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22/11/2023

Finances publiques et action pour le climat

François ECALLE

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Le rapport de Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry sur les « incidences économiques de l’action pour le climat » constitue une très bonne source d’informations et d’analyses pour examiner les conséquences de la lutte contre le changement climatique sur les finances publiques. Les principales conclusions en sont les suivantes pour ce qui concerne les comptes publics.

Si on peut espérer le retour à une croissance plus forte à long terme, au moins par rapport à un scénario sans action pour le climat, la transition se paiera pendant au moins dix ans par une réduction de la croissance potentielle, donc par moins de recettes publiques. Les dépenses publiques supplémentaires nécessaires étant par ailleurs d’environ 1,5 % du PIB en 2030, la dette publique pourrait être majorée de 10 points de PIB à cet horizon.

Une augmentation des impôts sera nécessaire pour limiter l’endettement public, des économies d’un niveau suffisant sur d’autres postes étant peu réalistes compte-tenu des efforts nécessaires par ailleurs pour redresser les finances publiques. Cette hausse des impôts, si elle porte sur les plus aisés, facilitera en outre l’acceptation sociale de la transition climatique. Malgré cette hausse de la pression fiscale, il faudra accepter une augmentation de la dette publique.

Ce rapport appelle des réserves, notamment les suivantes.

Tout en reconnaissant son efficacité, ses auteurs ne recommandent pas une nouvelle hausse de la tarification du carbone au-delà de l’extension du marché européen de quotas de carbone qui est déjà prévue. Or le conseil national de la productivité, dans son rapport d’octobre 2023, observe que le mécanisme d’ajustement aux frontières n’empêchera pas une dégradation de la compétitivité des entreprises européennes due à ces quotas et propose une forme innovante et intéressante de taxe carbone qui, à l’instar de la TVA, aurait peu d’effet sur leur compétitivité.

Une grande part du produit de cette taxe devrait être utilisée pour apporter une compensation aux ménages modestes. Elle diminuerait néanmoins la contrainte sur les finances publiques en remplaçant une partie des subventions recommandées par S. Mahfouz et J. Pisani-Ferry pour inciter ménages et entreprises à moins émettre de gaz carbonique.

Il serait risqué de se résigner à laisser la dette publique augmenter, même pour réduire la « dette carbone », ou d’augmenter les autres prélèvements obligatoires au motif qu’il est très difficile, socialement et politiquement, de faire des économies. Dans ces conditions, le modèle de taxe carbone proposé par le conseil national de la productivité mérite une très grande attention.

A) Le rapport Mahfouz Pisani

Le rapport commandé à J. Pisani-Ferry et dont S. Mahfouz était la rapporteure générale met en avant les messages suivants si on se limite à ceux qui peuvent concerner les finances publiques.

L’action pour le climat devra reposer sur la réorientation du progrès technique vers les technologies vertes, sur la sobriété énergétique (entendue comme une réduction de la consommation d’énergie qui ne découle pas de gains d’efficacité énergétique) et sur la substitution d’énergie décarbonée aux énergies fossiles. Il faudra faire en dix ans ce qu’il a été difficile de faire en 30 ans.

Si on peut espérer le retour à une croissance plus forte à long terme, au moins par rapport à un scénario sans action pour le climat, la transition se paiera pendant plus de dix ans par une réduction des gains de productivité et de la croissance potentielle, donc par moins de recettes pour les administrations publiques. En outre, la décarbonation de l’économie diminuera le rendement des taxes sur les énergies fossiles.

La transition climatique nécessitera certes un supplément d’investissements, net des désinvestissements dans les productions carbonées, de plus de deux points de PIB à l’horizon de 2030 par rapport à un scénario à politique inchangée. Mais ces investissements, qui consisteront surtout à remplacer des équipements par d’autres, n’augmenteront pas le potentiel de croissance.

L’extension prévue du marché européen de quotas de carbone incitera les entreprises à orienter leurs investissements dans ce sens, mais il faudra surtout compter sur la réglementation, sur les investissements des administrations publiques pour décarboner leur propre production et sur des subventions publiques aux entreprises et ménages. Les investissements nécessaires seront considérables pour les classes moyennes et pourront difficilement être financés sans soutien public.

Les dépenses publiques supplémentaires pourraient être ainsi comprises entre 1,0 et 1,5 % du PIB (scénario optimal pour les auteurs) en 2030 (dont 0,4 % du PIB pour la rénovation thermique des bâtiments publics et 0,5 % pour les aides à la rénovation thermique des logements ; voir tableau plus loin).

Même en supposant que la diminution du rendement des taxes sur l’énergie sera compensée par d’autres impôts pour maintenir constant le taux des prélèvements obligatoires, la dette publique pourrait être majorée de 10 points de PIB en 2030 et de 25 points en 2040.

L’action pour le climat risque en outre d’avoir des effets inflationnistes. Si la BCE ne relève pas sa cible d’inflation, elle pourrait alors maintenir des taux d’intérêt élevés qui aggraveront la situation des finances publiques et pourraient affecter la croissance potentielle.

Ces dépenses publiques supplémentaires devraient pouvoir être financées par des économies sur les autres dépenses budgétaires et fiscales, notamment celles qui sont contraires aux objectifs environnementaux. Il est toutefois vraisemblable que ces redéploiements seront largement insuffisants.

Une hausse des prélèvements obligatoires sera donc probablement nécessaire, pour limiter l’endettement public mais aussi, et surtout, pour faciliter l’acceptation sociale d’une transition climatique dont le coût pourrait être élevé pour les classes modestes et moyennes de la population malgré les aides publiques. Un prélèvement exceptionnel et temporaire sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés pourrait être envisagé dans cette optique.

Cet impôt sera toutefois insuffisant pour couvrir les dépenses publiques supplémentaires. En conséquence, « l’endettement public n’est pas le premier instrument de financement de la transition mais contraindre à l’excès la possibilité d’y avoir recours risque de compliquer encore la tâche des décideurs publics ».

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Source : rapport de J. Pisani-Ferry et S. Mahfouz.

B) Commentaires sur ce rapport

Comme le soulignent J. Pisani et S. Mahfouz, les incertitudes sont très grandes et les chiffres souvent précis qu’ils donnent doivent être considérés comme des ordres de grandeur permettant d’illustrer des problématiques. Les commentaires suivants portent seulement sur les parties de leur rapport qui concernent les finances publiques et sur lesquelles des réserves doivent être formulées.

1) La taxe carbone

La synthèse de leur rapport se termine par le paragraphe suivant : « La bonne méthode pour piloter la transition doit reposer sur un équilibre entre subventions, réglementation et tarification du carbone. Mieux que les États-Unis ou que la Chine, l’Europe et la France combinent aujourd’hui les trois instruments. En dépit des difficultés politiques et sociales, il ne faut pas renoncer au signal-prix, qui permet d’orienter les décisions de façon décentralisée ».

Les auteurs y renoncent pourtant en raison de ces difficultés politiques et sociales illustrées par le mouvement des gilets jaunes et alors même qu’ils écrivent quelques paragraphes auparavant : « les réglementations ne sont pas plus indolores que la tarification du carbone », ce qui est tout-à-fait pertinent.

Ils soulignent certes que le marché européen des quotas de carbone sera étendu aux secteurs des transports maritimes et aériens intra-communautaires et qu’un deuxième marché couvrira le transport routier de marchandises et le chauffage des logements dans les prochaines années. Or un marché de quotas de carbone avec allocation initiale payante a des propriétés économiques très proches de celles d’une taxe sur le carbone (cf. fiche de FIPECO sur les instruments de lutte contre les pollutions).

Une taxe est toutefois plus facile à mettre en place qu’un marché de quotas lorsque les émetteurs de polluants sont de petite taille. Il n’est donc pas sûr que l’extension du marché européen aux transports routiers et au chauffage des logements soit préférable à une taxation de leur consommation de carbone.

Quoi qu’il en soit, comme le rappelle une note de novembre 2023 du conseil d’analyse économique, de nombreux établissements sont exemptés de quotas ou les reçoivent gratuitement au motif qu’ils sont soumis à une forte concurrence internationale. Celle-ci devrait toutefois être atténuée par la mise en place progressive d’un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » conduisant à taxer les importations de produits dont la production en Europe est soumise à des quotas avec une allocation initiale payante. Il est donc prévu qu’une diminution des quotas gratuits accompagne la montée en charge de cette taxe carbone aux frontières.

Le conseil national de la productivité souligne toutefois dans son rapport d’octobre 2023[1] que cette taxe carbone aux frontières ne compensera que partiellement (environ 40 %) le handicap de compétitivité des entreprises européennes au regard des importations venant de pays faisant moins d’efforts et qu’elle dégradera leur compétitivité à l’exportation dans la mesure où les intrants de la production européenne seront plus chers. En outre, cette taxe aux frontières ne compensera pas les pertes de compétitivité résultant des normes environnementales.

Le conseil national de la productivité formule dans ce rapport des propositions visant à tarifer le carbone sans réduire la compétitivité en partant de l’obligation que les entreprises européennes ont déjà de tenir une comptabilité carbone quand elles ont plus de 500 salariés, et bientôt seulement 200. Une généralisation de cette comptabilité carbone, et des factures faisant apparaître le contenu en carbone des produits vendus, permettrait de mettre en place une taxe sur le contenu en carbone des produits au moment de leur consommation finale. Les produits importés seraient ainsi taxés comme les produits nationaux et les exportations ne seraient pas touchées. Les simulations présentées montrent que cette mesure aurait un fort impact à la baisse sur les émissions de gaz carbonique.

En poussant le raisonnement un peu plus loin, on pourrait envisager une taxe carbone analogue à la TVA : paiement de la taxe par l’acheteur au vendeur qui la reverse à l’Etat en se faisant rembourser la taxe payée sur ses propres achats (en suivant le même circuit que la TVA) ; taxation du contenu en carbone des importations sur le modèle du mécanisme aux frontières actuel ; exonération de taxe à l’exportation. Les bilans carbone des entreprises sont certes encore souvent rudimentaires, mais ils devront de toutes façons être améliorés. Les petites entreprises pourraient être exonérées comme avec la franchise de TVA.

Une telle taxe carbone, comme la TVA, aurait un impact inflationniste, ce qui pourrait dégrader la compétitivité à travers les hausses de salaires qui en résulteraient. Mais les mesures alternatives (taxe carbone actuelle, quotas de carbone, normes environnementales, dépenses publiques) ont aussi des effets inflationnistes.

Comme la TVA, une taxe carbone de ce type n’affecterait la compétitivité que par le biais d’une hausse des salaires et, si les revenus ne suivent pas, pèserait sur le pouvoir d’achat des ménages et plus particulièrement sur celui des plus modestes. Les recettes supplémentaires devraient donc être, pour une large part, affectées au financement de mesures de compensation (pour le conseil national de la productivité, cette compensation devrait même précéder la mise en place de la taxe). Dans une note de 2019, le conseil d’analyse économique a montré que des transferts aux ménages conditionnés par leurs revenus et leur lieu de résidence peuvent réduire significativement l’ampleur de ce problème de justice sociale.

Une telle mesure ne permettrait pas d’augmenter fortement les recettes publiques, après déduction de ces transferts aux ménages. Mais, en faisant payer aux ménages et entreprises le prix du carbone, elle les inciterait à décarboner leur consommation pour les premiers et leurs processus de production pour les deuxièmes, ce qui permettrait de réduire les subventions envisagées par S. Mahfouz et J. Pisani-Ferry pour les y inciter.

2) L’endettement public

Le rapport de S. Mahfouz et J. Pisani-Ferry suggère d’accepter une augmentation de la dette publique pour diminuer la « dette carbone ». Le fait que le surcroît d’endettement public permette de financer des mesures en faveur de la lutte contre le changement climatique ne réduit cependant pas les risques associés à cet endettement, sauf à très long terme si ces mesures permettent d’avoir un PIB potentiel supérieur à celui d’un scénario à politique constante, ce qui n'est pas sûr.

Les risques d’insoutenabilité de la dette publique sont importants même si le taux d’intérêt du stock de dette est inférieur au taux de croissance nominal du PIB et pourraient devenir ingérables si ce taux d’intérêt repassait au-dessus du taux de croissance, ce qui ne peut pas être exclu à plus ou moins long terme. Laisser filer la dette publique nous ferait crucialement dépendre de la BCE en cas de forte montée de la prime de risque sur les obligations du trésor françaises et il ne faudrait donc pas s’y résigner. Ce sujet est plus amplement développé dans une autre note sur ce site.

3) Le redéploiement des dépenses publiques

Le supplément de dépenses publiques nécessaire pour lutter contre le changement climatique est au plus de 1,5 % du PIB et pourrait être nettement plus faible si une taxe carbone du type de celle présentée ci-dessus était mise en place.

Comme les dépenses publiques représentent 58 % du PIB, il est certainement possible de les redéployer pour financer l’action pour le climat à budget constant. Il faut toutefois également accroître d’autres dépenses (budget militaire…) et, surtout, réduire le déficit public.

La loi de programmation des finances publiques a l’ambition d’atteindre tous ces objectifs mais elle repose sur un scénario macroéconomique trop optimiste et sur des économies très peu documentées et plus importantes que celles réalisées dans le passé sur un même nombre d’années. De telles économies sont réalisables en théorie mais elles sont très peu probables dans le contexte politique et social de la France d’aujourd’hui.

4) La hausse des prélèvements obligatoires

Dans ces conditions, se pose la question d’une hausse des prélèvements obligatoires. La France est toutefois au premier rang de l’Union européenne pour le taux de ces prélèvements en 2022, et très probablement de l’OCDE, loin devant le deuxième pays (la Belgique). Les marges de hausse sont donc très faibles, sauf à risquer de dégrader encore plus la compétitivité des entreprises et l’attractivité du territoire.

Ces quelques marges pourraient toutefois être utilisées pour instaurer une taxe carbone qui ne dégrade pas trop la compétitivité telle que décrite ci-dessus.

La réduction, ou la suppression, de certaines niches fiscales est également souhaitable, surtout si elles sont « brunes », mais elle peut se traduire par une hausse de la pression fiscale de nature à dégrader la compétitivité des entreprises concernées.

Un impôt exceptionnel et temporaire sur la fortune des ménages les plus aisés, comme le proposent S. Mahfouz et J. Pisani-Ferry, pourrait avoir des propriétés économiques intéressantes si son caractère exceptionnel et temporaire était crédible, ce qui est peu probable en France (cf. note sur cette proposition sur ce site).

Si une hausse de la pression fiscale doit être envisagée avec précaution, il faut certainement arrêter de baisser les impôts tant que le déficit public n’est pas revenu à un niveau permettant de réduire la dette. Les impôts de production comme la CVAE ont sans doute des effets négatifs sur la compétitivité mais, s’ils sont réduits sans que les dépenses publiques ne le soient en parallèle, il est fort probable qu’ils soient de nouveau majorés après les prochaines élections présidentielles et législatives. La suppression définitive de la CVAE devrait donc être reportée à 2027 et conditionnée par le respect de l’évolution des dépenses publiques inscrite dans la loi de programmation.

 

[1] La présidente du conseil est Natacha Valla, doyenne de l’école du management et de l’innovation de Sciences-Po Paris, et le rapporteur général est Vincent Aussilloux, chef du département Economie de France Stratégie.

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