FIPECO le 27.07.2023
Les notes d’analyse IV) Les prélèvements obligatoires
1) Le taux des prélèvements obligatoires est-il trop élevé ?
François ECALLE
PDF à lire et imprimer
Les sondages montrent que beaucoup de Français trouvent la pression fiscale trop élevée et les organisations patronales sont du même avis pour ce qui concerne les entreprises. Il faut donc se demander si le taux des prélèvements obligatoires (PO) est effectivement trop élevé en France.
Il est en fait difficile de répondre rigoureusement à cette question mais de nombreux indices montrent que le taux actuel (45,4 % du PIB en 2022 selon l’Insee) est trop élevé et doit être diminué, sous réserve de réduire d’au moins autant le rapport des dépenses publiques au PIB.
A) Il existe un taux maximal budgétaire et un taux maximal économique des prélèvements obligatoires qui dépendent de nombreux facteurs
1) Le taux maximal budgétaire des PO dépend de l’élasticité de leur assiette
Comme l’a souligné A. Laffer, il existe pour chaque impôt un taux maximal du point de vue budgétaire. En effet, un taux nul ne rapporte rien et un taux de 100 % ne rapporte rien non plus, la matière imposable disparaissant. Mathématiquement, il existe donc un taux d’imposition compris entre 0 et 100 % au-delà duquel les recettes fiscales diminuent lorsque le taux d’imposition augmente.
Ce taux est variable d’un impôt à l’autre. Il dépend des « élasticités de l’offre et de la demande » aux prix[1] qui sont spécifiques à chaque assiette (travail, capital ou consommation de tel ou tel produit).
Le taux maximal budgétaire des PO est la somme des taux maximaux propres à chaque prélèvement, en pourcentage du PIB, et dépend de la composition des PO[2].
2) Le taux maximal économique des PO dépend de la qualité des dépenses publiques
Même si le taux des PO est inférieur au maximum budgétaire, il peut être trop élevé si ces prélèvements financent des dépenses inutiles ou inefficaces. Inversement, un taux de PO pouvant apparaitre élevé est justifié, tant que les recettes ne baissent pas, s’il permet de financer des dépenses qui ont une utilité socio-économique suffisante au regard du coût économique de ces prélèvements.
Comme le montre la fiche sur « l’incidence fiscale », les prélèvements obligatoires ont en effet toujours un coût économique sous forme d’une diminution des quantités échangées, d’une hausse des prix pour les demandeurs et d’une baisse des prix pour les offreurs. Ce coût doit être mis en relation avec les avantages, monétaires ou non, apportés à l’ensemble des agents par les dépenses publiques ainsi financées, sous forme de services publics ou d’une contribution à la réduction des inégalités. Le niveau global du taux des PO doit donc être apprécié au regard de la qualité des dépenses publiques.
Tous les prélèvements obligatoires n’ont certes pas le même coût économique et certains sont plus préjudiciables, par exemple, à la compétitivité extérieure et à l’emploi. D’autres ont pour avantage de limiter des comportements à l’origine d’externalités négatives comme la pollution. Il est donc envisageable de réduire les effets négatifs des PO en les redéployant à taux global inchangé. Si de telles réformes sont souhaitables, il ne faut toutefois pas se faire d’illusions sur leur impact, au moins à court et moyen terme, sur l’activité et l’emploi : il n’existe aucune « assiette miracle » sur laquelle les impôts pourraient être prélevés sans dommages. C’est donc bien l’efficience des dépenses publiques qui détermine principalement le taux maximal économique des prélèvements obligatoires.
3) Ces taux maximaux dépendent notamment des taux dans les autres pays
Un pays ne peut pas accumuler indéfiniment des déficits de sa balance des transactions courantes car il doit alors s’endetter vis-à-vis des non-résidents ou leur céder une partie de son patrimoine. Or la dette extérieure, comme la dette publique, finit par avoir un coût économique insoutenable au-delà d’un certain seuil, certes difficile à déterminer.
Le volume des exportations et des importations dépend notamment de la compétitivité des entreprises françaises par rapport à leurs concurrentes étrangères. Celle-ci dépend elle-même, pour une large part, des prélèvements obligatoires sur les facteurs de production qu’elles utilisent[3] et de la qualité des services publics.
Les échanges extérieurs dépendent également du potentiel de production de l’économie française, donc de l’attractivité du territoire pour les ménages et les entreprises. Des taux de prélèvements trop élevés, ou des services publics insuffisants au regard de ces prélèvements, les incitent à localiser leurs activités dans d’autres pays.
Le taux des PO doit donc s’apprécier au regard de ceux des autres pays. S’il est beaucoup plus élevé, il peut en résulter un déséquilibre non soutenable des échanges extérieurs.
4) Ils dépendent aussi de l’ampleur que peut prendre la fraude
Les prélèvements obligatoires entraînent une diminution des transactions déclarées, mais celles-ci peuvent continuer à avoir lieu sur un « marché noir » où elles échappent à l’impôt.
Les analyses économiques de la fraude montrent que, dans un contexte social donné, son ampleur augmente avec les gains qu’elle permet de réaliser et diminue avec la probabilité d’être sanctionné et le montant de la sanction encourue. Or le gain tiré de la fraude est d’autant plus élevé que l’impôt éludé est lui-même important.
La probabilité d’être sanctionné dépend des moyens et de l’organisation du contrôle fiscal. Elle peut évoluer rapidement sous l’effet des nouvelles technologies, selon qu’elles favorisent la fraude ou sa détection.
Le consentement à l’impôt, appelé aussi le civisme fiscal, tend à diminuer lorsque les prélèvements augmentent, du moins si cette hausse ne s’accompagne pas clairement d’une amélioration de la qualité des dépenses publiques, et il existe probablement un seuil au-delà duquel la fraude se développe sans pouvoir être contrôlée. En effet, à partir du moment où chacun peut avoir le sentiment que la fraude fiscale est généralisée, il est plus difficile d’avoir soi-même un comportement civique et le développement de la fraude s’auto-entretient.
B) Le taux des prélèvements est trop élevé en France
1) Le taux maximal budgétaire n’est peut-être pas très loin
Dans un document de travail de septembre 2017, l’OCDE estime économétriquement le taux maximal budgétaire de l’impôt sur les sociétés, des impôts sur le revenu et de la TVA pour un ensemble de 34 pays avancés sur la période 1978-2014.
Les résultats sont inévitablement fragiles mais il en ressort que le taux maximal budgétaire se situe entre 21 et 27 % pour la TVA, entre 9 et 37 % pour l’impôt sur les bénéfices des sociétés et vers 57 % pour le taux marginal d’imposition sur le revenu. Cette étude montre toutefois aussi que ces taux maximaux dépendent pour chaque pays de caractéristiques spécifiques : ils sont d’autant plus faibles que le taux d’ouverture de l’économie sur l’extérieur est élevé et d’autant plus forts que les moyens de l’administration fiscale sont importants et que la gouvernance du système fiscal est de bonne qualité. Dans ces conditions, la France n’est probablement pas loin du taux maximal budgétaire.
D’autres études ne permettent cependant pas de considérer que le taux de PO français dépasse le « sommet de la courbe de Laffer » ou en est très proche. Un modèle structurel de l’économie française développé par l’Insee montre même qu’il en est assez loin.
2) Les taux sont plus bas dans les autres pays
Comme le montre les fiches relatives au niveau des prélèvements obligatoires et aux prélèvements sur le travail et le capital, les taux des PO sont plus élevés en France que dans les autres pays de l’Union européenne (eux-mêmes plus élevés que dans les pays de l’OCDE hors Union européenne), sauf au Danemark, plus particulièrement s’agissant des prélèvements sur le capital et, dans une moindre mesure, sur le travail. En revanche les prélèvements sur la consommation en France sont proches de la moyenne de l’Union.
Ces écarts entre les taux des PO en France et dans les autres pays européens ne sont certainement pas sans lien avec le déséquilibre des échanges extérieurs et la faiblesse de la production et de l’emploi.
Source : OCDE ; FIPECO.
3) L’efficience des dépenses publiques est insuffisante
La France est en 2022 au premier rang de l’OCDE pour le rapport de ses dépenses publiques au PIB et elle est rarement au même rang pour les résultats obtenus grâce à ces dépenses, comme le montrent les rapports de la Cour des comptes, du conseil d’analyse économique, de France Stratégie, des organisations internationales ainsi que plusieurs fiches de l’encyclopédie des finances publiques sur ce site. Dans de nombreux cas, l’utilité socio-économique des dépenses publiques est insuffisante pour justifier les prélèvements obligatoires qui permettent de les financer.
4) Les nouvelles technologies accroissent les risques de fraude
Dans son rapport de novembre 2019 sur la fraude aux prélèvements obligatoires, la Cour des comptes soulignait les difficultés d’adaptation du contrôle fiscal au développement de la fraude permis par le développement des nouvelles technologies et notamment la dématérialisation des échanges dans un contexte d’ouverture internationale.
Les nouvelles technologies peuvent faciliter le contrôle fiscal autant que la fraude, mais les administrations les mettent en œuvre généralement moins vite que les contribuables parce que de nouvelles dispositions doivent souvent être votées par le Parlement et parce que l’organisation des services de l’Etat doit évoluer, ce qui prend souvent beaucoup de temps.
Si l’écart entre les revenus tirés d’une même activité, selon qu’ils sont ou non imposés, est trop important, il y a un fort risque de développement de l’offre de biens et services non déclarés au détriment des activités légales et taxées.
C) La baisse des prélèvements obligatoires doit accompagner celle des dépenses publiques
1) La réduction du déficit structurel est une condition de l’efficacité de celle des prélèvements obligatoires
La réduction du déficit structurel des administrations publiques est une condition nécessaire pour que la baisse des prélèvements obligatoires ait un impact favorable significatif et durable sur l’activité économique. En effet, pour investir, recruter et consommer plus, les entreprises et les ménages doivent être convaincus que la baisse des PO sera pérenne et ne sera pas remise en cause à plus ou moins brève échéance pour réduire le déficit et rétablir la soutenabilité des finances publiques.
2) Or toute baisse du taux des prélèvements obligatoires accroît le déficit
Les mesures nouvelles de hausse des prélèvements décidées ces dernières années ont toujours eu un rendement budgétaire positif, à de rares exceptions près, même s’il a parfois été inférieur aux prévisions, mais celles-ci ont toujours été fragiles. Même s’il n’en est peut-être pas loin, le taux global des prélèvements obligatoires et les taux spécifiques des principaux prélèvements n’ont pas encore atteint en France le point au-delà duquel leur baisse entraîne une augmentation de leur produit.
En termes macroéconomiques, le « multiplicateur » ne dépasse pas 2,0 et en est généralement très loin. Cela signifie que le PIB augmente de moins de 2 % lorsque les prélèvements obligatoires sont réduits de 1 point de PIB. La croissance des recettes publiques en résultant est alors elle-même de moins de 2 %, ce qui représente donc moins de 1 point de PIB. Il subsiste donc « ex post » un déficit public plus important : les mesures de baisse des prélèvements obligatoires ne s’autofinancent pas.
3) La baisse des prélèvements obligatoires devra suivre celle des dépenses publiques
La crise économique commencée en 2020, prolongée par la crise énergétique résultant de la guerre en Ukraine, a justifié une hausse du déficit et de l’endettement publics pour soutenir puis relancer l’activité économique, mais il faudra un jour ou l’autre reprendre le contrôle de la dette publique en la stabilisant en pourcentage du PIB pour qu’elle reste soutenable (cf. autre note d’analyse). Le déficit public structurel devra donc lui-même être stabilisé voire réduit.
Le taux des prélèvements obligatoires devra être diminué sans aggraver le déficit public structurel, ce qui est possible seulement en réduisant les dépenses. Cette baisse des dépenses est à la fois nécessaire, compte-tenu de la faible efficience d’une grande partie d’entre elles, et possible au vu des exemples donnés par les pays étrangers (cf. note sur ce sujet).
La baisse des dépenses est donc une condition nécessaire pour que la baisse des prélèvements obligatoires obtienne des résultats positifs, sauf à rééditer les erreurs de politique économique commises dans le passé, par exemple dans les années 2000-2001 et 2007-2008, qui expliquent une bonne part du déficit structurel français.
D) Conclusion
Il existe un taux maximal budgétaire propre à chaque impôt, et donc un taux global des PO, au-delà duquel une hausse du taux des impôts ou des cotisations sociales entraîne une baisse des recettes publiques (le sommet de la « courbe de Laffer »). Il existe aussi un taux maximal économique des PO au-delà duquel leur coût en termes d’activité et d’emploi est supérieur à l’utilité des dépenses publiques qu’ils financent.
Il est difficile d’identifier précisément ces limites car elles dépendent de nombreux facteurs spécifiques à chaque pays et variables dans le temps, notamment la qualité des dépenses publiques, les taux des PO dans les autres pays et les risques de fraude. Il est néanmoins probable que la France n’est pas très loin du taux maximal budgétaire et qu’elle a dépassé le taux maximal économique.
En effet, le taux des PO est plus haut en France que dans les autres pays, ce qui nuit à la compétitivité des entreprises et à l’attractivité du territoire comme le montre le déficit de nos échanges extérieurs. En outre, les risques de fraude sont aggravés par le développement des nouvelles technologies et le consentement à l’impôt semble s’affaiblir. Enfin, l’utilité des dépenses publiques est souvent trop faible et ne compense pas le coût des prélèvements.
Une baisse du taux des PO est donc nécessaire mais elle n’aura d’effet favorable sur les comportements d’investissement et de consommation que si elle est perçue comme durable, c’est-à-dire si elle n’aggrave pas la situation des finances publiques. Or les baisses d’impôts ou de cotisations sociales ne peuvent pas être financées par le supplément de recettes induit par leurs effets stimulants sur l’activité économique. Il faut donc précéder la baisse des prélèvements obligatoires par une réduction des dépenses publiques.
[1]Variations de l’offre ou de la demande rapportées à la variation du taux d’imposition. A ne pas confondre avec les « élasticités de chaque prélèvement à son assiette » qui rapportent les variations du produit du prélèvement à celles de son assiette à législation inchangée.
[2] Le même taux global de PO peut avoir des effets différents selon la répartition des prélèvements.
[3] Les prélèvements sur la consommation peuvent aussi dégrader, indirectement, cette compétitivité par leurs effets à la hausse sur les prix et les salaires.