Fipeco

Partager Partage sur Twitter Partage sur Facebook Partage sur Linkedin


21/06/2018

Les taux réduits de TVA

François ECALLE

PDF à lire et imprimer

Le ministre de l’économie a fait savoir que ses services examinaient la pertinence des taux réduits de TVA et que certains d’entre eux pourraient être remis en cause. Le présent billet porte sur ces taux réduits, et non sur les exonérations, de TVA. Les principales caractéristiques de la TVA (législation, rendement, comparaisons internationales, impact sur l’activité économique et la redistribution des revenus) font l’objet d’une fiche de l’encyclopédie des finances publiques sur ce site.

Tous les taux réduits de TVA constituent des dépenses fiscales mais, pour des motifs non convaincants, ils ne sont pas tous considérés comme tels dans les documents budgétaires. Le coût de ceux qui ne sont pas retenus sur la liste officielle des niches fiscales n’est pas fourni par l’administration. Il est néanmoins possible d’estimer le coût total des taux réduits à environ 50 Md€. En France, les taux réduits de TVA sont plus faibles et couvrent une plus grande part des produits taxables que dans les autres pays européens.

Les gains et pertes de revenus induits par les variations des taux de TVA sont partagés entre les producteurs, à travers les variations des prix hors taxes, et les consommateurs, à travers les variations des prix TTC, en fonction de l’élasticité de la consommation des produits concernés à leur prix. Ces effets sont très rarement évalués mais les quelques évaluations disponibles, surtout sur les taux réduits appliqués à la restauration et à l’entretien du logement, montrent que les baisses de taux ont surtout profité aux producteurs et que les créations d’emplois ont été très limitées. Les taux réduits de TVA sont un outil coûteux et peu efficace pour soutenir l’activité économique et l’emploi.

Les effets des taux réduit de TVA sur la distribution des revenus des ménages sont également mal connus. Il est néanmoins très vraisemblable qu’ils sont très limités. En effet, les taux réduits de TVA constituent un très mauvais instrument de redistribution des revenus car il est impossible en pratique de cibler des produits particulièrement consommés par les ménages les plus pauvres. L’impôt sur le revenu et les prestations sociales sous condition de ressource sont de bien meilleurs outils.

La suppression de tous les taux réduits pourrait être compensée par une réduction de 4,7 points du taux normal, qui serait ramené à 15,3 %, pour un rendement total inchangé de la TVA. Ce résultat suppose toutefois que les effets des hausses et des baisses des taux de TVA soient symétriques alors que la répercussion des hausses dans les prix TTC semble plus forte que celle des baisses.

La suppression des taux réduits peut avoir des effets négatifs sur l’activité économique mais comme toute suppression d’aides publiques aux entreprises ou aux ménages. Ce n’est pas un argument suffisant pour s’opposer à ces mesures et à la baisse du déficit public. Il est donc souhaitable de remettre en cause certains taux réduits de TVA.

A)Des dépenses fiscales dont le coût total est d’environ 50 Md€

1)Des dépenses fiscales mal identifiées

Les « dépenses fiscales », ou « niches fiscales », sont des dispositions législatives ou réglementaires dérogatoires par rapport à une « norme fiscale » et qui entraînent des pertes de recettes budgétaires pour l’Etat. Pour déterminer si une disposition fiscale constitue ou non une niche, il faut connaître la norme applicable à laquelle elle pourrait déroger. Il faut donc d’abord définir cette norme fiscale, spécifique à chaque impôt, et les définitions envisageables sont souvent discutables.

Le rapport sur les dépenses fiscales annexé au projet de loi de finances précise que « dès lors que l’application de taux réduit de TVA ne résulte pas d’une obligation communautaire, c’est le caractère incitatif de l’application du taux réduit qui déterminera si la mesure est classée ou non en dépense fiscale. En principe, sont traitées comme des règles générales les dispositions qui, pour l’ensemble des contribuables visés, contribuent à rendre supportable cet impôt sur la consommation ou qui ont pour effet de préserver l’accès de tous à certains produits ou services. C’est le cas des taux réduits de TVA destinés non à stimuler un secteur ou un comportement, mais visant la consommation de certains produits de base ».

Ce rapport recense 27 cas d’application de taux réduits, dont le coût total est de 17,1 Md€ en 2016 hors taux spécifiques aux DOM-TOM (1,4 Md€). Les principaux dispositifs apparaissent dans le tableau suivant.

Les principales dépenses fiscales résultant de taux réduit de TVA selon le PLF 2018

 

Produits (hors Corse et Outre-mer)

Taux

Coût en 2016

Amélioration et entretien du logement

10 %

3,6 Md€

Restauration sur place

10 %

2,7 Md€

Médicaments remboursables

2,1 %

2,5 Md€

Logements sociaux

10 et 5,5 %

2,2 Md€

Travaux d’amélioration énergétique

5,5 %

1,2 Md€

Source : projet de loi de finances pour 2018

L’inventaire des dépenses fiscales présenté dans ce rapport, qui repose sur les notions particulièrement floues d’impôts « supportables » et de « produits de base », est toutefois contestable. Il est ainsi possible de s’interroger, par exemple, sur les raisons pour lesquelles l’application du taux réduit de TVA de 10 % aux cantines ou aux campings constitue une dépense fiscale alors que l’application du taux de 10 % aux œuvres d’art et antiquités ou du taux de 5,5 % aux livres et aux droits d’entrée dans les salles de cinéma n’en constituent pas.

En outre, le coût des taux particuliers de TVA appliqués en Corse et Outre-mer est estimé en considérant que la norme de référence est l’application du taux auquel les mêmes produits sont soumis en métropole, qui peut lui-même être un taux réduit inscrit sur la liste des niches.

Il est préférable de considérer que tous les cas d’application de taux réduits constituent des dépenses fiscales et que le taux de 20 % est la norme. Ce principe est d’autant plus justifié que les effets redistributifs des taux réduits appliqués à de supposés « produits de base » sont très discutables, comme on le verra plus loin.

2)Un coût réel d’environ 50 Md€

Si le rapport annexé au projet de loi de finances présente des cas de taux réduit qu’il ne retient pas dans la liste des niches fiscales, il n’en donne pas le coût. Le coût des taux réduits peut toutefois être estimé en partant des rendements de la TVA (net des remboursements) en 2017 pour chaque taux (13,0 Md€ pour le taux de 10 %, 10,0 Md€ pour le taux de 5,5 % et 1,0 Md€ pour celui de 2,1 %), en les divisant par le taux et en multipliant le résultat par l’écart entre 20 % et le taux considéré. Les coûts obtenus apparaissent dans le tableau suivant. Le coût des taux réduits appliqués Outre-mer et en Corse a été forfaitairement porté de 1,7 Md€ dans le rapport annexé au PLF à 2 Md€ en cohérence avec la norme retenue ici (taux de 20 % sur tous les produits).

Le coût des taux réduits de TVA

 

Taux

10 %

5,5 %

2,1 %

Outre-mer et Corse

Total

Coût (Md€)

13

26

9

2

50

Source : FIPECO

Le coût total des taux réduits de TVA est donc d’environ 50 Md€, ce qui est très proche de l’estimation fournie par le Conseil des prélèvements obligatoires dans son rapport de 2015 sur la TVA (47,6 Md€).

3)Une spécificité française

Le produit de la TVA rapporté au PIB en France (7,1 %) est très proche de la moyenne pondérée de l’Union européenne (7,1 %) et de la zone euro (6,9 %) en 2017. Son assiette est un peu plus étendue en France car les autres pays utilisent plus souvent les possibilités d’exonérations offertes par les directives européennes. En revanche, le taux moyen de taxation des « emplois taxables »[1] en France (14,8 % en 2013) est plus faible que dans les autres pays (17,9 % dans l’Union européenne). Cet écart de trois points résulte pour 1,0 point d’un taux normal plus bas, pour 1,3 point d’une plus forte proportion d’emplois taxables taxés à taux réduit et pour 0,8 point de taux réduits plus faibles en France[2]. Une étude publiée en juillet 2016 par la Commission européenne confirme cette analyse.

La France se caractérise par une moyenne des taux réduits (5,7 % en 2013) plus faible que dans l’Union européenne (7,9 %) et couvrant une assiette plus étendue (35 % des emplois taxables contre 25 %)[3]. La suppression d’une partie des taux réduits nous rapprocherait donc des autres pays européens.

B)Des effets très faibles des taux réduits sur l’activité économique et l’emploi

1)Les effets théoriques

Celui qui supporte le coût d’un impôt n’est pas nécessairement celui qui en est juridiquement redevable. Par exemple, les entreprises sont redevables de la TVA mais, si elles ne modifient pas leurs prix hors taxes et la répercutent entièrement dans leurs prix toutes taxes comprises (TTC), ce sont leurs clients qui la supportent en réalité. Si cette répercussion n’est que partielle, le poids de la TVA est partagé entre les entreprises et leurs clients. Savoir qui paye réellement l’impôt est, pour les économistes, la question de « l’incidence de la fiscalité ». Elle a donné lieu à de très nombreuses études théoriques et empiriques.

Si une taxe telle que la TVA est majorée de 1 € sur les ventes d’un produit, le prix TTC supporté par le consommateur est relevé, mais de moins que 1 €, et la consommation diminue. Le prix hors taxe, qui rémunère le producteur, diminue, mais de moins que 1 €, ce qui contribue à réduire ses marges et peut le conduire à diminuer ses investissements et ses effectifs ou à réduire les salaires.

Le partage entre hausse du prix TTC et baisse du prix HT, c’est-à-dire entre les producteurs et les consommateurs, dépend de l’élasticité de la consommation de ce produit à son prix. Plus cette élasticité est forte, plus les producteurs doivent baisser leur prix HT pour que leurs ventes ne diminuent pas trop et plus les consommateurs échappent de fait à la taxation.

En tout état de cause, la hausse d’un taux de TVA entraîne, dans des proportions variables selon cette élasticité, une augmentation des prix TTC, une diminution de la consommation et de la production et donc une baisse de l’emploi. Il s’agit de l’emploi déclaré, qui peut être remplacé par du travail non déclaré. Les exportations ne sont pas touchées car elles sont exonérées de TVA. Les importations, qui sont soumises à la TVA, sont affectées comme la production nationale. Les effets d’une baisse de la TVA sont théoriquement symétriques : diminution du prix TTC et augmentation de la production, de la consommation, des salaires et de l’emploi.

2)Les évaluations empiriques

Dans son rapport de 2015, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) soulignait le « déficit d’évaluation » ex ante et ex post de l’efficacité économique des taux réduits sectoriels. Seuls les taux réduits appliqués aux travaux d’entretien du logement et à la restauration ont fait l’objet d’évaluations économiques rigoureuses et les résultats en ont toujours été plutôt négatifs.

En faisant la synthèse des évaluations disponibles, le CPO a établi que le coût par emploi créé était d’environ 200 000 € pour le taux de TVA réduit sur les services de restauration, de 160 000 € pour le taux réduit sur les services d’entretien du logement, contre seulement moins de 40 000 € pour les allégements de cotisations patronales ciblées sur les bas salaires.

Une récente étude de l’institut des politiques publiques confirme les conclusions des évaluations précédentes. Le passage du taux de TVA sur la restauration de 19,6 % à 5,5 % a entraîné une baisse de prix de seulement 1,9 %. Les salaires ont augmenté de 4,1 % et les bénéfices des propriétaires des restaurants de 24 %.

3)Des taux réduits qui reflètent le pouvoir des groupes de pression

La décision d’appliquer un taux réduit à un secteur d’activité n’a jamais résulté d’une évaluation ex ante rigoureuse[4] mais du pouvoir des groupes de pression concernés. Ensuite, comme le note le CPO dans son rapport de 2015 « la création d’un taux réduit crée une forte pression à l’extension de son champ d’application à des activités connexes… la différentiation des taux ne fait qu’accroître la vulnérabilité du système de TVA aux revendications sectorielles ».

C)Un mauvais outil de redistribution des revenus

L’impact de la TVA sur le revenu disponible des ménages dépend, comme on l’a vu, de ses conditions de répercussion dans les prix TTC, qui dépendent elles-mêmes de l’élasticité de la consommation des biens concernés à leur prix. Cet impact est en pratique très mal connu et les analyses des effets de la TVA sur le revenu disponible prennent pour hypothèse, discutable, qu’elle est intégralement répercutée dans les prix TTC.

Même si on fait cette hypothèse, les taux réduits de TVA constituent un très mauvais outil de redistribution car ils ne peuvent pas être ciblés sur des produits consommés seulement par les ménages les plus pauvres, voire sur des « produits de base » qui pourraient être plus particulièrement consommés par les plus pauvres. La nomenclature des produits soumis à un taux réduit ne peut pas être suffisamment fine, tout en restant relativement simple et gérable, pour atteindre cet objectif.

A titre d’illustration, les produits destinés à l’alimentation humaine sont soumis au taux réduit de 5,5 % à l’exception notamment des « chocolats et tous les produits composés contenant du chocolat ou du cacao. Toutefois le chocolat, le chocolat de ménage au lait, les bonbons de chocolat, les fèves de cacao et le beurre de cacao sont admis au taux réduit de 5,5 % » (article 278-0 bis du code général des impôts). Des dispositions aussi absurdes ne peuvent pas être, et heureusement ne sont pas, généralisées.

En fait, les biens et services soumis à des taux réduits sont souvent autant, sinon plus, consommés par des ménages aisés (par exemple, les produits culturels). Le rapport précité du conseil des prélèvements obligatoires souligne que les exonérations et taux réduits ont un impact redistributif très limité, le faible caractère progressif du taux de 5,5 % étant compensé par le caractère dégressif du taux de 10 %.

S’agissant, par exemple, des services de restauration, l’avantage apporté par le taux réduit correspond à 0,07 % de la consommation des ménages du premier décile et à 0,26 % de celle des ménages du dernier décile.

Il existe des outils beaucoup plus efficaces pour redistribuer les revenus parce qu’ils sont parfaitement ciblés sur les ménages visés : l’impôt sur le revenu pour réduire les ressources des ménages les plus aisés et les prestations sociales sous condition de ressources pour accroître les revenus des plus pauvres.

D)Des effets non symétriques des hausses et baisses des taux de TVA

La suppression de tous les taux réduits ferait passer le rendement net de la TVA de 162 Md€ à 212 Md€ et la valeur du point au taux de 20 % serait alors de 10,6 Md€. Pour compenser budgétairement cette suppression des taux réduits, le taux normal pourrait être minoré de 4,7 points pour être ramené à 15,3 %.

Dans les modèles macroéconomiques, fondés sur des données agrégées, les effets sur les prix, la consommation et la production des hausses et des baisses de la TVA sont symétriques. L’uniformisation des taux de TVA à rendement global constant n’aurait donc aucun impact sur les niveaux des prix et de l’activité économique. Elle aurait seulement des effets de second ordre dans des modèles où il existe plusieurs produits ayant des caractéristiques différentes, notamment en termes d’élasticités des prix ou de contenu en emplois.

Certaines évaluations fondées sur des données microéconomiques ou sectorielles concluent cependant que les effets des hausses et des baisses des taux de TVA ne sont pas symétriques. L’étude précitée de l’institut des politiques montre ainsi que les hausses de la TVA appliquée à la restauration, de 5,5 à 7,0 % en 2012 puis de 7,0 à 10,0 % en 2014 ont été beaucoup plus largement répercutées dans les prix TTC que la baisse de 19,6 à 5,5 % en 2009.

Les variations de TVA de 2009 et de 2012-2014 ne sont toutefois pas totalement comparables. En effet, les hausses de 2012 et 2014 se sont inscrites dans un mouvement général de hausse des taux réduits qui a touché d’autres biens et services. En conséquence, les reports de consommation vers d’autres produits et l’élasticité prix des services de restauration ont pu être affaiblis. En outre, il est possible que cette dissymétrie entre les effets des hausses et des baisses des taux de TVA disparaisse à long terme.

Quoiqu’il en soit, d’autres analyses de l’impact des variations de taux de TVA, dans d’autres pays, suggèrent qu’il y a bien, au moins à court et moyen termes, une telle dissymétrie. Dans ces conditions, une uniformisation des taux à rendement ex ante constant entraînerait une hausse du niveau général des prix et donc une baisse de l’activité et de l’emploi. Pour que le rendement de la TVA reste constant, ou augmente pour réduire le déficit public, la baisse du taux normal devrait donc être inférieure à 4,7 points.

Ceci dit, toute suppression d’aides publiques aux entreprises ou aux ménages a des effets négatifs sur les revenus, l’activité et l’emploi, au moins à court et moyen terme, comme toute mesure de réduction du déficit public. Or l’accumulation des dettes publiques présente des risques encore plus importants. Cet argument relatif aux effets négatifs de la réduction des aides publiques ne doit donc pas empêcher la remise en cause des taux réduits de TVA.

 

[1] Assiette économique de la TVA constituée pour environ 60 % d’une partie de la consommation des ménages, pour environ 8 % de leurs investissements en logements neufs, pour environ 15 % d’une partie des achats de biens et services des entreprises (les non assujetties et assujetties partielles) et pour 16 % d’achats des administrations publiques.

[2] « La taxe sur la valeur ajoutée dans l’Union européenne », trésor-éco, direction générale du trésor, 2015.

[3] Moyennes arithmétiques pour l’Union européenne ; source : étude précitée de la direction générale du trésor.

[4] Je n’en connais pas d’exemple.

Revenir en haut de page