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FIPECO le 03.02.2018                                       

Les notes d’analyse                                    VIII) Assurances sociales et redistribution

6) Comment redistribuer les revenus ?

François ECALLE

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Les principales caractéristiques de la redistribution des revenus en France sont décrites dans une fiche de l’encyclopédie. Bien que l’ampleur de cette redistribution y soit nettement plus forte que dans les autres pays européens, les inégalités, après prélèvements obligatoires et prestations sociales, sont seulement un peu plus faibles en France que dans les moyennes de l’Union européenne ou de la zone euro.

Cette note ne porte pas sur le degré souhaitable d’égalité des revenus (sur la question des relations entre inégalités et croissance, voir article de C. Garcia-Penalosa dans la revue de l’OFCE) mais sur les instruments de redistribution qui sont utilisés pour l’atteindre. L’observation précédente suggère qu’ils pourraient être plus efficients. En outre, les canaux de la redistribution sont beaucoup plus nombreux que ceux retenus par les instituts statistiques pour en mesurer l’ampleur. Il en résulte une forte incertitude sur les moyens réellement mis en œuvre pour redistribuer les revenus et leurs résultats.

Une simplification des canaux de la redistribution sur la base de quelques principes simples exposés dans la suite de cette note serait souhaitable.

A)   Des canaux de redistribution multiples et pas toujours transparents

La redistribution est opérée par les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques mais, pour mesurer leurs effets redistributifs, il faut pouvoir déterminer quels ménages, disposant de quels revenus, supportent ces prélèvements ou bénéficient de ces dépenses, ce qui est souvent difficile. Les instituts statistiques retiennent en conséquence une liste limitée de prélèvements et prestations sociales qui est harmonisée au niveau international de façon à permettre les comparaisons. L’Insee retient ainsi :

- s’agissant des prélèvements obligatoires, l’impôt sur le revenu, la taxe d’habitation, les cotisations sociales de la branche famille, la CSG et les autres contributions sociales (prélèvements sociaux sur les revenus du capital…) ;

- s’agissant des dépenses publiques, les prestations familiales, les aides au logement, l’allocation personnelle d’autonomie et les minima sociaux (RSA socle, minimum vieillesse, allocation aux adultes handicapés…).

La redistribution passe toutefois par bien d’autres canaux.

Les services publics rendus aux ménages, dans la mesure où la valeur de leur utilisation représente une part plus importante du revenu des ménages les plus pauvres, contribuent fortement à la réduction des inégalités. L’ampleur de la redistribution qu’ils opèrent, notamment les services de santé et d’éducation, est en France, du même ordre de grandeur que celle des prélèvements obligatoires et prestations sociales retenus précédemment, selon l’OCDE[1]. Elle y est plus importante que dans la plupart des autres pays.

Seule une partie des prélèvements obligatoires est retenue par l’Insee. Or, parmi ceux qui ne sont pas retenus, les impôts indirects sont plutôt anti-redistributifs, mais les impôts sur le capital contribuent à redistribuer les revenus disponibles car ils sont payés par les ménages en prélevant d’abord sur leurs revenus puis en cédant une partie de leur patrimoine si leurs revenus sont insuffisants.

Les régimes de retraite sont supposés ne pas avoir d’effet sur la distribution des revenus, les pensions étant proportionnelles aux cotisations versées. En réalité, ils comportent des « dispositifs de solidarité » en faveur des plus pauvres comme le minimum garanti.

Les collectivités locales assurent une aide sociale aux personnes plus modestes en plus des minima sociaux qu’elles financent, par exemple sous forme de capacités d’hébergement, et demandent souvent aux ménages une participation financière au fonctionnement des services publics locaux (crèches, cantines, actions culturelles…) dont le tarif est croissant avec le revenu. Les montants en jeu et l’ampleur de cette redistribution n’ont jamais été mesurés.

Enfin, s’il ne s’agit pas de redistribution, il ne faut pas oublier que certaines réglementations ont un fort impact sur les « revenus primaires » (avant redistribution). C’est notamment le cas du SMIC dont l’objet est de relever les salaires dans le bas de leur distribution. Il a cependant aussi pour effet de diminuer l’emploi des moins qualifiés en majorant le coût de leur travail, ce qui est partiellement compensé par les allègements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires.

B)   Viser un schéma plus simple

L’analyse économique recommande d’associer un seul outil à un objectif de politique économique. Les inégalités ont certes des formes trop diverses pour être traitées par seulement un seul instrument, mais il faudrait s’inspirer beaucoup plus souvent de ce principe. Un schéma idéal de redistribution s’appuierait sur les trois seuls instruments suivants :

  • une prestation sociale universelle de type RSA (avec ses composantes « socle » et « activité »), c’est-à-dire garantissant un revenu minimal, conditionnée à des démarches d’insertion et diminuant progressivement avec la hausse des revenus d’activité ; elle pourrait être ajustée pour compenser le coût de certains handicaps ;
  • un impôt sur le revenu comprenant une partie proportionnelle (CSG) et une partie progressive (IR), avec un quotient conjugal mais pas de quotient familial, sans que leur fusion s’impose ;
  • une allocation forfaitaire par enfant assurant une redistribution « horizontale » entre les familles en fonction du nombre d’enfants.

1)    Fusionner les minima sociaux dans une prestation universelle

Une prestation sociale universelle de type RSA devrait être créée en fusionnant une grande partie des dix minima sociaux actuels et la nouvelle « prime d’activité ».

En effet, les montants garantis, les ressources prises en compte, les conditions de cumul avec une rémunération d’activité et les modalités de majoration des allocations en fonction de la configuration familiale diffèrent d’un dispositif à l’autre sans que les justifications en soient toujours claires.

En outre, ces minima sont financés et gérés par des organismes différents. Si les prestations sont le plus souvent payées par les caisses d’allocation familiales, les dossiers peuvent devoir être déposés auprès d’autres services qui les instruisent et prennent la décision, le financeur étant encore une autre administration. Par exemple, l’allocation aux adultes handicapés (AAH) doit être demandée à la maison départementale des personnes handicapées, mise en place et animée par le conseil général, alors que la décision relève d’une commission indépendante des droits et de l’autonomie des personnes handicapées et que le financement est assuré par l’Etat.

En conséquence, les bénéficiaires potentiels ne demandent pas toujours les allocations auxquelles ils ont droit. Le taux de non-recours au RSA socle est de 36 %, 17 % des non-recourant (socle et activité) ne connaissent pas le RSA et environ sept sur dix évaluent mal leur éligibilité. Le contrôle de l’éligibilité des demandeurs est également rendu plus difficile pour les organismes gestionnaires de ces dispositifs.

Pour certaines personnes dont les charges sont nécessairement plus élevées, comme celles qui sont handicapées, la prestation de base serait majorée.

2)    Fusionner la prestation universelle et les aides personnelles au logement

La prestation sociale universelle devrait également être fusionnée avec les aides personnelles au logement : l’allocation personnalisée au logement (APL), l’allocation de logement à caractère social (ALS) et l’allocation de logement familiale (ALF). Les raisons pour lesquelles il en existe trois sont d’ailleurs surtout historiques et on pourrait commencer par les regrouper.

Les aides personnelles au logement ont pour avantage, par rapport aux « aides à la pierre » (constructions d’immeubles HLM…) de cibler les ménages qui en ont le plus besoin, de leur laisser un certain choix de logement et de ne pas freiner la mobilité. Elles ont pour inconvénient de pousser les loyers à la hausse, les propriétaires récupérant ainsi une partie des aides. Les principales contraintes en matière de logement étant du côté de l’offre, cet effet inflationniste sur les loyers est important et leur efficience est faible.

Leur articulation avec les minima sociaux est complexe et elles contribuent à la formation de « trappes à chômage » : les revenus tirées d’une activité étant à peine plus élevés que les minima sociaux majorés des aides au logement, certaines personnes peuvent ne pas être incitées à accepter des offres d’emplois.

Les aides personnelles au logement pourraient donc être supprimées et les économies ainsi dégagées devraient être utilisées pour majorer la prestation sociale universelle et permettre de la cumuler dans une proportion suffisante avec les revenus d’activité pour limiter les effets de trappe à chômage.

Cette prestation de base serait indépendante du logement occupé et du loyer payé, ce qui éviterait les effets inflationnistes sur les loyers des aides au logement. Les ménages seraient libres d’utiliser cette prestation pour louer un logement plus grand ou, par exemple, acheter des biens durables pour l’équiper. Les difficultés de logement dans certaines zones doivent être traitées par d’autres instruments de politique économique (cf. note sur la politique du logement).

Les personnes de moins de 25 ans ne devraient en bénéficier que sous certaines conditions, notamment ne pas être étudiants. Ces derniers peuvent en effet recevoir des bourses ou être rattachés au foyer fiscal de leurs parents, ce qui ouvre à ceux-ci le droit à des demi-parts supplémentaires de quotient familial.

3)    Distinguer les instruments de redistribution horizontale et verticale

Les instruments de redistribution « horizontale » (entre ménages de compositions différentes) devraient être distingués des instruments de redistribution « verticale » (entre ménages de revenus différents). En conséquence, les allocations familiales devraient être les mêmes par enfant et non pas attribuées sous condition de ressources. Le quotient familial, qui donne un avantage fiscal lié au revenu, devrait être supprimé. Les allocations familiales et l’impôt sur le revenu en seraient simplifiés.

C)    Abandonner ou réformer les outils inefficaces

1)    Abandonner les instruments fiscaux autres que les impôts sur le revenu et sur les successions et donations

Les impôts sur le revenu (impôt sur le revenu (IR) proprement dit et CSG) ont pour vocation, outre de procurer des recettes aux administrations publiques, de redistribuer les revenus par leur caractère « progressif » et leur montant global.

S’il est considéré, à tort ou à raison, que la redistribution des revenus des ménages les plus riches vers les plus pauvres est insuffisante, le moyen le plus efficace pour l’amplifier est d’accroître la progressivité et le rendement de l’IR, en modifiant son barème, et d’utiliser le surplus de recettes fiscales pour majorer l’allocation universelle. Ces deux instruments, impôt sur le revenu et prestation universelle, suffisent pour obtenir toute distribution souhaitée des revenus.

Cette note porte sur la redistribution des revenus, mais celle des patrimoines, tout au moins des patrimoines hérités, est également légitime. Les droits de succession et donation doivent donc être maintenus, voire majorés en compensation de la suppression de l’ISF.

Les taux de TVA réduits, même sur des produits dits de « première nécessité », sont beaucoup moins efficaces que les impôts sur le revenu et les prestations sous condition de ressources car ils ne peuvent pas être suffisamment ciblés sur les ménages les plus pauvres. En effet, les biens et services soumis à des taux réduits sont souvent autant, sinon plus, consommés par des ménages aisés (par exemple, les produits culturels). Le rapport de 2015 du conseil des prélèvements obligatoires sur la TVA souligne ainsi que les exonérations et les taux réduits ont un impact redistributif très limité et que la TVA est un « mauvais instrument de redistribution ». S’il est considéré que les impôts indirects ont un caractère dégressif trop marqué, il doit être compensé par une plus grande progressivité des impôts sur le revenu.

Les impôts fonciers locaux devraient refléter la valeur de marché du logement et ne pas donner lieu à des mesures d’allégement en faveur des ménages modestes. Celles qui existent actuellement sont certes pour partie justifiées par l’absurdité fréquente des valeurs cadastrales mais elles complexifient le système fiscal et créent de forts effets de seuil sans toujours atteindre l’objectif visé, limiter les impôts locaux à des montants compatibles avec les revenus des ménages les plus pauvres.

Certaines dépenses fiscales réduisent l’impôt sur le revenu des ménages aisés tout en affichant pour objectif d’aider les plus pauvres. C’est par exemple le cas de la réduction d’impôt pour investissement locatif, qui profite aux plus aisés et qui vise à aider les plus pauvres en obligeant le bailleur à prendre pour locataire des personnes dont le revenu est inférieur à des seuils réglementaires et à leur demander des loyers inférieurs à des plafonds variables selon les zones. Si l’effet de ces dispositifs sur l’impôt des ménages aisés est certain, leur efficacité pour aider les plus pauvres à se loger n’a jamais été sérieusement démontrée.

2)    Limiter les tarifs sociaux

Les ménages doivent souvent contribuer au financement de services publics, dont les tarifs dépendent alors fréquemment de leurs revenus. C’est notamment le cas des services locaux : crèches municipales, équipements sportifs et culturels, cantines scolaires, transports urbains… C’est également le cas de services publics nationaux, tels que l’électricité et le gaz, pour lesquels ont été institués, parfois récemment, des « tarifs sociaux » ou encore de l’enseignement supérieur où les frais d’inscription peuvent être payés avec des bourses.

La prestation universelle proposée ci-dessus, majorée grâce aux ressources tirées de la suppression de ces réductions tarifaires, devrait suffire pour couvrir les besoins des ménages aux revenus modestes. Il reviendrait alors à ceux-ci d’en affecter eux-mêmes le montant sans que ce choix soit orienté vers une catégorie particulière de biens ou services par les réductions de tarifs décidées par les pouvoirs publics.

Des exceptions à ce principe sont toutefois nécessaires, d’abord pour permettre aux enfants des ménages les plus modestes d’obtenir le même niveau d’éducation que les autres. Les systèmes de bourses sont donc indispensables. Des réductions tarifaires, selon les ressources des parents, pour des biens et services concernant particulièrement les enfants (cantines scolaires par exemple) sont également souhaitables.

Les services de santé doivent aussi faire exception. Les dépenses de santé peuvent être incompatibles avec les ressources de nombreux ménages et les modalités actuelles de leur remboursement ne permettent pas à une partie significative d’entre eux d’accéder aux soins nécessaires. Il est donc souhaitable de mettre en place un « bouclier sanitaire » faisant en sorte de laisser à la charge des ménages un montant de dépenses qui ne dépasse pas un pourcentage raisonnable de leurs revenus.

D)   Conclusion

La redistribution des revenus devrait reposer essentiellement sur une prestation universelle diminuant avec les revenus d’activité et sur les impôts sur le revenu. Les autres dispositifs introduits dans le système fiscal et la tarification des services publics pour aider les ménages les plus modestes devraient être supprimés et les économies réalisées être utilisées pour majorer cette prestation universelle. L’éducation des enfants des personnes les plus modestes et l’accès aux soins nécessitent cependant des dispositifs spécifiques, notamment des aides aux études et un bouclier sanitaire.

La mise en œuvre, à déficit public inchangé, de ce schéma se traduirait cependant par d’importants transferts entre les ménages. Il doit donc être compris comme une cible de long terme dont il conviendrait, au moins, de ne pas s’éloigner en multipliant les dispositifs sociaux.


[1] « The impact of publicly provided services on the distribution of ressources », OCDE, 2012.

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