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30/03/2022

Réduire les effectifs de la fonction publique

François ECALLE

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Il y avait 5,7 millions d’agents dans la fonction publique au sens large (c’est-à-dire y compris les contractuels, mais hors emplois aidés) à la fin de 2020 dont 2,5 millions dans la fonction publique d’Etat, 1,9 million dans la fonction publique territoriale et 1,2 million dans la fonction publique hospitalière. Les candidats à l’élection présidentielle proposent d’augmenter ces effectifs ou de les réduire, ou ne se prononcent pas clairement sur l’objectif visé.

D’importantes économies seront nécessaires dans les prochaines années pour maîtriser l’évolution de la dette publique et une partie d’entre elles devra être trouvée dans les dépenses de personnel en réduisant les effectifs de la fonction publique. Cette réduction est envisageable au vu de la forte progression de l’emploi public au cours des deux dernières décennies, de son niveau dans les autres pays et des gains de productivité qui peuvent être réalisées dans les administrations. Elle pourrait être de l’ordre de 0,5 %, soit environ 30 000 postes, par an. Certains besoins ne seront pas satisfaits mais ce sera toujours le cas, la demande de services publics n’ayant pas de limite.

C’est dans la fonction publique territoriale que les effectifs ont le plus augmenté et devraient être le plus fortement réduits. Leur baisse pourrait être de 1,0 % par an (19 000 postes). Les collectivités territoriales étant autonomes et les mieux placées pour savoir où des économies sont nécessaires et possible, l’Etat devrait resserrer les contraintes budgétaires qui pèsent sur elles, notamment en réduisant ses dotations. Une réforme de la répartition des compétences et des moyens entre les communes et les intercommunalités est également nécessaire.

L’Etat ayant déjà fait des efforts de réduction de ses effectifs et de nouveaux besoins étant apparus, la baisse du nombre de ses agents devrait être moins forte et pourrait être de 0,5 % par an (12 000 postes). Elle ne peut pas se limiter aux fonctions administratives (moins de 10 % des effectifs) et doit aussi toucher les agents de terrain.

Les effectifs de la fonction publique hospitalière ont augmenté de 35 % de 1996 à 2020 et la France est au premier rang de l’Union européenne pour le rapport de l’emploi hospitalier à l’emploi total. Si certains hôpitaux sont en sous-effectif, des gains de productivité significatifs pourraient être obtenus dans l’ensemble du système hospitalier et une stabilité des effectifs est envisageable. La part des non-soignants pourrait être réduite mais les personnels administratifs n’en forment que le tiers.

En prenant pour référence la croissance tendancielle des effectifs de 1997 à 2020, ces évolutions de l’emploi public se traduiraient par une économie annuelle de 2,5 Md€ par an, soit environ 12 Md€ à l’horizon d’un quinquennat.

La durée annuelle du travail à temps plein dans la fonction publique est inférieure à la durée légale et à celle des salariés du secteur privé. Sa hausse permettrait de combiner plus facilement réduction des effectifs et amélioration du service public.

A) Pourquoi réduire les effectifs de la fonction publique

La France peut aujourd’hui emprunter très facilement à des taux très faibles parce que la banque centrale européenne (BCE) maintient ces taux à un très bas niveau et achète en grande quantité les obligations émises par les Etats de la zone euro. Cette situation ne durera toutefois pas indéfiniment, en particulier parce qu’une reprise durable de l’inflation, de plus en plus probable, obligera la BCE à limiter ses interventions et à remonter les taux d’intérêt, même si elle repoussera peut-être l’horizon de ce resserrement de la politique monétaire pour atténuer les effets économiques négatifs de la guerre en Ukraine. Ensuite, la BCE pourra encore intervenir pour éviter qu’un Etat de la zone euro fasse défaut mais de telles interventions sont en principe soumises à des conditions de redressement des comptes publics.

La France doit donc maintenir la confiance de ses créanciers et montrer qu’elle contrôle l’évolution de sa dette publique en la stabilisant, en pourcentage du PIB, hors période de crise. Pour réduire suffisamment le déficit public et ainsi stabiliser la dette, sur la base d’hypothèses raisonnables de croissance et à législation fiscale inchangée, il faut limiter fortement la croissance des dépenses (cf. note publiée par l’Institut Montaigne pour plus de précisions).

La masse salariale des administrations publiques (hors cotisations des employeurs) représentant 15 % des dépenses publiques en 2019 (les chiffres de 2020 sont moins pertinents), il faudra en maîtriser la progression pour atteindre cet objectif.

Au début du quinquennat actuel, il était difficilement envisageable de réaliser des économies avec des mesures salariales car le quasi-gel de la valeur du point depuis 2010 commençait à poser des difficultés de recrutement dans certains corps de la fonction publique. Depuis lors, de nombreuses mesures catégorielles ont été mises en œuvre ou décidées et un état des lieux des rémunérations dans le secteur public est nécessaire. Si un dégel du point est souhaitable dans un contexte devenu très inflationniste, des économies sont peut-être envisageables sur d’autres composantes de la rémunération des fonctionnaires.

Quoi qu’il en soit, il faudra surtout réduire les effectifs pour maîtriser l’évolution de la masse salariale publique. Cette réduction ne serait pas anormale au vu de leur forte progression au cours des deux dernières décennies et du niveau de l’emploi public dans les autres pays.

Les effectifs de l’ensemble des trois fonctions publiques ont en effet augmenté de 22 % de la fin de 1997 à la fin de 2020 (soit un million d’agents supplémentaires) alors que l’emploi total n’a progressé que de 15 % et la population française de 13 %.

Source : rapport de 2021 sur l’état de la fonction publique et Insee informations rapides de décembre 2021 ; corrigé pour tenir compte des 140 000 emplois transférés de 2006 à 2010 entre les fonctions publiques d’Etat et territoriale ; hors emplois aidés ; FIPECO.

Les comparaisons internationales des emplois publics sont difficiles (voir note), mais on peut noter que la part de la branche « administrations, défense, éducation, santé et action sociale » dans l’emploi total était de 30 % en France en 2020, bien au-dessus des moyennes de la zone euro et de l’Union européenne (25 %) ou des ratios de l’Allemagne (26 %) et du Royaume-Uni (25 %), mais au-dessous de ceux de la Suède (34 %) et de la Belgique (31 %).

En outre, les gains de productivité dans les services marchands sont de l’ordre de de 0,5 % par an et il n’y a pas de raison pour que les administrations publiques ne puissent obtenir le même résultat en mettant en œuvre de nouvelles technologies, notamment dans les domaines de l’information et de la communication, et en se réorganisant. Leur réorganisation peut prendre plusieurs formes : simplification des procédures, mutualisation des activités de support, redéploiement des implantations territoriales.

S’il est ainsi possible de réduire les effectifs des administrations publiques de 0,5 % par an à production de services inchangée, en qualité comme en quantité, l’objectif pourrait être plus ambitieux car il faudrait également abandonner les missions dont l’utilité est inférieure au coût des prélèvements obligatoires nécessaires pour les financer.

Une baisse de 0,5 % par an, soit 30 000 postes par an et 150 000 sur cinq ans pour l’ensemble des trois fonctions publiques, est ici retenue à titre d’illustration pour examiner comment un objectif de réduction des effectifs pourrait être décliné.

Certains besoins ne seront pas satisfaits mais ce sera toujours le cas, la demande de services publics n’ayant pas de limite. Il faut se donner des objectifs d’évolution maximale des dépenses publiques et ensuite faire des choix.

B) La fonction publique territoriale

Pour apprécier l’évolution passée des effectifs dans chacune des trois fonctions publiques, il faut tenir compte du transfert d’environ 140 000 personnes entre l’Etat et les collectivités territoriales dans les années 2007-2010 à la suite de la loi de décentralisation de 2004. Ces 140 000 emplois ont été retirés des effectifs de la fonction publique territoriale (FPT) pour être ajoutés à ceux de la fonction publique d’Etat (FPE) dans les développements qui suivent.

Les effectifs de la FPT ont augmenté de 47 % sur la période 1996-2020 (+ 549 000, la moitié de la hausse constatée pour les trois fonctions publiques), soit une moyenne annuelle de 1,7 %. Une inflexion est toutefois observable à la fin des années 2000 et leur progression annuelle moyenne a été ramenée à 0,8 % de 2007 à 2020. L’emploi a même diminué dans la FPT dans les années 2015 et 2016 sous l’effet de la baisse des dotations de l’Etat aux collectivités locales, qui a obligé celles-ci à réduire d’abord leurs investissements puis leurs dépenses de fonctionnement.

Les effectifs de la FPT pourraient être réduits de 1,0 % par an dans les prochaines années, soit 19 000 postes par an et 95 000 sur un quinquennat. Compte-tenu d’un coût moyen des nouveaux agents de 26 000 € par an hors cotisations des employeurs, l’économie serait de 0,5 Md€ par an et 2,5 Md€ sur cinq ans. Toutefois, les effectifs de la FPT continueraient à augmenter à politique inchangée et leur « croissance tendancielle » n’est certainement pas nulle. L’économie réalisée en supprimant 19 000 postes est en réalité plus importante mais il faudrait déterminer la croissance tendancielle des effectifs de la FPT pour la mesurer, ce qui est très difficile. A défaut, on peut retenir conventionnellement sa croissance depuis 1996 (1,7 % par an) comme référence et l’économie est alors de 1,3 Md€ par an, soit 6,5 Md€ à l’horizon d’un quinquennat (cf. fiche sur le chiffrage des économies budgétaires).  

Les flux de départ en retraite des fonctionnaires territoriaux étant d’environ 45 000 par an, une baisse des effectifs de 19 000 par an reviendrait à remplacer presque 60 % des départs.

Les collectivités territoriales sont autonomes et les mieux placées pour savoir où des économies sont nécessaires et possible. L’Etat doit donc resserrer leurs contraintes financières et les laisser procéder aux arbitrages nécessaires entre les différentes catégories de dépenses. Il peut ainsi réduire ses dotations aux collectivités locales, comme pendant le quinquennat 2012-2017, ou passer avec elles des « contrats » où elles s’engagent sur des objectifs d’évolution de leurs dépenses ou de leurs effectifs sous peine d’une baisse des dotations de l’Etat, comme les « contrats de Cahors » du quinquennat 2017-2022.

Les collectivités locales pourraient être plus fortement incitées à limiter leurs recrutements par une hausse du taux de leurs cotisations au régime de retraite de leurs agents. Les fonctionnaires de l’Etat, d’un côté, et des collectivités locales et hôpitaux, de l’autre, reçoivent des pensions calculées de la même façon mais gérées dans le cadre de deux régimes distincts, qui se distinguent essentiellement par des taux de cotisation des employeurs très différents en raison de leurs caractéristiques démographiques : 74 % pour les fonctionnaires civils de l’Etat (126 % pour les militaires) et 31 % pour ceux des hôpitaux et collectivités locales.

La séparation de ces deux régimes n’a pas d’autres raisons que l’avantage financier en résultant pour les hôpitaux et collectivités locales et les difficultés pratiques d’une fusion des deux entités qui les gèrent. En outre, elle freine la mobilité entre les fonctions publiques car elle dissuade les collectivités locales d’employer des fonctionnaires de l’Etat. Leur unification conduirait à un taux de cotisation intermédiaire entre les taux actuels, ce qui majorerait le coût des fonctionnaires locaux et inciterait les collectivités locales à moins en embaucher.

Pour que les collectivités territoriales puissent réduire leurs effectifs sous cette contrainte budgétaire renforcée, encore faudrait-il que l’Etat les y aide en simplifiant les réglementations qu’il leur impose. En outre, une profonde transformation du secteur public local, notamment des relations entre communes et intercommunalités, est sans doute nécessaire pour que les dépenses publiques locales soient significativement réduites. La forte croissance des effectifs de la FPT résulte pour beaucoup du fait que les communes ont souvent gardé les agents affectés à des missions transférées aux intercommunalités en obligeant celles-ci à recruter pour les assurer.

C) La fonction publique d’Etat

Les effectifs de la fonction publique d’Etat (FPE) n’ont augmenté que de 6 % de 1996 à 2020 (+ 154 000) et ont diminué dans les années 2007-2012 (- 136 000). Des besoins de recrutement étant apparus dans certaines fonctions régaliennes (justice…), la baisse des effectifs dans les prochaines années pourrait être de 0,5 % par an, soit 12 000 postes par an et 60 000 sur cinq ans. Les flux de départ en retraite étant de presque 60 000 par an, environ 4 départs sur 5 pourraient être remplacés.

Si on retient de nouveau la croissance des effectifs depuis 1996 (0,3 % par an) comme référence et compte-tenu d’un coût de 31 000 € par an pour les nouveaux agents, l’économie permise par une baisse des effectifs de 0,5 % par an serait de 0,6 Md€ soit 3,0 Md€ à l’horizon d’un quinquennat.

Les agents qui travaillent dans les services centraux (ministères, services à compétence nationale, directions des établissements publics nationaux) et dans les rectorats sont un peu moins de 200 000 et leur nombre ne peut pas être réduit de 30 % sur cinq ans. Les comparaisons internationales montrent d’ailleurs que la France ne se distingue pas spécialement par le poids des fonctions support des administrations publiques. La baisse des effectifs doit donc toucher aussi les « agents de terrain » et ne peut pas épargner les personnels des établissements d’enseignement qui forment la plus grande part des effectifs de la FPE.

D) La fonction publique hospitalière

Les effectifs de la fonction publique hospitalière (FPH) ont augmenté de 35 % de 1996 à 2020 (+ 312 000), soit en moyenne de 1,3 % par an. La hausse a été très forte jusqu’au milieu des années 2000 (+ 18 % de 1996 à 2005), sans doute pour partie en lien avec la réduction du temps de travail, puis plus faible au cours des années suivantes.

Si certains hôpitaux sont manifestement en sous-effectif, des gains de productivité significatifs pourraient être obtenus dans l’ensemble du système hospitalier, à qualité des soins inchangée, en développant de nouvelles technologies, en fermant les établissements où l’activité est la plus faible, en coordonnant mieux les parcours de soins, en modifiant l’organisation du travail et en simplifiant les procédures.

L’emploi hospitalier (public et privé) représentait 4,9 % de l’emploi total en 2019 en France, ce qui nous situait au premier rang de l’Union européenne et nettement au-dessus de la plupart des grands pays comparables. De plus, la part des emplois non-soignants est nettement plus élevée en France (34 %) et en Belgique (36 %) qu’en Allemagne (22 %), en Italie (25 %) et en Espagne (24 %). Les personnels administratifs ne comptent toutefois que pour 11 % des effectifs totaux, les autres non-soignants étant des agents techniques, des agents de services et des agents éducatifs et sociaux.

Dans ces conditions, une stabilisation des effectifs de la FPT pourrait être visée. Si on retient de nouveau la croissance des effectifs depuis 1996 (1,3 % par an) comme référence et compte-tenu d’un coût de 29 000 € par an pour les nouveaux agents, l’économie permise par cette stabilisation des effectifs serait d’environ 0,5 Md€ par an soit 2,5 Md€ à l’horizon d’un quinquennat.

E) La durée du travail

La fiche sur la durée du travail dans la fonction publique montre qu’elle était en moyenne, pour un temps plein, de 1 577 heures en 2019 (enseignants compris), soit 2 % de moins que la durée légale (1 607 heures) et 8 % de moins que celle des salariés du secteur privé (1 711 heures). Cet écart avec le secteur privé résulte surtout du nombre de jours de congés et de RTT (35 jours dans le secteur public hors enseignants et 28 dans le secteur privé).

A effectifs constants, une hausse de la durée du travail permettrait d’améliorer les services rendus. A services identiques, elle faciliterait la réduction des effectifs.

Une augmentation de la durée du travail de x % ne permet cependant de réduire les effectifs que d’un taux inférieur à x %, à services inchangés. En effet, la réduction des effectifs n’est possible que si des agents partent et ne sont pas remplacés, ce qui n’est pas le cas dans tous les services et pas nécessairement dans la même proportion que la hausse de la durée du travail. Dans des services où l’activité est limitée et où il n’y a pas de départ, une augmentation de la durée du travail entraîne une diminution de la productivité horaire.

Une hausse de la durée du travail des agents publics de 1 % par an pendant cinq ans permettrait donc une baisse des effectifs de 57 000 par an au maximum et probablement de beaucoup moins. Pour obtenir une baisse des effectifs plus forte, il faut combiner la hausse de la durée du travail avec des mesures de réorganisation et une révision des missions.

Un alignement progressif sur la durée légale pourrait être obtenu sans hausse des rémunérations. Une hausse plus importante du temps de travail, par exemple pour l’aligner sur celui des salariés du secteur privé, nécessiterait en revanche une augmentation des heures supplémentaires, dont la rémunération est majorée comme dans le secteur privé.

Les médias suivants ont mentionné ce billet :

Atlantico

BFM Business 

Le Figaro

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