Fipeco

Partager Partage sur Twitter Partage sur Facebook Partage sur Linkedin


FIPECO le 30.05.2022                                                                  

Les notes d’analyse                                                         VI) La masse salariale publique

5) Quels sont les enjeux du (dé)gel du point d’indice de la fonction publique ?

                          François ECALLE

PDF à lire et imprimer

Le point de la fonction publique devrait être bientôt dégelé mais le gouvernement n’a pas précisé de combien sa valeur pourrait être augmentée. Dans ce contexte, la présente note examine les salaires dans la fonction publique de 2007 à 2019, seule période pour laquelle des statistiques sont disponibles. Elle formule ensuite quelques observations sur les évolutions salariales après 2019 et sur les conditions de dégel du point.

A) Les salaires de la fonction publique de 2007 à 2019

1) Les principes de calcul de la rémunération des fonctionnaires

Le mode de calcul de la rémunération des fonctionnaires est précisé dans une fiche de l’encyclopédie de FIPECO. Les grands principes en sont rappelés ici.

La rémunération d’un fonctionnaire se compose d’un traitement brut de base et de primes et indemnités. Chaque fonctionnaire appartient à un corps qui est divisé en grades, chaque grade étant lui-même divisé en échelons. A chaque échelon de chaque grade de chaque corps correspond un indice qui va d’un peu plus de 320 à un peu plus de 1 500. Le traitement brut mensuel de base d’un agent est égal au produit de la valeur du point de la fonction publique par son indice. La valeur du point étant de 4,69 € en mai 2022, le traitement mensuel de base d’un agent dont l’indice est 500 s’élève à 2 345 €.

Les primes et indemnités représentaient en moyenne, avec de forts écarts, environ 30 % du traitement brut de base des fonctionnaires en 2019. Certaines sont communes à l’ensemble des agents des trois fonctions publiques ; d’autres sont spécifiques à des corps, à des ministères, aux hôpitaux, à des établissements publics ou à des collectivités territoriales. Presque toutes sont indexées sur la valeur du point.

2) L’évolution des salaires

Les statistiques salariales publiées sur le portail du ministère de la fonction publique pour chacune des trois fonctions publiques (salaire moyen par tête) commencent en 2007 et les plus récentes sont celles de 2019.

Le salaire moyen net en équivalent temps plein (primes comprises) a progressé en moyenne et en euros constants de 0,3 % par an dans la fonction publique d’Etat (FPE) et dans la fonction publique territoriale (FPT) de 2007 à 2019. Son évolution a été négative (- 0,2 %) dans la fonction publique hospitalière (FPH). Dans le secteur privé, la croissance du salaire moyen par tête a été en moyenne de 0,5 %, soit légèrement plus que dans les FPE et FPT.

Source : direction générale de l’administration et de la fonction publique ; FIPECO.

3) Le niveau des salaires en 2019

Les salariés du secteur privé étaient en moyenne en 2019 mieux payés que les agents des collectivités locales et des hôpitaux mais moins bien que ceux de l’Etat. Cette comparaison n’a toutefois pas beaucoup de signification car la répartition des emplois par catégories socioprofessionnelles dans ces quatre secteurs est très différente.

Les salaires nets mensuels moyens en 2019 (euros)

 

Etat (civils)

Collectivités locales

Hôpitaux

Secteur privé

Ensemble

2 599

1 993

2 315

2 424

Cadres

(dont hors enseignants)

 3 205

(3 584)

3 409

4 976

(y compris médecins)

 

4 230

Professions intermédiaires

2 326

2 325

2 331

2 411

Ouvriers et employés

2 137

1 755

1 752

1 786

Source : rapport de 2021 sur l’état de la fonction publique ; Insee ; salaires moyens par équivalent temps plein ; FIPECO.

Une ventilation selon les trois grandes catégories socio-professionnelles permet des comparaisons plus rigoureuses et conduit à des conclusions que des analyses plus fines ne remettent pas en cause : les cadres de la fonction publique de l’Etat (y compris hors enseignants) et des collectivités locales étaient moins bien rémunérés que ceux du secteur privé, ce que confirme une étude de l’Insee sur les 1 % de fonctionnaires les mieux payés (ils gagnaient 30 % de moins que dans le secteur privé) ; à l’inverse, les ouvriers et employés de la fonction publique d’Etat étaient mieux rémunérés que ceux du secteur privé. Les autres écarts étaient peu significatifs.

En 2019, la rémunération, primes et indemnités incluses, que dépassent les 10 % d’agents les mieux payés en équivalents temps plein (seuil du dernier décile) était 2,4 fois supérieure à celle au-dessous de laquelle se trouvaient les 10 % les moins bien payés (seuil du deuxième décile) dans la fonction publique d’Etat (2,2 dans la fonction publique hospitalière et 2,0 dans la fonction publique territoriale). Cet écart était de 2,9 dans le secteur privé.

Les comparaisons internationales sont difficiles d’un point de vue méthodologique et donc rares. Elles portent sur des professions particulières (infirmiers, enseignants…) et ne sont donc pas facilement généralisables. Elles sont surtout réalisées par l’OCDE dont les dernières données disponibles pour la France sont celles de 2018 ou 2019. Elles montrent que les salaires de ces professionnels, rapportés au niveau moyen ou médian des salaires (parfois des seuls salariés ayant une qualification équivalente), étaient en France proches de, ou légèrement inférieurs à, la moyenne de l’OCDE.

4) La politique salariale

La politique salariale a été marquée par le quasi-gel de la valeur du point d’indice de la fonction publique depuis 2010 (il a seulement été majoré de 1,2 % en 2016-2017).

Le pouvoir d’achat des fonctionnaires en poste a néanmoins été accru. La « rémunération moyenne des présents-présents » (RMPP), c’est-à-dire des personnes en place deux années successives, a augmenté de 1,3 % en moyenne par an en termes réels pour la FPE de 2009 à 2019, de 1,0 % pour la FPT et de 0,8 % pour la FPH (2,2 % dans le secteur privé, mais il n’est pas sûr qu’elle soit calculée de la même façon). Malgré le gel du point, elle est restée largement positive du fait des augmentations individuelles (avancement, promotions) et catégorielles (création ou revalorisation de primes spécifiques et aménagement des grilles propres à des catégories particulières d’agents) ainsi que de la garantie individuelle de pouvoir d’achat (GIPA) dont bénéficient les fonctionnaires (la GIPA compense la perte de pouvoir d’achat résultant d’une évolution du traitement brut inférieure à l’inflation sur une période de quatre ans)[1].

En revanche, les salaires des nouvelles recrues sont quasiment gelés depuis 2010, sauf ceux des ouvriers et employés car, d’une part, le traitement minimal de la fonction publique ne peut pas être inférieur au SMIC et, d’autre part, des mesures catégorielles ont été prises pour revaloriser les bas salaires. En contrepartie de ces revalorisations des bas salaires, les perspectives de progression des rémunérations des ouvriers et employés dans les premières années de leur carrière ont été limitées.

Il résulte de ce gel des salaires de départ une diminution de l’attractivité de la fonction publique dont le taux de sélectivité des concours externes est un indicateur (nombre de candidats présents / nombre de postes offerts). Il est passé de 23,6 en 2010 à 10,1 en 2019 pour les cadres hors enseignants, de 5,3 à 3,6 pour les enseignants, de 24,4 à 6,6 pour les professions intermédiaires et de 15,1 à 6,6 pour les ouvriers et employés.

La rémunération n’est certes pas le seul facteur pouvant expliquer ces évolutions. L’organisation et l’intérêt du travail, la reconnaissance sociale de son utilité, les perspectives de carrière, les zones géographiques d’affectation… peuvent jouer un rôle important. Il en est de même de la situation globale du marché du travail, marquée également par un renforcement des difficultés de recrutement dans le secteur privé à la fin des années 2010. La faiblesse des salaires de départ dans la fonction publique, qui résulte du gel du point, contribue néanmoins certainement à réduire son attractivité.

B) Les salaires publics au-delà de 2019

Dans un contexte où l’inflation pourrait redevenir durablement forte et se répercuter dans les évolutions salariales du secteur privé, le dégel de la valeur du point est nécessaire pour ne pas réduire plus l’attractivité de la fonction publique et par équité envers les fonctionnaires, mais il reste à déterminer de combien il faudrait l’augmenter ce qui n’est pas une question triviale.

1) La contrainte budgétaire

Il est souvent affirmé qu’une inflation plus forte facilite la gestion des finances publiques en contribuant à diminuer le rapport de la dette publique au PIB. C’est en principe exact à court et moyen terme, c’est-à-dire tant que le taux d’intérêt apparent de la dette publique (rapport de sa charge d’intérêts à son montant en fin d’année précédente) n’a pas augmenté autant que le taux d’inflation.

En pratique, c’est moins sûr si la hausse du taux d’inflation résulte principalement des produits importés et, surtout, si le gouvernement prend des mesures budgétaires nouvelles visant à compenser les pertes de pouvoir d’achat des ménages. Le cas échéant, et c’est la situation dans laquelle se trouve la France, l’inflation risque plutôt de contribuer à une dégradation des finances publiques (cf. note sur ce site).

Or, il faudra un jour ou l’autre reprendre le contrôle de la dette publique en la stabilisant car le soutien de la Banque Centrale Européenne ne peut pas être considéré comme illimité. Pour cela, il faudra réduire le déficit public et, si les prélèvements obligatoires ne sont pas accrus, maîtriser la croissance des dépenses publiques (cf. note sur ce site).

La contrainte budgétaire existe donc toujours et la revalorisation du point de la fonction publique devra en tenir compte sachant que chaque augmentation de 1,0 % de sa valeur a un coût de 800 M€ pour l’Etat, de 100 M€ pour ses opérateurs, de 600 M€ pour les administrations locales et de 500 M€ pour les administrations sociales (surtout les hôpitaux), soit un total de 2,0 Md€.

Il s’agit du coût hors prise en compte des cotisations sociales des employeurs. Il serait proche de 3,0 Md€ si ces cotisations étaient incluses, mais elles sont versées à des régimes de sécurité sociale qui sont des administrations publiques et elles n’ont donc aucun effet sur le déficit public. L’augmentation des pensions qui résulte de la revalorisation du point a en revanche un impact sur le déficit public mais il est très progressif, au fur et à mesure que les fonctionnaires en poste prennent leur retraire avec un salaire de référence revalorisé.

2) La situation en 2022

Les statistiques disponibles ne permettent de connaître les salaires et les taux de sélectivité de l’ensemble des concours qu’en 2019 alors que la situation a manifestement beaucoup évolué depuis lors.

Considérant qu’une revalorisation du point a un coût budgétaire très élevé alors que son impact en euros sur les feuilles de paye n’est pas toujours perçu par les agents, les gouvernements ont privilégié depuis 2016 les mesures catégorielles.

Une réforme des grilles salariales de nombreux corps a été engagée en 2016 et terminée en 2021. La crise sociale de 2018 puis la crise sanitaire ont ensuite conduit les gouvernements successifs à prendre des mesures en faveur des forces de l’ordre, des enseignants, des personnels des hôpitaux et des établissements médico-sociaux (Ségur de la santé) … dont le coût pouvait se compter en milliards d’euros.

Certaines de ces mesures étaient sûrement justifiées mais d’autres ont sans doute été prises en fonction du pouvoir de négociation des personnels intéressés, avec des risques d’aggravation des inégalités de traitement au sein de la fonction publique. Les écarts entre les régimes indemnitaires des ministères ont pu être élargis alors qu’ils font obstacle à la nécessaire mobilité professionnelle des fonctionnaires.

La revalorisation du point est nécessaire pour toucher les agents qui n’ont pas bénéficié de ces mesures catégorielles, surtout si leur poste est peu attractif, mais on ne sait pas combien et où ils sont. Avant de dégeler le point, il faudrait donc établir un état des lieux précis des salaires et de l’attractivité dans la fonction publique à un niveau suffisamment fin. Cet exercice est difficile puisque les données statistiques manquent mais l’administration, avec ses services d’inspection, ou la Cour des comptes devraient pouvoir fournir des éléments quantitatifs d’appréciation permettant d’éclairer des débats qui pourraient devenir très vifs.

La revalorisation du point est parfois écartée au motif qu’elle conduit à des augmentations en euros d’autant plus fortes que le salaire est élevé, ce qui serait injuste et inefficace. En fait, elle se traduit par une hausse identique pour tous les agents en pourcentage du salaire et n’a donc pas d’effet sur la distribution des revenus et les inégalités alors que les mesures prises ces dernières années ont eu tendance à favoriser les bas salaires et à comprimer la hiérarchie des rémunérations. Les comparaisons avec le secteur privé montrent d’ailleurs que les salaires des cadres supérieurs de l’Etat sont inférieurs à ceux du privé, ce qui commence à poser un problème d’attractivité. La réforme en cours de la haute fonction publique, avec notamment la fusion de nombreux corps dans un nouveau corps des administrateurs de l’Etat, pourrait contribuer à résoudre ce problème mais les informations manquent pour le vérifier.

Il faut enfin rappeler que l’attractivité de la fonction publique et l’efficacité des fonctionnaires ne tiennent pas seulement aux salaires mais à un ensemble de facteurs tels que le sens donné à leurs missions ou l’organisation du travail qui peuvent être améliorés à un coût inférieur à celui d’une revalorisation du point.

Les observations qui précèdent reposent sur l’hypothèse du maintien d’une même valeur du point pour l’ensemble des trois fonctions publiques alors que le pouvoir de fixer une valeur du point différente de celle de l’Etat pourrait être attribué aux collectivités locales ou aux hôpitaux. Une telle réforme appellerait des analyses qui sortent du champ de ce billet.

C) Conclusion

Le salaire moyen net par équivalent temps plein a progressé en moyenne et en euros constants de 0,3 % par an dans la fonction publique d’Etat (FPE) et dans la fonction publique territoriale (FPT) de 2007 à 2019. Son évolution a été négative (- 0,2 %) dans la fonction publique hospitalière (FPH). Dans le secteur privé, il a progressé en moyenne de 0,5 % par an.

En 2019, les cadres de la fonction publique de l’Etat et des collectivités locales étaient moins bien rémunérés que ceux du secteur privé ; en revanche, les ouvriers et employés de la fonction publique d’Etat étaient mieux rémunérés que ceux du secteur privé. Les autres différences étaient peu significatives. Les écarts entre les agents les mieux et les moins bien payés étaient plus faibles dans le secteur public que dans le secteur privé. Des comparaisons internationales étaient possibles pour seulement quelques professions et montraient que leurs salaires étaient relativement plus faibles en France.

La politique salariale a été marquée par le quasi-gel de la valeur du point depuis 2010. Le pouvoir d’achat des personnes en place depuis 2009 a néanmoins augmenté de 1,3 % par an pour la FPE, de 1,0 % pour la FPT et de 0,8 % pour la FPH de 2009 à 2019 du fait des avancements et promotions, des mesures catégorielles et de la garantie individuelle de maintien du pouvoir d’achat.

En revanche, les salaires d’entrée dans la fonction publique sont quasiment gelés en euros courants depuis 2010, sauf pour les postes les moins qualifiés, ce qui conduit à une diminution de l’attractivité des administrations. Le rapport du nombre de candidats présents au nombre de postes offerts dans les concours externes est passé de 23,6 en 2010 à 10,1 en 2019 pour les cadres hors enseignants, de 5,3 à 3,6 pour les enseignants, de 24,4 à 6,6 pour les professions intermédiaires et de 15,1 à 6,6 pour les ouvriers et employés.

Dans un contexte où l’inflation pourrait redevenir durablement forte et se répercuter dans les évolutions salariales du secteur privé, le dégel du point est nécessaire pour ne pas réduire plus l’attractivité de la fonction publique, notamment celle des postes d’encadrement, et par équité envers les fonctionnaires, mais il reste à déterminer de combien il faudrait l’augmenter.

La contrainte budgétaire n’a pas disparu et la revalorisation du point devra en tenir compte sachant que chaque augmentation de 1,0 % de sa valeur a un coût de 2,0 Md€ pour l’ensemble des trois fonctions publiques.

Les salaires et les conditions d’attractivité ont évolué depuis 2019 notamment parce que d’importantes mesures catégorielles ont été mises en œuvre dans la fonction publique et parce que les entreprises privées ont aussi des difficultés de recrutement. Malgré l’absence de statistiques, il faudrait établir un état des lieux en 2022 tenant compte de ces mesures et des autres facteurs d’attractivité (organisation du travail…) avant de dégeler le point.

 

[1] L’écart entre les évolutions du salaire moyen par tête (SMPT) et de la rémunération moyenne des personnes en place (RMPP) tient à ce qu’on appelle le GVT négatif ou l’effet de noria, c’est-à-dire l’effet du remplacement des agents qui partent par des nouvelles recrues dont le premier salaire est plus faible. Le GVT négatif réduit la croissance du SMPT par rapport à celle de la RMPP.

Revenir en haut de page