FIPECO, le 09.12.2024
Les fiches de l’encyclopédie V) Les dépenses publiques
8) Les achats publics
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Cette fiche présente d’abord une estimation du montant des achats publics et du taux d’externalisation des services publics, en France et dans les autres pays européens. Elle expose ensuite les différentes modalités juridiques de la commande publique, avec leurs enjeux budgétaires, et les procédures de passation des marchés.
A) Les montants en jeu
Il existe plusieurs définitions et mesures de l’achat public.
L’adjectif « public » fait généralement référence aux administrations publiques de la comptabilité nationale, ce qui conduit à exclure les achats des entreprises publiques exerçant une activité marchande comme EDF. Ces entreprises ne sont d’ailleurs généralement pas soumises aux obligations du code des marchés publics. Toutefois, certaines estimations du montant des achats publics incluent les achats de ces entreprises.
La notion d’achat n’est pas non plus dénuée d’ambiguïtés. Par exemple, les versements de la sécurité sociale aux établissements de santé sur la base de la « tarification à l’activité » en vigueur en France ont certaines des caractéristiques des achats publics mais ils peuvent aussi apparaître comme des subventions.
Le parti a été pris ici de retenir une mesure simple et sans doute étroite de l’achat public à travers la somme des consommations intermédiaires (CI) et de la formation brute de capital fixe (FBCF) des administrations publiques[1]. Celle-ci est toutefois en partie réalisée par les administrations publiques elles-mêmes sous la forme d’une « production pour emploi final propre » en comptabilité nationale qui doit être déduite de la FBCF.
Le montant des « achats publics » ainsi définis s’élève à 248 Md€, soit 8,8 % du PIB, en 2023, soit 159 Md€ pour les consommations intermédiaires et 89 Md€ pour la FBCF externalisée. Il est réparti entre l’Etat et les organismes divers d’administration centrale (32 % du total), les administrations publiques locales (50 %) et les administrations de sécurité sociale (18 %).
Ces achats portent sur la fourniture de biens (matériel de bureau, véhicules…) et la prestation de services (conseil, nettoyage…). Ils peuvent être commandés à des entreprises privées ou publiques (distribution d’électricité, envoi de courriers postaux…).
On peut définir un taux d’externalisation des services publics comme le rapport entre les consommations intermédiaires et la FBCF externalisée, au numérateur, et les dépenses de fonctionnement (CI et rémunérations pour l’essentiel) et la FBCF, au dénominateur. Ce taux est de 40 % en 2023.
Le graphique suivant fait apparaitre ce taux dans les principaux pays de l’Union européenne en 2023. En Allemagne, les hôpitaux publics sont classés en dehors des administrations publiques et leurs services sont considérés comme étant achetés par les caisses de sécurité sociale, donc comme des consommations intermédiaires. Le taux obtenu pour ce pays (50 %) n’est donc pas comparable à celui des autres pays et n’a pas été reporté sur ce graphique.
Le taux d’externalisation de la France en 2023 (40 %) n’est supérieur qu’à ceux de la Belgique, du Portugal et de Chypre.
Source : Eurostat ; FIPECO. Le mode de calcul de ce taux d’externalisation est expliqué dans le texte, de même que les raisons pour lesquelles l’Allemagne ne figure pas sur ce graphique.
Ce taux d’externalisation peut également être calculé pour chaque catégorie d’administrations publiques en France. En 2023, il est de 28 % pour les administrations centrales (l’Etat et ses opérateurs pour simplifier), de 58 % pour les administrations publiques locales et de 35 % pour les administrations de sécurité sociale (les hôpitaux surtout).
L’externalisation des services publics peut en améliorer ou en dégrader le rapport qualité/prix, ce qui fait l’objet d’une note sur ce site.
B) Les formes juridiques de l’achat public
Le code de la commande publique distingue les « marchés publics », au sein desquels peuvent être isolés les « marchés de partenariats » publics privés, et les « contrats de concession de service public ».
1) Les marchés publics hors partenariats
Les marchés publics sont des contrats à titre onéreux passés entre des « pouvoirs adjudicateurs » (L’Etat, les collectivités locales et leurs établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial) et des agents économiques, publics ou privés, pour répondre aux besoins des premiers en matière de travaux, de fournitures ou de services[2].
Ils se distinguent des « subventions » par le fait qu’ils répondent à un besoin propre du pouvoir adjudicateur qui, en contrepartie du prix, bénéficie pour lui-même de travaux, de fournitures ou de services. La subvention couvre un besoin collectif qui dépasse l’intérêt spécifique du pouvoir adjudicateur.
De manière paradoxale, le code des marchés publics précise que tous les marchés publics ne sont pas soumis à ses règles et comporte une liste assez longue d’exclusions : contrats passés entre un pouvoir adjudicataire et un organisme qu’il contrôle aussi bien que s’il s’agissait de ses propres services ; contrats passés avec des organismes disposant d’un monopole légal etc. Les contrats portant sur certains biens ou services (achat ou location d’immeubles, par exemple) ne sont pas soumis au code des marchés publics mais à d’autres règles.
Lorsque les travaux, les fournitures ou les services prévus au contrat sont livrés, le marché est payé par le pouvoir adjudicateur, éventuellement après avoir versé des acomptes.
L’observatoire économique de la commande publique recense les marchés dont le montant est supérieur à 90 000 €. Il en a compté 236 000 en 2022 pour un montant total de 160 Md€, partagé entre l’Etat et les hôpitaux (43 Md€), les collectivités territoriales (66 Md€) et les autres pouvoirs adjudicateurs tels que les entreprises publiques (51 Md€). Il s’agit de marchés de fournitures de biens (ordinateurs, médicaments pour les hôpitaux…) pour 29 % (en montant), de marchés de prestation de services (restauration, études…) pour 44 % et de marchés de travaux publics (construction de routes, de bâtiments…) pour 27 %.
2) Les partenariats publics privés
Traditionnellement, en matière de bâtiments ou d’infrastructures, les administrations publiques passent des marchés de travaux, payés à la livraison des équipements, puis exploitent eux-mêmes ces bâtiments ou infrastructures, éventuellement en confiant certaines fonctions (entretien…) à des prestataires par des marchés de services.
Les contrats de partenariat public privé (PPP), introduits en France par une ordonnance du 17 juin 2004 après avoir été beaucoup utilisés dans les pays anglo-saxons, permettent à une entité publique de confier à un organisme privé à la fois la construction et l’exploitation du bâtiment ou de l’infrastructure sur une longue durée en lui donnant des obligations de qualité de services. Le partenaire public ne paye pas les bâtiments et infrastructures mais verse un loyer au partenaire privé, ce qui permet à celui-ci de rembourser les dettes souscrites pour financer la construction.
Les PPP ne relevaient pas du code des marchés publics jusqu’à 2016 mais de procédures spécifiques visant au respect des mêmes principes : égalité de traitement des candidats, transparence des procédures et liberté d’accès à la commande publique. Ce sont d’ailleurs des marchés publics au sens des directives européennes et une loi de 2016 les inscrit désormais dans le cadre général des marchés publics.
Les PPP ont l’avantage d’être des contrats globaux évitant au partenaire public d’avoir à coordonner de multiples intervenants. En outre, ils permettent à l’entité publique, en principe, de ne pas supporter les risques d’une augmentation des coûts de construction et d’exploitation ou d’une qualité insuffisante des services obtenus. Toutefois, les marchés publics classiques permettent en principe également de se prémunir contre ces risques.
Les administrations publiques préfèrent parfois les PPP parce que le paiement des travaux est étalé dans le temps et qu’elles évitent ainsi, à court terme, de creuser leur déficit budgétaire et de s’endetter. Les normes de la comptabilité générale et de la comptabilité nationale ont toutefois été renforcées pour empêcher ces dérives et les dettes contractées par les partenaires privés sont désormais imputées aux administrations publiques lorsque celles-ci prennent à leur charge une part significative des risques associés à leur remboursement. Les PPP ne représentent qu’environ 5 % des investissements publics en France.
3) Les concessions de services public
Selon la loi du 29 janvier 1993, dite « loi Sapin », les concessions ou délégations de service public (DSP) sont des contrats par lesquels une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public, dont elle a la responsabilité, à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée au résultat de l’exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d’acquérir des biens nécessaires au service.
Les DSP se distinguent des PPP par le fait que le délégataire prend un risque commercial et financier en se faisant rémunérer par les usagers (par des péages s’agissant des infrastructures de transport)[3]. Dans ces conditions, les dettes qu’il souscrit pour financer la construction lui sont imputées en comptabilité générale ou en comptabilité nationale.
L’attribution des DSP est soumise à des règles spécifiques visant au respect des principes d’égalité de traitement des candidats, de transparence des procédures et de liberté d’accès.
Les DSP existent depuis des dizaines d’années en France, notamment dans les secteurs des transports et de l’eau.
Selon l’institut de la gestion déléguée, qui regroupe les principaux délégataires, le chiffre d’affaires réalisé dans le cadre de DSP et de PPP, par des entreprises privées mais aussi publiques, représente environ 6 % du PIB (soit environ 170 Md€ en 2023). On peut noter que des services publics comme la distribution d’électricité ou les transports collectifs urbains sont gérés dans le cadre de DSP par des entreprises publiques (ENEDIS, RATP…). La gestion déléguée n’est pas forcément une gestion privée.
C) Les procédures de passation des marchés
Le code de la commande publique, entré en vigueur en 2019, impose le respect des principes de « liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures » et précise les règles à suivre pour garantir ce respect.
Il existe diverses procédures de passation des marchés, dont les principales sont « l’appel d’offres » et la « procédure négociée », qui sont définies dans le code de la commande publique (CCP). L’analyse économique donne des éclairages sur leur efficacité.
1) Les caractéristiques juridiques
Les procédures définies par le CCP sont « adaptées », dans des conditions précisées par le pouvoir adjudicateur, lorsque le montant du marché est inférieur à certains seuils (par exemple 143 000 € HT pour les marchés de fournitures et services de l’Etat et 221 000 € HT pour ceux des collectivités locales). Il n’y a pas d’obligation de publicité et de mise en concurrence pour les marchés de montant inférieur à 40 000 € (70 000 € exceptionnellement pendant la crise), mais les règles internes des administrations imposent souvent un formalisme minimal, comme la demande de trois devis à partir de 5 000 €.
Au-delà de ces seuils, le CCP prévoit toujours la publication d’un avis d’appel public à la concurrence, selon des modalités variables, précisant notamment l’objet du marché et la procédure de passation retenue.
Des dérogations aux procédures prévues par le CCP sont possibles en cas d’urgence, ou pour des motifs tels que le secret militaire.
a) Les principales procédures
L’appel d’offres impose au pouvoir adjudicateur de choisir l’attributaire du marché, sans négociation, sur la base de critères objectifs préalablement portés à la connaissance des candidats avec la publication de l’appel à la concurrence.
L’appel d’offres est dit « ouvert » lorsque tout opérateur économique peut déposer une offre. Il est dit « restreint » lorsque seuls les opérateurs admis à concourir à l’issue d’une procédure préalable de sélection peuvent déposer une offre. La sélection porte généralement sur les capacités techniques et financières des candidats.
Dans les procédures négociées, le pouvoir adjudicateur négocie avec les candidats des modifications à apporter aux caractéristiques techniques et financières de leurs offres après leur remise. Cette négociation ne doit toutefois pas conduire à modifier substantiellement l’objet du marché.
Si le pouvoir adjudicateur ne peut pas définir lui-même les caractéristiques techniques de son besoin ou le meilleur montage juridique et financier, il peut engager pour les définir un « dialogue compétitif » avec plusieurs entreprises qui débouche sur un appel d’offres.
Selon l’observatoire de la commande publique la répartition du nombre de marchés était la suivante en 2020 : 43 % pour la procédure adaptée (mais certainement beaucoup moins pour les montants), 36 % pour les appels d’offres ouverts et 1 % pour les appels d’offres restreints, 12 % pour les procédures négociées après publicité et mise en concurrence et 7 % pour les procédures négociées sans publicité et mise en concurrence.
b) Le choix des attributaires
Le marché est attribué au candidat qui présente « l’offre économiquement la plus avantageuse ». Celle-ci est déterminée soit sur la base d’un seul critère, le prix, soit sur la base de plusieurs critères, non discriminatoires et liés à l’objet du marché. Ces critères et leur pondération sont indiqués dans l’avis d’appel public à la concurrence.
Il revient à une « commission des marchés » ou une « commission d’appel d’offres » le soin de déterminer l’offre la plus avantageuse. Elle peut avoir un pouvoir de décision ou seulement un rôle consultatif auprès de la « personne responsable du marché » (président de la collectivité, directeur de l’établissement public…) qui notifie les résultats aux candidats et signe le marché, après visa éventuel du contrôleur budgétaire.
c) Les avenants
Les marchés peuvent être modifiés en cours d’exécution par des « avenants » à condition, selon le CCP, que ceux-ci « ne bouleversent pas l’économie du marché, ni en changent l’objet » sauf en cas de sujétions techniques imprévues ne résultant pas du fait des parties. La jurisprudence est évolutive mais semble considérer qu’une augmentation du prix supérieure à 20 % bouleverse l’économie d’un marché.
2) L’efficacité des règles de passation des marchés
Les observations suivantes s’inspirent d’une note du conseil d’analyse économique (CAE) rédigée par S. Saussier et J. Tirole en avril 2015.
Les risques liés aux marchés publics sont multiples : collusion des candidats pour se partager plusieurs marchés avec des prix plus élevés ; corruption des responsables des achats ; « malédiction du vainqueur » tenant au choix d’un candidat qui surestime ses capacités réelles ; choix d’un attributaire présentant une offre très avantageuse pour la personne publique mais espérant être en position de force pour négocier des avenants plus favorables.
Le risque de corruption est particulièrement important : selon un rapport de l’Union européenne, la corruption pourrait majorer de 20 à 25 % le coût des achats publics. Ce risque est d’autant plus élevé que les procédures ouvrent des marges de négociation importantes et que les critères d’attribution des marchés sont nombreux et qualitatifs.
Or les procédures négociées, plus fréquentes en France et en Allemagne que dans les autres pays européens, sont favorisées par la transposition des dernières directives européennes. En outre, les avenants, négociés sans aucune mise en concurrence, sont très fréquents, notamment lorsque les marchés, PPP et DSP ont une longue durée[4]. Ils entraînent également des surcoûts très importants, même si les marchés ne sont pas bouleversés au sens juridique.
Le gouvernement du Royaume-Uni, à la pointe du développement des PPP depuis longtemps, leur a d’ailleurs donné un coup d’arrêt en 2018 parce qu’ils s’avèrent plus chers et moins flexibles que les investissements financés sur fonds publics dans le long terme.
S’il est souvent utile de donner un certain pouvoir de négociation aux personnes publiques pour leur permettre d’affiner la définition de leurs besoins, ce pouvoir devrait être mieux encadré et les procédures devraient être plus transparentes. Les avenants importants devraient faire l’objet d’une publicité préalable. Les compétences des acheteurs publics devraient être renforcées tout en évitant de leur donner trop longtemps la responsabilité des mêmes marchés. Les commissions d’appel d’offres devraient être réellement indépendantes et en mesure de faire des choix éclairés, ce qui exclut par exemple de les saisir trop souvent en urgence.
Enfin, cette note du CAE souligne que les pouvoirs publics ont depuis longtemps inscrit dans le code des marchés publics des dérogations en faveur de certaines entreprises (PME, artisans, entreprises innovantes, entreprises locales etc.) et la possibilité d’introduire des critères environnementaux ou sociaux pour sélectionner les candidats (appels d’offres restreint) ou désigner l’attributaire (appels d’offres ouverts avec critères multiples).
Or, si le prix ne peut pas être le seul critère dans de nombreuses situations, la multiplication des critères, des contraintes et des dérogations accroît les risques d’inefficacité des procédures alors qu’il existe des instruments économiques plus efficaces pour atteindre les objectifs visés.
Selon S. Saussier et J. Tirole, « il faut reconnaitre que l’objectif de la commande publique, quel qu’en soit le montant, est avant tout de satisfaire un besoin identifié en parvenant à la meilleure performance en termes de coût et de services ou fonctionnalités attendus. Charger la commande publique d’atteindre des objectifs sociaux, environnementaux ou d’innovation est inefficace ».
Le renforcement des spécifications techniques ou des conditions d’exécution à respecter dans les cahiers des charges réduit le nombre de candidats et l’intensité de la concurrence, ce qui fait monter les prix. La multiplication des critères de choix risque de conduire à une discrimination entre les candidats et de faciliter le favoritisme.
Les évolutions du droit de la commande publique au cours de ces dernières années vont dans la direction opposée. Dans un cadre fixé par des directives de l’Union européenne, des considérations sociales et environnementales (critères de choix, spécifications techniques, conditions d’exécution) ont été obligatoirement introduits dans les marchés publics et, par exemple, la loi « climat et résilience » de 2021 impose à compter de 2026 au moins un critère d’attribution et une spécification technique à caractère environnemental pour toutes les commandes publiques.
Selon un rapport de 2024 de la Cour des comptes, 55 % des marchés de l’Etat contiendraient une considération environnementale et plus de 25 % une considération sociale en 2023. Leur impact semble difficile à mesurer par la Cour, que ce soit sur l’atteinte des objectifs sociaux et environnementaux ou sur les dépenses publiques. Les difficultés pratiques de mise en œuvre paraissent importantes.
[1] Donc hors achats des entreprises publiques marchandes et hors achats de la sécurité sociale aux hôpitaux.
[2] Dans le code des marchés publics, le mot « fourniture » ne désigne que la fourniture de biens.
[3] Tout au moins en principe car, en pratique, il arrive que l’Etat garantisse les dettes du concessionnaire.
[4] Le taux de renégociation des délégations de services publics varie de 40 à 90 % selon les pays et les secteurs.