04/02/2021
François ECALLE
Dans sa présentation de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, le Président de la République a annoncé le 13 septembre 2018 la création d’un « revenu universel d’activité qui fusionne le plus grand nombre de prestations », mais il existe plusieurs formes de revenu universel dont les principes et les objectifs sont très différents.
Dans une version très « libérale », le revenu universel est une somme forfaitaire versée sans condition à tous les Français (ou résidents), de tous âges, qui leur assure une ressource minimale pour vivre. Ils peuvent la compléter en exerçant une activité professionnelle et gèrent librement leurs dépenses, notamment en s’assurant eux-mêmes contre tous les risques, y compris les « risques sociaux » (maladie, chômage…). Un revenu universel mensuel de 760 € par personne pourrait ainsi être financé par la suppression de toutes les prestations sociales (615 Md€). Un tel projet est inacceptable car certains risques doivent faire l’objet d’une assurance publique obligatoire.
Dans une version très « sociale », ce serait également une somme forfaitaire versée sans conditions à tous les Français (ou résidents), mais toutes les prestations actuelles seraient maintenues à l’exception des minima sociaux. Ce revenu universel aurait un coût faramineux de plusieurs centaines de milliards d’euros, ce qui est totalement irréaliste.
Les solutions présentées dans les documents d’orientation soumis à la concertation fin 2019 sont beaucoup plus pragmatiques et nettement préférables. Le revenu universel envisagé résulterait de la fusion de prestations sociales sous condition de ressources et serait lui-même attribué sous condition de ressources. Il ne serait donc pas vraiment « universel ».
Il fusionnerait le RSA et la prime d’activité avec les allocations logement et certains autres minima sociaux. Il comprendrait une prestation de base, correspondant au RSA et à la prime d’activité, et des « suppléments » pour adulte handicapé, pour personne âgée… et pour logement. Versé à des retraités, il ne serait pas toujours un « revenu d’activité ».
L’objectif est d’harmoniser les règles d’attribution de ces prestations. En effet, les montants, les ressources prises en compte, les modalités de majoration des allocations en fonction de la configuration familiale, les conditions de cumul avec une rémunération d’activité et les obligations en termes d’insertion diffèrent d’un dispositif à l’autre sans que les justifications en soient toujours claires.
L’harmonisation et la simplification de ces règles devraient permettre de réduire les coûts de gestion de ces dispositifs et les taux de non-recours à ces aides. Comme il n’est pas envisageable de réduire les ressources de ménages modestes, l’harmonisation se fera très probablement par un alignement sur les conditions les plus favorables et le coût budgétaire du revenu universel pourrait être important, mais aucune estimation de ce coût n’a été présentée.
Le « supplément logement » serait attribué dans des conditions proches de celles des actuelles aides au logement et dépendrait notamment du loyer. Dans ces conditions, l’effet inflationniste de ces aides sur les loyers dans les zones tendues persisterait.
Dans une version très « libérale », le revenu universel remplacerait toutes les prestations sociales. Son principe est en effet de verser à tous les Français (ou résidents) de tous âges le revenu minimum nécessaire pour vivre, sans aucune condition, puis de les laisser compléter ce revenu par une activité professionnelle et gérer librement leurs dépenses, notamment en s’assurant eux-mêmes contre les risques associés, par exemple, à la vieillesse, à la maladie ou à la perte de son emploi.
Le montant des prestations sociales versées en 2019 par les administrations publiques s’élève à 615 Md€. Elles pourraient être remplacées, à coût budgétaire constant, par une allocation universelle de 760 € par personne et par mois, soit un peu plus que le RSA (565 euros par mois pour un célibataire sans enfant).
Dans une version encore plus « libérale », le revenu universel pourrait également remplacer les services publics dont la consommation est individuelle (l’éducation par exemple).
Cependant, ce revenu universel serait inférieur à la plupart des pensions de retraite actuelles et il est trop tard pour la plupart des retraités pour le compléter en épargnant des revenus d’activité. Remplacer le système actuel de retraite par un revenu universel aurait le même effet que le remplacement immédiat intégral d’un régime de retraite par répartition, qui organise la solidarité entre générations successives, par un régime en capitalisation, dans lequel chacun épargne une partie de ses revenus d’activité pour disposer de revenus du capital après un certain âge : il sacrifierait la génération actuellement à la retraite, ce qui est inimaginable.
La problématique est analogue pour l’assurance chômage : il est difficilement envisageable de remettre totalement en cause les allocations des chômeurs actuels, qui ont versé des cotisations pour y avoir droit, en les remplaçant par un revenu universel de 760 € par mois pour tous.
En outre, beaucoup de personnes ne pourraient pas s’assurer contre les risques liés à une santé dégradée. En effet, des assureurs privés en situation de concurrence exigent des primes d’autant plus élevées que le risque est important. Ces primes peuvent être incompatibles avec des revenus limités à l’allocation universelle, même complétée par des revenus d’activité. L’Etat doit donc intervenir pour mutualiser les risques, soit par une assurance publique obligatoire, soit en y contraignant les compagnies d’assurance par la réglementation (plafonnement des primes, interdiction du refus d’assurance…). Or une telle réglementation, nécessairement complexe et coûteuse, réduit l’intensité et les bénéfices de la concurrence.
Les enfants ne seraient pas en état de gérer eux-mêmes un revenu universel et il n’est pas toujours certain que leurs parents le feraient dans leur intérêt. Il serait donc nécessaire de remplacer une partie de l’allocation universelle par des services publics permettant de satisfaire leurs besoins essentiels, notamment d’éducation.
Enfin, si les prestations sociales peuvent être en théorie remplacées par un revenu universel de 760 € par personne et par mois pour le même coût budgétaire, une telle réforme entraînerait des transferts massifs entre ménages gagnants et perdants et obligerait en pratique à indemniser beaucoup de perdants, ce qui se traduirait in fine par une augmentation considérable des dépenses publiques.
Un revenu universel ne peut donc pas remplacer toutes les prestations sociales et encore moins celles-ci et les services publics individualisables.
Dans une version très « sociale », le revenu universel est également une somme forfaitaire versée à tous les Français (ou résidents) de tous âges sans condition. A la différence de sa version libérale, ce revenu universel remplacerait les minima sociaux, mais pas les autres prestations sociales qui seraient donc maintenues en l’état.
Il n’existe pas un unique minimum social couvrant toute la population mais dix dispositifs qualifiés de minima sociaux qui couvrent chacun une population particulière (voir fiche de l’encyclopédie) : le « revenu de solidarité active » (RSA), le « revenu de solidarité outre-mer » (RSO), « l’allocation de solidarité spécifique » (ASS), « l’allocation aux demandeurs d’asile » (ADA), « l’allocation veuvage » (AV), « l’allocation supplémentaire invalidité » (ASI), « l’allocation aux adultes handicapés » (AAH) et « l’allocation de solidarité pour les personnes âgées » (ASPA, ancien « minimum vieillesse »). Deux dispositifs, l’allocation équivalent retraite de remplacement (AER-R) et l’allocation temporaire d’attente (ATA) sont en extinction.
Ce revenu universel devrait être au moins égal au RSA attribué aux célibataires (565 € par mois). Versé à 67 millions de personne, son coût serait alors de plus de 450 Md€ et ne pourrait être compensé, très marginalement, par la suppression des minima sociaux qu’à hauteur de 28 Md€ (leur coût budgétaire en 2019). Ce revenu universel aurait donc un coût faramineux de plusieurs centaines de milliards d’euros, de l’ordre de l’ensemble du budget de l’État ou des régimes de base de sécurité sociale actuels. Il faudrait augmenter les prélèvements obligatoires de 40 % pour le financer, ce qui est totalement irréaliste.
Les dépenses publiques consacrées aux minima sociaux en 2019 (Md€)
RSA |
RSO |
ASS |
ATA |
AV |
ASI |
AAH |
ASPA |
ADA |
AER |
11,7 |
0,1 |
2,2 |
0 |
0,1 |
0,2 |
10,4 |
3,1 |
0,5 |
0 |
SourSource : DREES ; FIPECO.ce : DREES ; FIPECO.
Les solutions présentées dans les documents d’orientation soumis fin 2019 à la concertation sur le revenu universel d’activité (RUA) sont beaucoup plus pragmatiques et nettement préférables.
Le revenu universel envisagé résulterait de la fusion de prestations sociales sous condition de ressources (minima sociaux, allocations de logement…) et serait lui-même attribué sous condition de ressources. Il ne serait donc pas universel, mais un revenu universel est soit inacceptable (version « libérale ») soit irréalisable (version « sociale »). Il pourrait ne pas être un « revenu d’activité » car il pourrait être versé à des retraités après sa fusion avec l’ASPA. Un des principaux objectifs est néanmoins de concevoir un dispositif garantissant aux personnes capables de travailler que leurs revenus augmenteront suffisamment si elles travaillent. Les autres objectifs affichés sont de renforcer la solidarité avec les ménages modestes et de simplifier le système actuel tout en le rendant plus équitable.
Le revenu universel d’activité envisagé dans les documents d’orientation regrouperait au moins le RSA, la prime d’activité et les allocations de logement. L’intégration de l’ASS semble également fortement suggérée.
Les autres minima sociaux, notamment l’AAH et l’ASPA, ne peuvent pas être réellement fusionnés avec les précédents car leur montant est plus élevé que celui du RSA. Leur fusion avec le RSA aurait un coût budgétaire très élevé si les montants étaient alignés sur les plus hauts ou ferait des perdants chez des ménages modestes si ce n’était pas le cas. La solution proposée est d’ajouter des suppléments « adulte handicapé » ou « personne âgée » au revenu universel de base.
La question est posée dans les documents d’orientation de l’éligibilité des personnes de moins de 25 ans à ce revenu universel, à condition de ne pas habiter avec leurs parents, y compris des étudiants. Ceux-ci pourraient recevoir un « supplément études » au revenu universel à la place des bourses sur critères sociaux.
Le nombre de bénéficiaires des minima sociaux à la fin de 2019
RSA |
RSO |
ASS |
ATA |
AV |
ASI |
AAH |
ASPA |
AER-R |
ADA |
1 916 000 |
8 000 |
353 000 |
1 000 |
6 000 |
82 000 |
1 222 000 |
602 000 |
< 1 000 |
108 000 |
SouSource : DREES ; FIPECO.rce : DREES ; France entière ; FIPECO.
S’agissant des aides personnelles au logement, leur intégration dans le RUA prendrait également la forme d’un « supplément » (pour le logement). Ce supplément logement aurait des caractéristiques proches des aides actuelles : ressources inférieures à certains plafonds, prise en compte du loyer et de la taille de la famille, conditions de décence et de salubrité de l’habitation, logements conventionnés avec versement de l’allocation aux bailleurs, modulation selon la zone où se trouve l’habitation.
Il existe trois aides au logement : l’allocation personnalisée au logement (APL), l’allocation de logement à caractère social (ALS) et l’allocation de logement familiale (ALF). Les raisons pour lesquelles il en existe trois sont surtout historiques et elles pourraient en tout état de cause être fusionnées. Elles ont pour avantage, par rapport aux « aides à la pierre » (constructions d’immeubles HLM…), de cibler les ménages qui en ont le plus besoin et de ne pas freiner la mobilité. Comme le rappelle une étude du centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP) de 2015, elles ont toutefois pour inconvénient de pousser les loyers à la hausse, les propriétaires récupérant ainsi indirectement la plus grande partie de ces aides. Les principales contraintes en matière de logement dans les zones tendues étant du côté de l’offre, cet effet inflationniste sur les loyers, mis en évidence par de nombreuses études scientifiques, est important et l’efficience réelle de ces allocations est faible.
Ce problème ne sera pas résolu en ajoutant au revenu universel un « supplément logement » attribué dans des conditions proches des allocations actuelles. Il faudrait envisager la suppression de ces allocations et l’affectation des économies ainsi réalisées à une augmentation du revenu universel d’activité.
Celui-ci serait alors indépendant du logement occupé et du loyer payé, ce qui éviterait les effets inflationnistes des aides au logement sur les loyers. Les ménages seraient libres de l’utiliser pour louer un logement plus grand ou, par exemple, pour acheter des biens d’équipement du foyer. Si les difficultés de logement dans les zones tendues doivent et peuvent être traitées par d’autres instruments de politique économique (cf. note sur la politique du logement), il serait également envisageable de majorer le revenu universel dans les régions où le coût de la vie est particulièrement élevé.
L’intégration des allocations de logement dans le RUA aurait une signification politique forte puisque cela reviendrait à remplacer des aides à la consommation de biens et services particuliers, dans une approche tutélaire, par une prestation non affectée, dans une approche plus libérale laissant aux ménages la responsabilité de leurs choix de consommation.
La fusion du RSA et de la prime pour l’emploi (qui a été remplacée par la prime d’activité) avec les allocations de logement a été analysée par le CEPREMAP en s’appuyant sur des simulations réalisées par l’institut des politiques publiques. Il apparait que cette réforme contribuerait à réduire les inégalités de revenus. Réalisée à dépenses publiques globalement inchangées, elle ferait néanmoins des perdants, pour des montants non négligeables. Il faudrait que ces travaux soient actualisés pour tenir compte des prestations et des revenus actuels.
Le revenu universel d’activité n’aurait pas grand intérêt s’il était seulement l’addition du RSA, de la prime d’activité et de « suppléments » correspondant aux autres allocations actuelles. L’objectif, plus ambitieux, est d’harmoniser les règles d’attribution de ces prestations.
En effet, les ressources prises en compte, les modalités de majoration des allocations en fonction de la configuration familiale, les conditions de cumul avec une rémunération d’activité et les obligations en termes d’insertion ou de recherche d’emploi diffèrent d’un dispositif à l’autre sans que les justifications en soient toujours claires.
Les ressources prises en compte, par exemple, peuvent être constituées des seuls revenus imposables ou intégrer des revenus non imposables (notamment des prestations sociales et d’autres minima sociaux) ; elles peuvent être brutes ou nettes de frais professionnels ou des cotisations salariales ; les revenus du capital peuvent être les revenus imposables ou un pourcentage de la valeur du capital (en obligeant alors à déterminer celui-ci, ce qui apparaît paradoxal quand on considère que l’ISF a été supprimé). Les ressources retenues sont celles qui ont été perçues sur une période de référence et celle-ci diffère d’une prestation à l’autre. Ces ressources peuvent être celles de la personne ou du ménage et, dans ce cas, tenir compte ou non du nombre d’enfants. Les échelles d’équivalence permettant de tenir compte de la taille du ménage varient d’un dispositif à l’autre.
L’harmonisation des règles conduit à répondre à des questions telles que : faut-il prendre les revenus de la personne ou du ménage ? Faut-il retenir des périodes de référence courtes et rapprochées pour prendre en compte les ressources (ce que permettent les informations reçues par les services fiscaux dans le cadre du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu), avec une adaptation plus rapide à la situation des bénéficiaires mais une plus forte variabilité des aides, ou des périodes de référence plus longues et plus éloignées, avec des conséquences opposées ?
Accepter un emploi permet d’accroître le revenu disponible dans la plupart des cas, mais il subsiste des situations où il diminue (par exemple dans le cas d’un couple avec une personne bénéficiant de l’ASS et une personne active). Surtout, le gain financier résultant de l’acceptation d’une activité rémunérée varie beaucoup selon les prestations reçues et certaines caractéristiques de leur bénéficiaire, sans grande rationalité. Ce gain est, par exemple, plus faible pour les locataires et les propriétaires accédants bénéficiant d’aides au logement que pour les propriétaires non-accédants. L’objectif du revenu universel est d’harmoniser les gains financiers résultant d’une activité rémunérée.
L’harmonisation de ces modalités d’attribution des aides pourrait avoir un coût élevé si les conditions les plus favorables sont retenues mais, sinon, il y aura des perdants. Aucune estimation des coûts des pistes de réforme envisagées n’est présentée, les questions de financement et de gouvernance ne devant être abordée qu’à la fin de la concertation. Une transition assez longue vers le revenu universel pourrait être nécessaire pour limiter ce coût.
En outre, ces minima sont financés et gérés par des organismes différents. Si les prestations sont le plus souvent payées par les caisses d’allocation familiales, les dossiers peuvent devoir être déposés auprès d’autres services qui les instruisent et prennent la décision, le financeur étant encore une autre administration[1]. Le revenu universel devrait permettre de réduire les coûts de gestion de ces prestations.
Une conséquence de la complexité actuelle est enfin que les bénéficiaires potentiels ne demandent pas toujours les allocations auxquelles ils ont droit. Le taux de non-recours au RSA est d’environ 30 % et beaucoup de ceux qui n’y recourent pas ne le connaissent pas ou évaluent mal leur éligibilité. La création du revenu universel devrait contribuer à réduire ce taux de non-recours.
[1] Par exemple, l’allocation aux adultes handicapés (AAH) doit être demandée à la maison départementale des personnes handicapées, mise en place et animée par le conseil général, alors que la décision relève d’une commission indépendante des droits et de l’autonomie des personnes handicapées et que le financement est assuré par l’Etat.
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