28/11/2018
Rémunérations, durée du travail et retraites des fonctionnaires et des salariés du secteur privé
François ECALLE
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Les comparaisons entre les salaires, la durée du travail et les pensions de retraite des fonctionnaires et des salariés du secteur privé sont fréquentes mais elles ne portent généralement que sur un seul de ces thèmes. Ce billet présente les éléments de comparaison disponibles sur l’ensemble de ces trois axes.
Ces comparaisons présentent d’inévitables limites car seules des moyennes peuvent être comparées alors que les caractéristiques des fonctionnaires et des salariés du secteur privé (qualification, âge…) sont différentes, mais les analyses plus fines tenant compte de ces caractéristiques sont rares. En outre, il n’est pas possible d’en tirer une comparaison des revenus des agents du public et du privé depuis leur entrée dans la vie active jusqu’à leur décès, au moins pour la raison suivante : il s’agit de photographies de la situation des actifs et des retraités aujourd’hui ; or les actifs d’aujourd’hui n’auront pas les mêmes pensions que les retraités d’aujourd’hui et ces derniers n’ont pas eu les mêmes salaires que les actifs d’aujourd’hui. Les conclusions suivantes peuvent néanmoins en être tirées.
Les salaires nets moyens des fonctionnaires sont souvent proches de ceux des salariés du secteur privé. Cependant, ceux des ouvriers et employés de l’Etat et des cadres hospitaliers sont plus élevés que ceux des mêmes catégories professionnelles dans le privé alors que ceux des cadres non hospitaliers sont plus faibles. Les écarts hiérarchiques de rémunération sont plus resserrés dans la fonction publique.
La durée annuelle moyenne du travail des fonctionnaires (hors enseignants) à temps plein est inférieure de 4 % à celle des salariés du secteur privé parce qu’ils prennent plus de jours de congés et de RTT (35 contre 27). L’absentéisme semble un peu plus important dans le secteur public.
Les fonctionnaires qui ont liquidé leur retraite en 2017 ont validé une durée de carrière plus longue que les salariés du secteur privé. Cet écart pourrait résulter pour partie de règles de validation de périodes non travaillées (chômage, maternité…) et de bonification de périodes travaillées plus favorables aux fonctionnaires.
Les fonctionnaires liquident leur retraite en moyenne un an avant les salariés du secteur privé (3 ans avant pour les « actifs », qui sont surtout des ouvriers et employés, mais 1 an après pour les « sédentaires »). De ce fait et également en raison d’une espérance de vie un peu plus longue, la durée de retraite des fonctionnaires est plus grande que celle des salariés du secteur privé.
Les pensions de retraite des fonctionnaires sont aujourd’hui en moyenne plus élevées que celles des salariés du secteur privé, celles des cadres comme celles des non-cadres.
A)Les salaires
Une fiche de l’encyclopédie sur ce site présente les principales caractéristiques juridiques de la rémunération des fonctionnaires.
Les salaires nets moyens du secteur privé en 2016, pour un temps plein, sont supérieurs à ceux des collectivités locales, inférieurs à ceux de l’Etat et semblables à ceux des hôpitaux publics. La répartition des emplois par catégories socioprofessionnelles dans ces quatre secteurs est toutefois très différente.
Les salaires nets mensuels moyens en 2016 (euros)
|
Etat (civils)
|
Collectivités locales
|
Hôpitaux
|
Secteur privé
(2015)
|
Ensemble
|
2 505
|
1 902
|
2 258
|
2 250
|
Cadres
(dont hors enseignants)
|
3 057
(3 632)
|
3 296
|
4 823
|
4 142
|
Professions intermédiaires
|
2 292
|
2 248
|
2 310
|
2 270
|
Ouvriers et employés
|
2 001
|
1 678
|
1 719
|
1 677
|
Source : rapport 2018 sur l’état de la fonction publique ; salaires moyens par équivalent temps plein ; FIPECO.
Une ventilation selon les trois grandes catégories socio-professionnelles permet des comparaisons plus rigoureuses et conduit à des conclusions que des analyses plus fines ne remettent pas en cause : les cadres de la fonction publique de l’Etat (y compris hors enseignants) et des collectivités locales sont moins bien rémunérés que ceux du secteur privé ; à l’inverse, les ouvriers et employés de l’Etat ainsi que les cadres hospitaliers (médecins inclus) sont mieux rémunérés que ceux du secteur privé. Les autres écarts sont peu significatifs.
La dispersion des salaires à l’intérieur du secteur public est plus faible que dans le privé, au détriment des cadres et à l’avantage des ouvriers et employés de la fonction publique. En 2016, la rémunération, primes et indemnités incluses, que dépassent les 10 % d’agents les mieux payés en équivalents temps plein (seuil du dernier décile) est 2,4 fois supérieure à celle au-dessous de laquelle se trouvent les 10 % les moins bien payés (seuil du deuxième décile) dans la fonction publique d’Etat (2,2 dans la fonction publique hospitalière et 2,0 dans la fonction publique territoriale). Cet écart hiérarchique est de 3,0 dans le secteur privé.
L’âge moyen des fonctionnaires (43 ans) est un peu plus élevé que celui des salariés du secteur privé (41 ans), ce qui entraîne des salaires un peu plus importants dans le public, mais, en sens inverse, la population des salariés du secteur privé est moins féminisée que la fonction publique (46 % de femmes contre 62 %), ce qui, d’un point de vue strictement statistique et en raison de la persistance d’écarts de salaires, entraîne des salaires plus élevés dans le privé. Au total, il n’est pas sûr que les différences de composition de ces populations par âge et sexe influent beaucoup ces comparaisons.
Les analyses approfondies des disparités salariales entre les secteurs publics et privés tenant compte de ces caractéristiques spécifiques de leurs agents (âge, diplôme, sexe…) sont rares, mais celles qui existent (par exemple une étude de l’Insee de 2014) confirment les observations précédentes (cadres moins bien payés et ouvriers et employés de l’Etat mieux payés que dans le privé).
Il est parfois possible de comparer des salaires moyens au sein de la même branche dans le public et le privé. Il apparaît ainsi que le salaire net moyen des hôpitaux à but lucratif (1 908 € en 2012) est inférieur à celui des hôpitaux publics (2 225 €). Cet écart se retrouve pour la plupart des catégories socio-professionnelles, sauf pour les cadres non médecins et les ouvriers (cf. étude de la DREES).
Dans l’enseignement (cf. analyse de la DEPP), le salaire net mensuel en 2014 est de 2 415 € dans le public et de 2 074 € dans le privé alors que les grilles salariales y sont les mêmes. L’écart provient pour la moitié d’effets de structure tels que la composition par corps (agrégés, certifiés…), pour 20 % des cotisations salariales, plus élevées dans le privé, et pour le reste de facteurs non identifiés.
B)La durée du travail
1)La durée annuelle hors absentéisme
Selon une publication de septembre 2018 de la DARES et le rapport sur l’état de la fonction publique annexé au projet de loi de finances pour 2019, la durée annuelle du travail à temps complet dans le secteur public est de 1 585 heures en 2017 (1 650 heures hors enseignants) contre 1 721 heures dans le secteur privé soit un écart d’environ 8 % (4 % hors enseignants).
La durée du travail en 2017
|
Secteur privé
|
Secteur public
|
Secteur public hors enseignants
|
Etat hors enseignants
|
Collectivités locales
|
Hôpitaux
|
Heures annuelles
|
1 721
|
1 585
|
1 650
|
1 749
|
1 600
|
1 606
|
Heures hebdomadaires
|
39,2
|
ND
|
39,3
|
41,4
|
38,5
|
38,2
|
Jours de congé et RTT
|
27
|
ND
|
35
|
38
|
36
|
32
|
Source : rapport sur l’état de la fonction publique de 2018, DARES, FIPECO
NB les jours de congés sont décomptés en jours ouvrés (soit 5 par semaine) alors qu’ils sont parfois décomptés en jours ouvrables (soit 6 par semaine). La durée hebdomadaire est une durée habituelle sans événements tels que jours fériés, congés, arrêts pour maladie… La durée annuelle est en revanche réduite du fait des congés (y compris pour maladie), jours de RTT et jours fériés. Les heures annuelles et hebdomadaires sont celles des seuls salariés à temps complet ; les jours de congés et RTT sont ceux de tous les salariés et ne comprennent pas les congés pour maladie.
La durée annuelle du travail est supérieure à la durée légale de 1 607 heures dans la fonction publique d’Etat, hors enseignants, et quasiment égale à celle-ci dans la fonction publique hospitalière. Dans les services de l’Etat, hors éducation nationale, elle est même légèrement supérieure à celle du secteur privé. En revanche, elle est plus faible dans la fonction publique territoriale.
La durée hebdomadaire habituelle du travail est en moyenne assez proche dans les secteurs public (hors enseignants) et privé. Celle des fonctionnaires de l’Etat hors enseignants est plus élevée ce qui explique une durée annuelle plus importante. Celle des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers est plus faible que dans le secteur privé.
L’écart avec la durée annuelle du secteur privé résulte pour beaucoup des jours de congés (hors maladie) et de RTT (jours de congés compensant une durée hebdomadaire supérieure à 35 heures).
Les agents de la fonction publique d’Etat, hors enseignants, ont pris en moyenne 38 jours de congé et de RTT en 2017, les fonctionnaires territoriaux 36 jours et les fonctionnaires hospitaliers 32 jours, contre 27 jours pour les salariés du secteur privé. Les jours de congés et de RTT sont donc nettement plus nombreux dans les fonctions publiques, notamment celles d’Etat et territoriale, que dans le secteur privé. On peut toutefois noter qu’il existe une grande disparité entre les entreprises privées, le nombre de jours de congés étant de 23 dans celles de 1 à 9 salariés et de 32 dans celles de 500 salariés et plus.
Une analyse de la DARES montre que la durée des congés est plus importante dans la fonction publique pour toutes les catégories socio-professionnelles.
Les écarts entre les durées annuelles peuvent aussi résulter des absences, notamment pour raison de santé.
2)Les absences pour raison de santé
Les données disponibles sur l’absentéisme sont lacunaires et pas toujours cohérentes. Quelques indications à prendre avec précaution peuvent néanmoins en être tirées.
Selon le rapport de 2018 sur l’état de la fonction publique, 3,9 % des fonctionnaires (toutes fonctions publiques, dont 2,9 % pour l’Etat, 4,7 % pour les collectivités territoriales et 4,7 % pour les hôpitaux), ont été absents pour raison de santé au moins un jour au cours d’une semaine de référence en 2016, contre 3,8 % dans le secteur privé.
Le nombre de jours d’absence est de 12 dans les services de l’Etat en 2012, de 24 dans les collectivités locales en 2015 et de 23 dans les hôpitaux en 2015 pour le personnel non médical (6 pour le personnel médical). Il est à noter que le nombre de jours d’absences est faible au ministère de l’éducation nationale (11 jours), ce qui tient pour partie à l’organisation du travail, les enseignants ne déclarant pas toujours d’arrêt maladie pendant les périodes de congé scolaire. L’absentéisme dans le secteur privé est lui aussi mal connu. Selon le cabinet Ayming, il s’élève à 17 jours par an, principalement pour raison de santé, mais ce chiffre n’est sans doute pas directement comparable à ceux du rapport sur l’état de la fonction publique.
Une enquête de la DARES sur les conditions de travail montre que 36 % des fonctionnaires ont eu au moins un arrêt de travail pour maladie en 2016, avec peu d’écarts entre les trois fonctions publiques, contre 28 % dans le secteur privé en 2013.
Les différences entre les taux d’absentéisme peuvent résulter des caractéristiques moyennes des agents de chaque secteur au regard de facteurs tels que les conditions de travail, l’âge, le sexe, l’état de santé, le niveau de formation… En exploitant avec des méthodes économétriques les données de cette enquête sur les conditions de travail, la direction générale de l’administration et de la fonction publique a estimé que, toutes choses égales par ailleurs c’est-à-dire en neutralisant l’impact de tous ces facteurs, la probabilité d’avoir au moins un arrêt de travail dans l’année est supérieure dans le secteur public à celle observée dans le secteur privé, de 6 % dans les hôpitaux, de 29 % dans les services de l’Etat et de 43 % dans les collectivités locales.
3)La durée de la carrière
Les fonctionnaires qui ont liquidé leur retraite en 2016 ont validé une durée de carrière, tous régimes confondus, de 42 ans et 6 mois pour les agents civils de l’Etat et de 42 ans et 9 mois pour les agents des collectivités locales et des hôpitaux, contre 38 ans et 6 mois pour les salariés du secteur privé (rapport sur les pensions de la fonction publique et statistiques de la CNAVTS).
Les nouveaux retraités de la fonction publique ont donc validé une carrière plus longue bien qu’ils aient liquidé leur retraite plus tôt que les salariés du secteur privé (cf. plus loin). Ils pourraient avoir eu un premier emploi plus jeune mais c’est peu probable car ils sont en moyenne plus diplômés et les statistiques disponibles ne permettent pas de le vérifier.
Ces écarts tiennent sans doute aussi pour partie aux règles de validation de certaines périodes non travaillées (chômage, maternité…) ou de « « bonification » de certaines périodes travaillées (particulièrement diverses et nombreuses dans la fonction publique[1]), qui diffèrent dans les secteurs public et privé. En outre, les fonctionnaires sont souvent en activité lorsqu’ils liquident leur retraite alors que beaucoup de salariés du privé connaissent une période sans emploi avant de liquider leur pension.
C)Les retraites
Une fiche de l’encyclopédie sur ce site présente les principales caractéristiques des pensions de retraite des fonctionnaires, notamment de leurs modalités de calcul.
1)L’âge de liquidation de la retraite
Selon le rapport sur les pensions des fonctionnaires annexé au projet de loi de finances pour 2019, l’âge moyen des personnes qui ont liquidé leur retraite en 2017 était de 61 ans et 4 mois dans la fonction publique d’Etat et de 62 ans et 6 mois dans le régime général des salariés du secteur privé.
Il existe toutefois une importante différence dans la fonction publique entre les catégories dites « actives » (policiers, gardiens de prison…), dont l’âge moyen de liquidation est 59 ans et 1 mois, et « sédentaires » (les autres), dont l’âge moyen de liquidation est 63 ans 7 mois. Les âges moyens de liquidation des actifs et sédentaires sont proches de ceux de l’Etat dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière.
Comme les catégories actives sont surtout composées d’employés et ouvriers, ceux-ci liquident leurs droits bien plus tôt que leurs homologues du secteur privé (57,5 ans contre 61,1 ans pour les hommes nés en 1942) alors que l’écart est faible pour les professions intermédiaires (59,1 ans contre 60,5 ans) et les cadres et professions intellectuelles (60,7 ans contre 61,4 ans) selon un rapport de la Cour des comptes.
2)La durée de la retraite
Le tableau suivant, extrait du même rapport de la Cour des comptes, montre que la durée de retraite des fonctionnaires est plus longue que celle des salariés du secteur privé, plus particulièrement pour les hommes employés et pour les femmes, ce qui résulte d’un âge de liquidation des droits plus précoce et d’une espérance de vie un peu plus longue.
La durée passée à la retraite
|
Hommes
|
Femmes
|
|
Public
|
Privé
|
Public
|
Privé
|
Employés
|
23,1
|
19,3
|
29,1
|
25,8
|
Professions intermédiaires
|
22,5
|
21,2
|
30,5
|
26,9
|
Cadres et professions intellectuelles
|
22,9
|
22,2
|
30,2
|
27,5
|
Source : rapport de 2016 de la Cour des comptes sur les pensions de retraite des fonctionnaires ; FIPECO.
3)Les pensions
Selon le conseil d’orientation des retraites (COR), les pensions de retraite brutes pour une carrière complète en 2015 sont plus élevées dans la fonctions publique d’Etat (2 810 € par mois pour les hommes) que dans le secteur privé (2 160 € en additionnant retraite de base et retraite complémentaire) et un peu plus faibles dans les fonctions publiques territoriales et hospitalières (2 060 €). Cela reflète largement les écarts de salaires moyens qui résultent eux-mêmes largement de la structure socio-professionnelle des agents des secteurs public et privé (cf. plus haut).
Les données disponibles ne permettent pas de décomposer suffisamment ces pensions moyennes par catégorie socio-professionnelle. Il apparaît toutefois que à la fois les cadres et les non-cadres ont une pension plus élevée dans la fonction publique d’Etat que dans le secteur privé après une carrière complète dans le même régime. Ces écarts peuvent résulter des revenus que les retraités ont perçus lorsqu’ils étaient en activité ou des règles de calcul des pensions (dans le secteur public, par exemple, la pension est liquidée sur la base du salaire des six derniers mois sans compter les primes).
Les pensions mensuelles moyennes en euros
|
Hommes
|
Femmes
|
|
Public
|
Privé
|
Public
|
Privé
|
Catégories A / Cadres
|
3 096
|
2 786
|
2 677
|
2 150
|
Catégories B / Non-cadres
|
1 969
|
1 509
|
1 944
|
1 167
|
Catégories C / Non-cadres
|
1 490
|
1 485
|
Source : documents de la réunion du COR du 31 mai 2017 ; agents ayant validé une carrière complète dans le même régime (fonction publique d’Etat / régimes général et complémentaires du privé). FIPECO.
Les actifs d’aujourd’hui n’auront pas ces montants de pension lorsqu’ils prendront leur retraite, en particulier parce que les taux de remplacement vont baisser au cours des 50 prochaines années au vu des projections du COR (cf. fiche sur les perspectives des régimes de retraite). Cette baisse résultera notamment, dans le régime général, de l’écart entre le taux de croissance des revenus d’activité et le taux d’inflation, celui-ci servant à corriger les salaires des années passées pour calculer la moyenne des 25 meilleures années qui sert de salaire de référence. Elle sera d’autant plus forte que le pouvoir d’achat augmentera.
Cette baisse du taux de remplacement sera plus faible dans le secteur public, car le salaire de référence est celui des six derniers mois, sauf si la part des primes dans les rémunérations s’accroît fortement (le salaire de référence exclut les primes).
Il est donc vraisemblable que l’écart entre les pensions moyennes des fonctionnaires et des salariés du secteur privé augmentera à l’avenir, ce qui constitue un argument en faveur de la fusion des régimes de retraite (voir la note sur ce site relative au régime de retraite universel proposé par le Gouvernement).
[1] Par exemple, les trimestres travaillés par les agents des catégories dites « actives » sont multipliés par 1,2.