07/06/2021
Les économies nécessaires pour réaliser le programme de stabilité 2021-2027
François ECALLE
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Le programme de stabilité transmis à la Commission européenne en avril dernier prévoit une croissance annuelle moyenne de 0,7 % des dépenses publiques en volume sur la période 2023-2027 (hors crédits d’impôts et hors impact des mesures d’urgence et de relance).
Pour chiffrer les économies nécessaires à la réalisation de ce programme, il faut d’abord estimer ce que serait la croissance des dépenses publiques « à politique constante » (aussi appelée « croissance tendancielle des dépenses »). Pour certaines dépenses comme les retraites, cette croissance tendancielle est celle qui résulte de la réglementation en vigueur et de la démographie. Pour des dépenses dont les déterminants sont mal connus, comme les investissements publics, l’usage est de retenir leur croissance moyenne sur une période de référence, souvent conventionnelle, dans le passé.
Deux fiches de FIPECO présentent les méthodes d’estimation de la croissance tendancielle des dépenses publiques, pour la première, et les méthodes de chiffrage des économies prévues ou réalisées en fonction de cette croissance tendancielle, pour la deuxième.
La croissance tendancielle des dépenses publiques pour 2018-2022 a été estimée à 1,6 % par an par la Cour des comptes dans son rapport d’audit des finances publiques de 2017. A défaut d’une nouvelle estimation, ce taux de croissance est retenu dans ce billet. Dans ces conditions, les économies nécessaires pour réaliser le programme de stabilité doivent être égales chaque année à 0,9 % des dépenses publiques[1], soit environ 12 Md€. Sur cinq ans, il faut donc réaliser 60 Md€ d’économies.
Les mesures qui suivent permettraient de les obtenir, mais d’autres sont envisageables et elles ne sont pas nécessairement les plus pertinentes car elles ont surtout été choisies parce qu’elles sont relativement faciles à chiffrer. Ce chiffrage de leur impact budgétaire ne tient pas compte de leurs effets macroéconomiques, ceux-ci étant supposés pris en compte dans le scénario économique du programme de stabilité. Pour toutes ces mesures, l’impact budgétaire affiché est celui qui serait observé au bout de cinq ans.
Reculer l’âge minimal de départ en retraite d’un trimestre par génération (soit 5 trimestres sur un quinquennat) permettrait de réaliser une économie de 7 Md€ au bout de cinq ans. Cette mesure aurait aussi pour avantage, et c’est son principal intérêt, d’augmenter l’emploi et donc les recettes publiques à moyen terme (cf. note sur ce site pour plus de précisions sur ses effets économiques et sur les autres mesures envisageables pour reculer l’âge effectif de départ en retraite).
Indexer les pensions sur seulement la moitié de l’inflation prévue dans le programme de stabilité (c’est-à-dire les revaloriser de 0,8 % au lieu de 1,6 % par an) pendant trois années permettrait de réaliser une économie de 8 Md€ sur le quinquennat.
La Cour des comptes a retenu une croissance annuelle tendancielle de 4,0 % en valeur (soit 2,3 % en volume) des dépenses d’assurance maladie (ONDAM). Maintenir leur croissance à 3,0 % par an permettrait de réaliser une économie de 10 Md€ au bout de 5 ans. Cet objectif pourrait être atteint soit en améliorant la productivité du système de santé (meilleure coordination des acteurs, réduction des actes inutiles…) et en réduisant ainsi les dépenses de santé, soit sans réduire les dépenses de santé mais en augmentant la contribution des ménages à leur financement (hausse des tickets modérateurs…). Dans ce deuxième cas, il faudrait protéger les plus modestes en plafonnant les restes à charge en fonction des revenus (dispositif dit « bouclier sanitaire »).
La progression tendancielle des effectifs de la fonction publique est à peu près nulle s’agissant de la fonction publique d’Etat et de l’ordre de 1,0 % par an s’agissant de la fonction publique territoriale. Si les effectifs diminuaient de 1,0 % par an dans la fonction publique d’Etat (soit 25 000 postes de moins par an), l’économie serait de 4 Md€ au bout de cinq ans et si les effectifs étaient stables dans la fonction publique territoriale, l’économie serait de 2,5 Md€, soit un total de 6,5 Md€ (cf. note sur les objectifs d’évolution des emplois publics). Une hausse de la durée du travail dans les services publics, notamment dans les collectivités territoriales, faciliterait la réalisation de ces objectifs.
Une revalorisation annuelle du point de la fonction publique de 33 % de l’inflation au lieu de 66 % (coefficient d’indexation retenu par la Cour pour estimer la croissance tendancielle des dépenses de personnel), permettrait d’économiser 5 Md€ sur cinq ans (le pouvoir d’achat des fonctionnaires est aussi soutenu par d’autres dispositifs, notamment des mesures catégorielles qui s’appliquent à des catégories particulières d’agents).
Une croissance annuelle des dépenses de fonctionnement des administrations publiques locales (hors masse salariale) de 1,5 % au lieu de 3,5 % permettrait d’économiser 5 Md€ sur cinq ans. L’Etat ne maîtrise pas directement ces dépenses des collectivités locales, de même que leurs frais de personnel, et il peut seulement les inciter à réaliser ces économies, par exemple en réduisant ses dotations, comme il l’a fait sous le quinquennat précédent, ou en conditionnant le maintien de ses dotations à de telles économies, comme il l’a fait pendant le quinquennat actuel (cf. note sur ce site relative à la justification et aux modalités de mesures visant à ralentir la croissance des dépenses publiques locales).
Une baisse de 10 % des subventions aux entreprises des secteurs des transports (SNCF, RATP…) et de l’énergie (subventions à EDF pour acheter l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables) permettrait d’économiser 3 Md€.
Réduire de moitié l’écart, en points de PIB, entre les dépenses publiques affectées aux politiques culturelles, sportives et récréatives en France (1,4 % du PIB en 2019) et dans la zone euro (1,1 % du PIB) se traduirait par une économie de 4 Md€ (cf. note sur la comparaison des dépenses publiques en France et dans la zone euro. Cela suppose de nombreuses décisions de la part d’un grand nombre d’acteurs (l’Etat et ses opérateurs, les collectivités territoriales).
Enfin, la croissance tendancielle des dépenses estimée par la Cour des comptes intégrait une augmentation de la charge d’intérêts de la dette publique. Or, même si le taux des nouveaux emprunts remonte depuis la fin de 2020, il est très probable que les intérêts de la dette continueront de diminuer dans les prochaines années du fait du remplacement progressif de vieux emprunts à taux élevés par de nouveaux emprunts à taux plus faible. Une économie de 10 Md€ pourrait être attendue par rapport au scénario tendanciel de la Cour.
La croissance tendancielle des dépenses estimée par la Cour des comptes supposait enfin une stabilisation du taux de chômage et des dépenses d’indemnisation. Le scénario économique du programme de stabilité intègre une baisse du chômage et une économie de 3 Md€ est attendue sur ces dépenses (indépendamment de toute réforme de l’assurance chômage).
Le tableau suivant récapitule ces mesures, qui permettraient de réaliser un peu plus de 60 Md€ d’économies sur cinq ans et ainsi de respecter la trajectoire d’évolution des finances publiques inscrites dans le programme de stabilité. Cette trajectoire conduit à un niveau d’endettement public à la fin de 2027 qui représente encore 118 % du PIB malgré ces efforts d’économies et en supposant qu’il n’y aura pas de mesures fiscales nouvelles.
La maîtrise des finances publiques devra aussi passer par une réduction des dépenses fiscales, mais ce n’est pas prévu dans le programme de stabilité et il n’est donc pas donné ici d’exemples de niches fiscales à supprimer. Les dépenses publiques visées par le programme de stabilité sont même hors crédits d’impôts alors que ceux-ci sont traités comme des dépenses publiques par l’Insee et dans les statistiques internationales de finances publiques.
Exemples d’économies permettant de respecter le programme de stabilité
(Impact budgétaire en Md€ au bout de cinq ans)
Mesures
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Impact
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Reculer l’âge minimal de départ en retraite d’un trimestre par génération
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7
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Indexer les pensions de retraite sur la moitié de l’inflation pendant 3 ans
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8
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Limiter à 3,0 % par an la croissance des dépenses d’assurance maladie en valeur
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10
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Réduire de 1,0 % par an les effectifs de la fonction publique d’Etat
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4
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Stabiliser les effectifs de la fonction publique locale (au lieu d’une hausse de 1,0 % par an)
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2,5
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Limiter les revalorisations du point de la fonction publique à 33 % de l’inflation au lieu de 66 %
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5
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Limiter la croissance des dépenses de fonctionnement des collectivités locales à 1,5 % par an au lieu de 3,5 %
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5
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Réduire de 10 % les subventions aux secteurs des transports et de l’énergie
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3
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Réduire de moitié l’écart entre les dépenses affectées aux sports, aux loisirs et à la culture en France et dans la zone euro
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4
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Poursuite de la baisse de la charge d’intérêts de la dette publique
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10
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Baisse des indemnités due à la baisse du chômage
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3
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Total
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61,5
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SouSource : FIPECOrce : FIPECO
Ces mesures ont pour la plupart été déjà mises en œuvre dans les années 2011-2019 : un recul de huit trimestres de l’âge minimal de départ en retraite, étalé sur huit ans, a été voté en 2010 et a été complété par une hausse de la durée de cotisation requise pour obtenir le taux plein ; les pensions de retraite ont été désindexées plus strictement mais moins longtemps (sur 2019-2020) ; le ralentissement des dépenses d’assurance maladie a été plus fort, l’ONDAM ayant été ramené au-dessous de 2,5 % par an ; le gel du point de la fonction publique a été plus strict (il n’a été interrompu qu’en 2017) ; les dépenses de fonctionnement des collectivités locales ont ralenti sous l’effet d’une forte baisse des dotations de l’Etat ; la charge d’intérêt de la dette publique a baissé de 20 Md€ de 2010 à 2020…
Le programme de stabilité suppose de mettre en œuvre des réformes qui entraînent des économies d’un montant équivalent à celles qui ont été réalisées au cours de la précédente décennie. Celles-ci ont permis de ramener la croissance des dépenses publiques en volume de 2,3 % par an dans les années 2001-2007 (soit un rythme supérieur à la croissance tendancielle du fait de nombreuses mesures nouvelles ayant contribué à augmenter les dépenses) à 0,7 % par an dans les années 2011-2019.
Malheureusement, il est peu probable qu’un nouveau programme d’économies de cette ampleur soit mis en œuvre au cours du prochain quinquennat, après les mouvements sociaux de l’automne 2018 et deux ans de « quoiqu’il en coûte ».
Source : Insee jusqu’à 2020 puis programme de stabilité d’avril 2021 et FIPECO. Dépenses déflatées par l’inflation tabac inclus.