjoncture plus complètement que le solde structurel et il est plus facile à interpréter que celui-ci. En effet, il est décomposable en un effort de hausse des prélèvements obligatoires et un effort de maîtrise des dépenses publiques.
L’effort de hausse des prélèvements (impôts et cotisations sociales) est égal au rendement (ou au coût) total des « mesures nouvelles » concernant ces prélèvements. Il est négatif, en termes d’impact sur le solde public, si les baisses d’impôts l’emportent sur les hausses.
L’effort de maîtrise des dépenses publiques est égal à 55 % de la différence entre la « croissance potentielle » du PIB et la croissance en volume des dépenses. Cette définition se justifie ainsi :
- plus la progression des dépenses est faible par rapport à la croissance potentielle du PIB, plus le ratio des dépenses au PIB diminue à moyen terme ;
- le coefficient de 55 % correspond au poids des dépenses publiques dans le PIB et permet de passer d’un pourcentage des dépenses à un pourcentage du PIB.
Si la croissance des dépenses est supérieure à la croissance potentielle du PIB, l’effort est négatif, ce qui signifie qu’il contribue à aggraver le déficit public.
La croissance potentielle étant estimée en volume, il doit en être de même de la croissance des dépenses, mais il n’existe pas d’indice de prix spécifique aux dépenses publiques. Bien que l’indice des prix à la consommation soit souvent utilisé pour calculer un taux de croissance en volume des dépenses, l’effort structurel est mesuré en retenant l’indice du prix du PIB pour passer de la croissance en valeur à la croissance en volume des dépenses.
La Commission européenne utilise également l’indice du prix du PIB pour analyser « l’évolution des dépenses, déduction faite des mesures discrétionnaires en matière de recettes », conformément aux règles budgétaires européennes. Ce concept de « dépenses déduction faite des mesures discrétionnaires en matière de recettes » est en pratique assez proche de celui d’effort structurel.
L’utilisation de l’indice du prix du PIB dans le calcul de l’effort structurel facilite la comparaison de celui-ci avec les variations du solde effectif et du solde structurel exprimés en points de PIB.
Les « mesures ponctuelles et temporaires », en recettes comme en dépenses, qui sont soustraites du solde structurel le sont également de l’effort structurel.
2) L’effort structurel et le solde structurel
L’effort structurel réalisé l’année N n’est pas égal à la variation du solde structurel entre N et N-1, principalement pour les deux raisons suivantes.
D’une part, le solde structurel est la différence entre le solde effectif et sa composante conjoncturelle, qui est elle-même mesurée en supposant que « l’élasticité des prélèvements obligatoires au PIB » est égale à 1,0. Or cette élasticité n’est pas toujours égale à 1 et, si elle est supérieure à 1, le solde structurel s’améliore[1] alors que l’effort structurel est indépendant de cette élasticité.
D’autre part, seules les mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires sont prises en compte pour mesurer l’effort structurel alors qu’il existe d’autres recettes publiques (redevances pour services rendus…) et que leur variation d’une année à l’autre, en points de PIB, affecte le solde structurel.
3) Les données utilisées pour mesurer l’effort structurel réalisé chaque année
La composante de l’effort structurel relative aux dépenses publiques a été estimée à partir des séries annuelles de dépenses en valeur et de l’indice des prix du PIB publiées par l’INSEE ainsi que des taux de croissance potentielle estimés par la Commission européenne à l’occasion de ses prévisions du printemps 2017.
Les données nécessaires pour estimer l’impact des mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires ont été prises dans des documents de travail sur l’effort structurel publiés par la direction générale du trésor pour les années 1998 à 2006[2] et dans les rapports économiques, sociaux et financiers annexés aux projets de loi de finances pour les années 2007 à 2016.
Les informations, incomplètes et hétérogènes, disponibles dans de multiples documents ont été confrontées et synthétisées pour évaluer les mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires de 1989, année la plus lointaine pour laquelle cette évaluation a été possible, jusqu’à 1997. Les sources mobilisées sont notamment les rapports économiques et financiers annexés aux projets de loi de finances, les rapports annuels sur les comptes de la Nation, les rapports à la commission des comptes de la sécurité sociale, les publications de l’INSEE sur les comptes des administrations publiques, des notes réalisées dans les années quatre-vingt-dix par la direction de la prévision du ministère des finances sur l’élasticité des recettes fiscales de l’Etat. Les efforts relatifs aux prélèvements obligatoires qui ont été ainsi obtenus figurent dans un article de la revue Sociétal publié en 2011 par François Ecalle. Ces montants sont inévitablement d’une précision limitée, mais les ordres de grandeur en dixièmes de points de PIB sont suffisamment robustes pour en tirer des conclusions.
B) Les efforts structurels réalisés depuis 1989
1) L’effort total depuis 1989
L’effort structurel réalisé au total depuis 1989 est négatif (- 1,8 point de PIB). Selon la Commission européenne, le déficit structurel[3] était de 2,7 % du PIB en 1988, après avoir été quasiment nul en 1980, et de 2,6 % du PIB en 2016. Il n’a donc quasiment pas varié alors que l’effort structurel a été sensiblement négatif, ce qui peut s’expliquer ainsi :
- les recettes publiques autre que les prélèvements obligatoires, rapportées au PIB, ont augmenté de 0,6 point depuis 1998[4], ce qui contribue donc pour 0,6 point de PIB à l’écart entre l’effort structurel et la variation du solde structurel ;
- la hausse du taux des prélèvements obligatoires de 1988 à 2016 (3,8 points) étant supérieure à la composante de l’effort structurel relatif aux prélèvements (2,6 points de PIB, net des crédits d’impôt), soit l’élasticité des recettes au PIB a été globalement supérieure à 1,0 sur l’ensemble de la période, soit l’effort sur les prélèvements est sous-estimé, probablement sur la période 1989-1997. Ces deux facteurs peuvent avoir joué ensemble pour expliquer un écart d’environ 1 point de PIB entre l’effort structurel et la variation du solde structurel.
2) L’effort total par législature
Le graphique suivant fait apparaitre les efforts structurels réalisés chaque année. Ils ont été négatifs au début des années 1990, fortement positifs pendant la période de préparation à l’entrée dans la zone euro, fortement négatifs au tournant des années 2000 pendant la bulle de la « nouvelle économie » puis à peu près équilibrés jusqu’à la crise de 2008-2009 où ils ont été creusés par le plan de relance avant que des mesures de redressement ne soient mises en œuvre à partir de 2010.
Source : FIPECO.
Ces efforts structurels annuels ont été regroupés par législature en imputant conventionnellement l’effort enregistré les années d’élections législatives pour moitié à la majorité sortante et pour moitié à la nouvelle majorité[5].
Il convient également de noter que l’effort structurel réalisé une année donnée, même si ce n’est pas une année électorale, dépend pour partie de mesures décidées sous la majorité précédente, mais la nouvelle majorité a au moins pris la responsabilité de ne pas les annuler.
Le graphique suivant fait apparaitre la répartition de l’effort structurel par législature sous ces conventions.
Il a d’abord été négatif sous la législature 1989-1993 (- 2,2 points de PIB), puis positif sur 1993-1997 (2,2 point de PIB), négatif sur 1997-2002 (- 2,3 points), 2002-2007 (- 0,6 point) et 2007-2012 (- 1,7 point) avant de redevenir positif de 2012 à 2016 (2,7 points, montant qui pourrait être réduit par la prise en compte de l’année 2017).
Source : FIPECO.
3) La répartition de l’effort entre dépenses et prélèvements
La décomposition de l’effort structurel par législature entre ses volets relatifs aux prélèvements obligatoires et aux dépenses apparait sur le graphique suivant.
Source : FIPECO.
La première partie du second septennat de F. Mitterrand (1989-1993) a été marquée par une forte croissance des dépenses publiques (3,5 % en volume en moyenne sur 1989-1992[6]) sous l’effet notamment de la progression des pensions et des dépenses d’assurance maladie et d’éducation. Les baisses d’impôt (suppression du taux majoré de TVA, allègement de l’IS…) ont été plus que compensées par les augmentations des prélèvements sociaux (cotisations vieillesse…) et des impôts locaux.
La croissance des dépenses a fortement ralenti pendant la période de cohabitation (1993-1995) puis les deux premières années du septennat de J. Chirac (1995-1997) : elle a été ramenée à 1,7 % en moyenne en volume sur 1994-1996 sous l’effet de mesures telles que la réforme des retraites. L’effort en dépenses est toutefois légèrement négatif à cause de l’année 1993 qui est prise pour moitié dans le résultat de la législature 1993-1997. Celle-ci a également mis en œuvre une forte hausse des prélèvements obligatoires (hausse de 2 points du taux normal de TVA, de l’IS, de la CSG et de la TIPP…) qui explique l’essentiel de l’effort structurel.
La période de cohabitation du septennat de J. Chirac (1997-2002) a été marquée par de fortes baisses des prélèvements obligatoires (allégements de cotisations patronales dans le cadre du passage aux 35 heures, baisse d’un point de la TVA et application d’un taux réduit aux travaux d’entretien, suppression de la composante salariale de la taxe professionnelle…). Après un net ralentissement en 1998 (0,5 %), la croissance des dépenses en volume a rebondi sur les années 1999-2001 (2,4 % en moyenne annuelle) sous l’effet notamment de la mise en place des 35 heures dans la fonction publique et d’une accélération des remboursements d’assurance maladie. Au total, l’effort en dépenses a été légèrement négatif.
Pendant le quinquennat de J. Chirac (2002-2007), les prélèvements obligatoires ont d’abord augmenté légèrement avant une forte baisse en 2007 (IR et IS) prise pour moitié dans l’effort de la législature 2002-2007. Sous celle-ci, la croissance des dépenses est restée relativement forte (2,0 % en moyenne sur 2003-2006) sous l’effet notamment des dépenses des collectivités locales.
Pendant le quinquennat de N. Sarkozy (2007-2012), les prélèvements obligatoires ont d’abord fortement baissé, dans le cadre de la loi sur le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat puis dans le cadre du plan de relance de l’activité économique. Ils ont ensuite augmenté sous l’effet de l’arrêt du plan de relance puis des mesures de redressement budgétaire décidées à partir de l’été 2010 (réforme des retraites). La croissance des dépenses en valeur a nettement ralenti de 2007 (4,5 %) à 2011 (2,1 %) mais l’inflation et la croissance potentielle du PIB ont encore plus fortement ralenti, si bien que l’effort structurel en dépenses a été très négatif.
Le quinquennat de F. Hollande (2012-2017[7]) a commencé avec de fortes hausses des prélèvements obligatoires et les baisses enregistrées ensuite ont été de bien moindre ampleur, si bien que l’effort en recettes sur 2012-2016 est particulièrement important. Hors crédits d’impôt, la croissance des dépenses en volume a été ramenée à 0,4 % en moyenne sur 2013-2016, ce qui explique un effort en dépenses nettement positif. Il n’est que légèrement positif si les crédits d’impôts sont ajoutés aux dépenses publiques conformément aux normes internationales de la comptabilité nationale (la croissance des dépenses étant alors de 0,8 %).
[1] Si elle est inférieure à 1, il se détériore.
[2] « Solde structurel et effort structurel : un essai d’évaluation de la composante discrétionnaire de la politique budgétaire » de S. Duchêne et D. Levy, 2003. « Solde structurel et effort structurel : vers une décomposition par sous-secteurs des administrations publiques » de T. Guyon et S. Sorbe, 2009.
[3] Déficit corrigé des variations du cycle.
[5] Ce qui n’a toutefois pas été possible pour 1988 (données insuffisantes) et 2017 (année non terminée).
[6] En utilisant l’indice du prix du PIB pour déflater la croissance des dépenses en valeur.
[7] L’année 2017 n’est pas prise en compte car elle n’est pas encore terminée.