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FIPECO le 17.01.2025                                                             

Les notes d’analyse                                                                    V) Les dépenses publiques

4) Le rapport des dépenses publiques au PIB est-il pertinent et comparable entre les pays ?

François ECALLE

Le rapport des dépenses publiques au produit intérieur brut (PIB) dans les différents pays fait souvent l’objet de comparaisons qui placent la France au premier rang de l’OCDE, mais la pertinence de ce ratio et sa comparabilité entre pays sont parfois mises en doute. Ce billet rappelle d’abord pourquoi les dépenses publiques sont usuellement rapportées au PIB puis il réfute des critiques fréquentes de ces comparaisons, qui portent notamment sur le périmètre et l’hétérogénéité des dépenses publiques ainsi que sur l’existence de « doubles comptes ».

A) Les justifications du rapport des dépenses publiques au PIB

Les dépenses publiques sont celles de l’ensemble des administrations publiques (APU) au sens de la comptabilité nationale (l’État, les collectivités territoriales, les régimes de sécurité sociale ainsi que les organismes contrôlés par l’État ou des collectivités locales et dont l’activité est principalement non-marchande). Une fiche de ce site précise cette définition et les méthodes comptables de mesure de ces dépenses.

Le financement par des prélèvements obligatoires (PO) est une caractéristique intrinsèque des APU. En effet, un organisme public producteur de biens et services a une activité principalement non-marchande si le coût de ces biens et services est financé pour plus de 50 % par des impôts ou des subventions de l’État ou de collectivités locales, qui sont eux-mêmes financés par l’impôt[1]. Un organisme d’assurance est classé parmi les APU s’il est contrôlé par l’État et s’il fait de la redistribution en prélevant des cotisations obligatoires.

Les prélèvements obligatoires sont prélevés sur les revenus du travail ou du capital des ménages ou des entreprises. Les taxes sur la consommation (TVA, accises…) sont souvent distinguées mais elles sont en fait prélevées sur les revenus des ménages ou des entreprises. Les impôts sur le capital (taxes foncières…) sont payés en pratique par les ménages ou les entreprises en prélevant d’abord sur leurs revenus. Les impôts et cotisations sociales sont donc prélevés pour l’essentiel sur des revenus.

Or le produit intérieur brut est la somme des valeurs ajoutées des entreprises, des administrations et des ménages[2] mais aussi, comptablement, la somme des revenus des agents économiques résidents[3]. Les PO sont donc prélevés sur le PIB qui est ainsi une mesure, certes approximative, de l’assiette des impôts et cotisations sociales et de la capacité d’un pays à les lever[4]. La croissance du produit des PO à législation constante est d’ailleurs fortement corrélée à la croissance du PIB nominal, avec une élasticité proche de l’unité en moyenne sur plusieurs années. Rapporter les dépenses publiques au PIB permet donc de tenir compte de la capacité de lever des prélèvements obligatoires.

De plus, il n’est pas pertinent de comparer les dépenses publiques en euros de la France en 2000 et en 2024 ou celles de la France et de Malte, par exemple, parce que la capacité de lever des prélèvements obligatoires en euros n’est pas du tout la même pour la France à ces deux dates et dans ces deux pays à la même date. Rapporter ces dépenses au PIB permet de les comparer en tenant compte de la capacité de lever des prélèvements obligatoires dans ces deux pays et à ces deux périodes.

La comparaison des dépenses publiques par habitant entre les pays doit également être considérée avec précaution car elle peut donner l’impression que certains pays où ce ratio est faible peuvent l’augmenter alors qu’ils n’en ont pas les moyens, le niveau de leur PIB étant insuffisant pour prélever les impôts et cotisations sociales nécessaires. Les dépenses publiques par habitant d’un pays pauvre sont beaucoup plus faibles que celle d’un pays riche et le PIB est la principale cause de cet écart. Le rapport des dépenses publiques au PIB est donc plus pertinent pour faire des comparaisons.

B) Le périmètre des dépenses publiques

Les services d’éducation ou de santé, les pensions de retraite… peuvent être fournis ou versés aux ménages par des administrations publiques ou par des organismes privés et la répartition entre la part publique et la part privée peut beaucoup différer d’un pays à l’autre. Ce constat conduit certains économistes à remettre en cause la comparaison des seules dépenses publiques entre les pays au motif que les dépenses privées sont également payées par les ménages et ont un caractère tout aussi obligatoire étant donné que l’éducation ou la santé, par exemple, sont indispensables.

Il y a pourtant une différence fondamentale entre les services et assurances publics et privés : les premiers sont financés par des prélèvements obligatoires identiques pour tous les ménages ou entreprises que ceux-ci n’ont pas le choix de payer ou non ; les deuxièmes sont financées par la vente de services pour lesquels les ménages ont un choix[5]. Le périmètre des administrations et dépenses publiques correspond assez largement à un arbitrage politique relatif à la part plus ou moins grande qui est attribuée au libre fonctionnement du marché et à la prise en charge de certaines fonctions par la collectivité nationale.

L’exemple des pensions de retraite, qui expliquent une part importante de l’écart entre le rapport des dépenses publiques au PIB en France et dans les autres pays, permet d’illustrer ce point. La France se singularise par l’existence de deux régimes obligatoires de retraite pour les salariés du secteur privé, qui se superposent, le régime général et l’AGIRC-ARRCO. Les cotisations versées à l’AGIRC-ARRCO sont obligatoires, les mêmes pour tous (à salaire identique) et sans choix ni de l’assureur ni de l’étendue de la couverture. En conséquence, ce sont des prélèvements obligatoires qui financent des dépenses publiques pour les comptables nationaux. Dans la plupart des autres pays, le deuxième étage de retraite est facultatif et donne lieu à un choix, souvent entre des fonds de pension différents, au moins au niveau de l’entreprise ou de la branche. Ce ne sont donc pas des prélèvements obligatoires et les pensions versées ne sont pas des dépenses publiques. Sauf à considérer que les cotisations à l’AGIRC-ARRCO sont assimilables à des primes versées à des fonds de pension privés, ce qui serait contestable, il est donc pertinent de limiter les comparaisons internationales aux dépenses publiques de retraite.

Cela n’interdit pas d’additionner les pensions publiques et privées pour mesurer ce que les retraités reçoivent au total. Le conseil d’orientation des retraites (COR) a fait cette addition pour la France et dix autres pays de l’OCDE (Allemagne, Belgique, Canada, Espagne, Etats-Unis, Italie, Japon, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède).

Il en ressort que la France se situait à la deuxième place, derrière l’Italie, en 2019 pour le montant des dépenses publiques de retraite en pourcentage du PIB (13,9 %), loin devant les autres pays. Si on ajoute les pensions versées par les régimes privés et facultatifs, elle reste à la deuxième place derrière l’Italie, avec un montant de 14,2 % du PIB, et reste nettement au-dessus des autres pays même si les écarts sont réduits. L’organisation du système de retraites explique seulement une partie de l’écart entre les dépenses publiques de la France et des autres pays.

Source : COR ; FIPECO

En revanche, les assurances complémentaires santé, dont le poids est particulièrement élevé en France (12,6 % des dépenses de santé en 2022 selon Eurostat contre 9,1 % en Allemagne ; 4,3 % au Royaume-Uni, 2,6 % en Italie ; 7,4 % en Espagne ; 4,5 % en Belgique ; 1,0 % en Suède), ne sont pas classées parmi les APU et leurs remboursements ne sont pas des dépenses publiques. S’agissant des salariés, les entreprises ont pourtant désormais en France l’obligation de souscrire pour eux et de payer pour partie une assurance complémentaire, mais elles ont le choix, au moins au niveau de la branche, de l’assureur, des risques couverts au-delà d’une couverture minimale et donc des primes.

La frontière entre les administrations publiques et le secteur privé n’est certes pas toujours facile à tracer et certains classements sont contestables mais, s’agissant des pays européens, elle est étroitement surveillée par Eurostat et rien ne laisse penser que le périmètre des dépenses publiques françaises soit excessivement étendu au regard des normes et définitions de la comptabilité nationale.

C) L’hétérogénéité des dépenses publiques

Les dépenses publiques sont hétérogènes car elles comprennent des dépenses de personnel, des subventions, des prestations sociales, des investissements… mais cette hétérogénéité n’interdit pas de les additionner car elles doivent toutes être financées par des prélèvements obligatoires. Les charges d’une entreprise sont elles aussi hétérogènes : dépenses de personnel, achats de biens et services, dotations aux amortissements et aux provisions…Les additionner n’interdit pas de les examiner dans le détail et de leur donner des justifications différentes.

Le rapport des dépenses publiques au PIB est parfois critiqué au motif qu’il ne reflète pas le poids réel de la valeur ajoutée des APU dans l’économie. C’est exact mais les dépenses publiques mesurent autre chose : ce qui est financé par des prélèvements obligatoires (cf. ci-dessus). Leur champ est donc bien plus large.

La mesure de la valeur ajoutée des APU présente une difficulté méthodologique car la production des services publics n’a pas de prix, puisqu’elle est financée par des impôts. Pour la plupart des services publics, la valeur ajoutée est estimée conventionnellement dans les comptes nationaux en additionnant les dépenses de personnel et la « consommation de capital fixe »[6]. Cette convention est discutable car si, par exemple, les salaires des fonctionnaires sont doublés sans que leur volume de travail change, la valeur ajoutée des APU est elle-même quasi-doublée de manière assez artificielle. Il existe toutefois des méthodes plus satisfaisantes de mesure du volume de la production de services publics quand ils sont individualisables et elles sont encouragées par Eurostat et l’OCDE. L’Insee les utilise pour mesurer la valeur ajoutée des services publics de santé (hôpitaux) et d’éducation.

La valeur ajoutée des APU s’élève à 466 Md€ en 2023, soit 18,4 % de la valeur ajoutée totale ce qui place la France nettement au-dessus de la moyenne de la zone euro (14,1 %) ou de l’Union européenne (14,5 %) mais derrière les pays scandinaves. Ce ratio est seulement de 11,6 % en Allemagne mais les hôpitaux y sont classés hors des APU, ce qui contribue à leur faible valeur ajoutée. Ils sont néanmoins financés par les administrations publiques (caisses de sécurité sociale) et ces financements sont inclus dans les dépenses publiques. Le classement des hôpitaux en dehors des APU ne modifie donc que peu le total des dépenses publiques.

Source : Eurostat ; FIPECO

Les prestations sociales constituent la principale composante des dépenses publiques en France, qui se situe à la première place de l’Union européenne en 2023 avec 25,2 % du PIB, juste devant la Belgique, pour des moyennes de 22,3 % dans la zone euro et de 21,3 % dans l’Union européenne.

Source : Eurostat ; FIPECO.

Il est parfois avancé qu’elles ne devraient pas être incluses dans les dépenses publiques, ni les cotisations dans les prélèvements obligatoires, car il s’agit de ressources prélevées sur les ménages et reversées à ceux-ci qui ne modifient pas globalement leurs revenus. Il faudrait donc contracter les prestations et les cotisations sociales. A supposer que toutes les prestations soient financées par des cotisations et que toutes les cotisations soient payées par les ménages, ce qui est loin de la réalité, il s’agit d’une approche macroéconomique simplifiée dans laquelle il n’existe qu’un seul ménage représentatif de tous les autres.

Si une telle approche est parfois utile dans des modèles de l’économie, elle ignore que les cotisations et les prestations ne sont pas payées et reçues par les mêmes ménages. Il y a bien dans la réalité des ménages qui payent des cotisations (ceux qui ont un emploi, ne sont pas malades…) pour que des prestations soient versées à d’autres ménages (qui sont à la retraite ou au chômage, qui sont malades…).

D) La consolidation partielle et les doubles comptes

Les cotisations sociales des employeurs des administrations publiques centrales (APUC) et locales (APUL) sont enregistrées dans leurs dépenses de personnel. Mais elles sont aussi incluses dans les recettes des administrations de sécurité sociale (ASSO) dont elles financent une partie des prestations. Dans le total des dépenses publiques, ces dépenses et recettes ne sont pas consolidées et on trouve donc à la fois les rémunérations incluant ces cotisations des employeurs publics et les prestations sociales financées par ces cotisations. Cette présentation est parfois critiquée au motif qu’il s’agit d’une double comptabilisation de la même dépense, mais elle permet de faire apparaître à la fois le coût total des agents publics pour leurs employeurs, qui comprend leurs cotisations aux régimes de retraite, et le montant total des prestations sociales, notamment des retraites.

Si un service public est privatisé, les rémunérations des agents concernées sont bien déduites avec les cotisations afférentes des dépenses publiques mais le montant des retraites n’est pas affecté, ce qui est normal car il s’agit bien d’opérations différentes qui doivent être distinguées.

Certains impôts sur la production, comme la taxe sur les salaires, sont payés par des APU et inclus dans les dépenses publiques mais versées à d’autres APU et inclus dans les recettes publiques. Ces recettes et dépenses entre administrations ne sont pas consolidées et le montant total des dépenses publiques serait plus faible si elles l’étaient.

Les dépenses d’investissement (formation brute de capital fixe) des APU comprennent celles qu’elles réalisent elles-mêmes avec leurs propres moyens (production pour emploi final propre dans la terminologie de la comptabilité nationale). La rémunération des agents publics affectés à la réalisation de ces investissements est comptée à la fois dans les dépenses de personnel, qui sont ainsi complètes, et dans les dépenses d’investissement, qui sont également complètes, et donc deux fois dans le total des dépenses publiques. Pour ne pas majorer indûment le déficit public, une recette d’ordre est inscrite dans les recettes publiques et n’est pas consolidée avec la dépense correspondante.

Ces méthodes de comptabilisation sont suivies par les comptables nationaux de tous les pays et les données publiées par Eurostat permettent de corriger les dépenses publiques en déduisant les cotisations des employeurs, les impôts sur la production et la production pour emploi final propre (sauf pour 6 pays dont l’Espagne et la Pologne). Le graphique suivant montre que le classement des pays européens pour le rapport des dépenses publiques au PIB en 2023 n’est pas fondamentalement modifié. En particulier, la France, qui est au premier rang pour le ratio usuel (57,0 % du PIB) devant la Finlande (55,7 % du PIB), passe au deuxième rang (51,4 % du PIB) derrière la Finlande (52,3 % du PIB). L’Italie reste au troisième rang (50,0 % du PIB) et l’Allemagne reste loin de ce trio (45,8 % du PIB).

Source : Eurostat ; FIPECO.

E) Conclusion

Si on admet que l’endettement des administrations publiques (APU) n’est pas illimité, leurs dépenses doivent être financées par des prélèvements obligatoires (PO), c’est-à-dire des impôts ou des cotisations sociales. Ceux-ci sont prélevés pour l’essentiel sur des revenus dont le PIB est la somme. Celui-ci est ainsi une mesure, certes approximative, de l’assiette des impôts et cotisations sociales et de la capacité d’un pays à les lever. Rapporter les dépenses publiques au PIB permet de les comparer en tenant compte de la capacité de lever des prélèvements obligatoires dans différents pays et à différentes périodes.

Certains services (éducation…) ou certaines prestations (retraite…) peuvent être fournis ou versés aux ménages par des administrations publiques ou par des organismes privés et la répartition entre la part publique et la part privée diffère beaucoup d’un pays à l’autre. La comparaison des seules dépenses publiques est néanmoins pertinente car il s’agit des dépenses financées par des PO, pour lesquels les ménages ont, par définition, un choix très limité. La frontière entre dépenses publiques et privées n’est certes pas toujours facile à tracer mais le périmètre des dépenses publiques de la France est correctement délimité et Eurostat garantit sa comparabilité au niveau européen.

Les dépenses publiques sont hétérogènes mais cette hétérogénéité n’interdit pas de les additionner car elles doivent toutes être financées par des prélèvements obligatoires.

Le rapport des dépenses publiques au PIB ne mesure pas la part des APU dans la valeur ajoutée de l’économie car ce n’est pas son objet. Cette part est de 18 % en 2023, ce qui situe la France derrière les pays scandinaves mais devant les autres pays.

La France est à la première place pour le ratio prestations sociales / PIB et il n’est pas pertinent de déduire de ces prestations les cotisations qui les financent car ce ne sont pas les mêmes agents qui payent ces cotisations et reçoivent ces prestations.

Certains transferts entre administrations de catégories différentes ne sont pas consolidés et certaines dépenses peuvent sembler être indument comptées deux fois. Ces conventions, suivies par tous les comptables nationaux européens, ont toutefois leurs raisons d’être et la neutralisation de ces enregistrements comptables discutés ne modifie pas beaucoup le classement des pays pour le rapport des dépenses publiques au PIB. La France et la Finlande échangent la première et la deuxième place.

Il reste enfin qu’un même rapport des dépenses publiques au PIB peut correspondre à des services publics et des prestations très différents en termes de volume ou de qualité. La question pertinente, non traitée ici, est de savoir si ces dépenses ont une utilité supérieure au coût des prélèvements obligatoires nécessaires pour les financer.

 

[1] Un organisme privé peut aussi avoir une activité non-marchande, par exemple une association sans but lucratif, mais il n’est pas contrôlé par l’État ou des collectivités locales.

[2] En y ajoutant la TVA.

[3] En ne tenant pas compte des flux de revenus avec les autres pays, qui sont relativement limités pour un pays comme la France. Le revenu national brut (RNB), qui en tient compte, est un meilleur indicateur mais proche du PIB en France.

[4] Sous réserve de l’inclusion de la TVA dans le PIB.

[5] Dans le cas de la santé, en France, les ménages ont généralement le choix du prestataire de soins mais n’ont pas le choix de l’assureur de base.

[6] Nom donné aux amortissements en comptabilité nationale.

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