06/02/2024
L'amélioration de la qualité des comptes publics
François ECALLE
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Les comptes publics sont de bonne qualité en France et les organisations internationales le reconnaissent aisément. Les procédures de production et de contrôle de ces comptes sont en effet rigoureuses et permettent de s’assurer que l’article 47-2 de la Constitution est respecté : « les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ».
La loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques les a encore améliorés mais des progrès restent à faire. Trois sujets sont traités dans cette note : la comptabilité budgétaire de l’Etat ; l’articulation des trois comptabilités de l’Etat ; les comptes des collectivités territoriales.
En comptabilité budgétaire, les « prélèvements sur recettes » devraient être enregistrés comme des dépenses budgétaires, ce qu’ils sont en réalité. En revanche, la plupart des « remboursements et dégrèvements » devraient être directement déduits des recettes fiscales sans jamais être considérés comme des dépenses budgétaires. Beaucoup de comptes spéciaux, les budgets annexes et les fonds sans personnalité juridique devraient être supprimés.
L’Etat a trois comptabilités : budgétaire, nationale et générale. La troisième est très peu utilisée et il faudrait lui trouver des débouchés.
Les comptes des collectivités locales ne sont pas toujours réguliers et sincères et ne donnent pas toujours une image fidèle de leur situation financière. Il faudrait instaurer une obligation de certification des comptes des grandes collectivités locales et supprimer la « dualité » de ces comptes.
A) Simplifier l’architecture de la comptabilité budgétaire
La comptabilité budgétaire et la présentation des comptes et budgets de l’Etat font l’objet d’une fiche sur ce site. Les principes et règles appliqués sont fixés dans la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 (la LOLF), modifiée notamment par la loi organique du 28 décembre 2021.
1) Comptabiliser les « prélèvements sur recettes » en dépenses
Les « prélèvements sur recettes », prévus à l’article 6 de la LOLF, sont constitués des versements de l’Etat au profit de l’Union européenne et de certains versements aux collectivités locales comme la dotation globale de fonctionnement (d’autres étant comptabilisés en dépenses). Ils sont déduits des recettes budgétaires dans le tableau d’équilibre des lois de finances alors qu’il s’agit, en réalité, de dépenses budgétaires. Ils sont d’ailleurs inclus dans le périmètre de la « norme de dépenses » de l’Etat.
Comme ce ne sont juridiquement pas des dépenses, les parlementaires peuvent les majorer par amendement en les gageant sans que ce soit interdit par l’article 40 de la Constitution, mais ce n’est pas une justification suffisante pour maintenir cette présentation qui ne donne pas une image fidèle des comptes de l’Etat. Il n’existe en effet aucun « prélèvement » sur des recettes particulières.
On pourrait croire qu’il s’agit des recettes fiscales de l’Etat affectées aux collectivités locales (fractions de TVA ou de taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques, par exemple) mais il n’en est rien : ces recettes transférées aux collectivités locales ne sont pas incluses dans les « prélèvements sur recettes ». Cette appellation trompeuse de « prélèvements sur recettes » devrait au moins être changée.
Il serait surtout souhaitable que le droit (la LOLF) soit mis en conformité avec la pratique (les normes de dépenses), que cette notion de prélèvement sur recettes disparaisse et que les versements de l’Etat au profit de l’Union européenne et des collectivités locales soient comptabilisés en dépenses budgétaires, ce qu’ils sont en réalité.
2) Revoir la comptabilisation des remboursements et dégrèvements
Les « remboursements et dégrèvements » (R et D) d’impôts sont cités à l’article 10 de la LOLF pour préciser que les crédits afférents ont un caractère évaluatif et non limitatif. Ils sont comptabilisés comme des dépenses budgétaires dans la plus importante « mission » du budget général (133 Md€ de dépenses payées en 2022), qui est intitulée « remboursements et dégrèvements ».
Si l’article d’équilibre des lois de finances présente désormais (depuis que la loi organique de 2021 est appliquée) les recettes et dépenses du budget général nettes des remboursements et dégrèvements d’impôts d’Etat, certains documents budgétaires présentent seulement les dépenses brutes du budget général, qui sont gonflées par ces R et D.
Les projet et rapports annuels de performance de la mission « remboursements et dégrèvements » les ventilent en quatre catégories.
a) Les remboursements et restitutions liés à la mécanique de l’impôt
Les « remboursements et restitutions liés à la mécanique de l’impôt » (90 Md€ en 2022) sont pour la quasi-totalité des remboursements de crédits de TVA et d’excédents de versements au titre des acomptes d’impôt sur les sociétés (IS). Ils n’ont aucun rapport avec des dépenses budgétaires et relèvent en effet de la « mécanique de l’impôt ». Dans les documents de synthèse et de commentaires du budget, comme l’exposé des motifs du projet de loi de finances, les recettes de TVA et d’IS sont d’ailleurs systématiquement présentées « nettes » de ces remboursements, de même que l’ensemble des recettes fiscales.
Ces R et D relevant de la mécanique de l’impôt ne devraient jamais apparaître parmi les dépenses budgétaires et être systématiquement déduits des recettes fiscales. Cela n’empêche pas d’en indiquer le montant et la décomposition dans le rapport sur les « voies et moyens » annexé à la loi de finances qui présente les recettes constatées et prévues de l’Etat.
b) Les remboursements et dégrèvements liés à des politiques publiques
Les « remboursements et dégrèvements liés à des politiques publiques » (21 Md€) sont surtout des remboursements de crédits d’impôts (IR et IS) et des remboursements de taxe intérieure de consommation des produits énergétiques à certaines professions. S’agissant des crédits d’impôts, ils correspondent à la part remboursée et non à la totalité de la « dépense fiscale », celle-ci incluant également la part imputée sur l’impôt dû.
Ils peuvent être traités comme des dépenses (en comptabilité nationale, le coût total des crédits d’impôt, part imputée et part remboursée, est d’ailleurs considéré comme une dépense publique), mais il ne faut alors pas les déduire des recettes fiscales dans les tableaux d’équilibre. S’ils doivent être déduits des recettes fiscales, il n’y a alors pas de raison de les inclure dans les dépenses d’une mission budgétaire. Leur traitement comptable (dépense dans certains documents ; moindre recette dans d’autres) manque surtout de cohérence.
c) Les remboursements et dégrèvements liés à la gestion des produits de l’Etat
Les « remboursements et dégrèvements liés à la gestion des produits de l’Etat » (15 Md€) comprennent surtout les restitutions aux contribuables de sommes indûment perçues par l’administration, à la suite de réclamations ou à l’initiative des services fiscaux. Ils ne devraient jamais apparaître parmi les dépenses budgétaires et être systématiquement déduits des recettes fiscales.
Ils comprennent également « pour ordre » le montant des « admissions en non-valeur », c’est-à-dire des créances irrécouvrables et abandonnées par les comptables publics. Ces dépenses pour ordre ont pour contrepartie comptable des recettes pour ordre du même montant. Ce mode de comptabilisation conduit à gonfler artificiellement à la fois les recettes et les dépenses et il ne devrait y avoir ni recettes ni dépenses pour ordre, seules les recettes effectivement recouvrées étant comptabilisées, conformément aux principes de la comptabilité budgétaire qui est une comptabilité d’encaissements et décaissements.
d) Les remboursements et dégrèvements d’impôts locaux
Les « remboursements et dégrèvements d’impôts locaux » (7 Md€) correspondent aux R et D d’impôts locaux pris en charge par l’Etat, par exemple les dégrèvements de taxe foncière. Ils incluent également, sans les distinguer, les restitutions de sommes prélevées indûment par les services fiscaux et les admissions en non-valeur. Ces R et D d’impôts locaux devraient être comptabilisées en dépenses de la mission « relations avec les collectivités territoriales », comme les autres transferts en faveur de ces collectivités.
3) Réduire le nombre de comptes spéciaux
Les 23 « comptes spéciaux » limitent fortement la portée du « principe budgétaire d’universalité » selon lequel il ne doit pas y avoir, dans le budget de l’Etat, de compensation entre recettes et dépenses, ni d’affectation de recettes à des dépenses. Le développement des recettes et dépenses des comptes spéciaux peut certes être trouvé dans la documentation budgétaire, mais seul leur solde apparait dans les documents de synthèse et les lois de finances elles-mêmes.
Ce principe juridique d’universalité est économiquement justifié : la compensation entre recettes et dépenses pose un problème de transparence car elle ne permet pas de connaître l’intégralité des recettes et dépenses, seul le solde apparaissant ; la multiplication de ces comptes spéciaux brouille la lecture du budget ; enfin, l’affectation de recettes à des dépenses conduit souvent à fixer le montant des dépenses en fonction des recettes et non en fonction des besoins.
a) Les comptes d’affectation spéciale
Les dépenses et recettes des comptes d’affectation spéciale (CAS) devraient être ajoutées aux dépenses et recettes du budget général. Il n’est pas souhaitable en effet d’isoler dans un compte spécial les recettes et dépenses relatives au « contrôle de la circulation et du stationnement routier », au « développement agricole et rural » ou encore à « l’électrification rurale ». La norme de dépenses de l’Etat comprend d’ailleurs les dépenses de plusieurs comptes d’affectation spéciale.
Deux CAS (« pensions » et « participations financières de l’Etat »), qui sont les plus importants, méritent cependant un traitement particulier.
Le principe d’un régime de retraite par répartition, comme celui des fonctionnaires de l’Etat, consiste à équilibrer les pensions versées et les cotisations prélevées, ce que le CAS des pensions permet de vérifier. Ce régime de retraite devrait néanmoins être géré, comme tous les autres, par une caisse autonome disposant d’une comptabilité distincte de celle de l’Etat, qui devrait elle-même être fusionnée avec la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) et des hôpitaux.
Le CAS des participations financières de l’Etat retrace les opérations en capital entre l’Etat et les entités dans lesquelles il détient une participation financière, en particulier les recettes tirées de la cession de titres et les dépenses correspondant à des achats de titres ou à des dotations en capital. Le montant de ces opérations est très variable d’une année à l’autre et parfois très important. Ajouter ces recettes et dépenses à celles du budget général augmenterait sensiblement leur volatilité. En outre, elles sont d’une nature (financière) très différente, même si on trouve quelques opérations financières dans le budget général. Ce compte d’affectation spéciale pourrait donc être maintenu par exception au principe d’universalité.
b) Les comptes de concours financiers
Le principal compte de concours financiers est le « compte d’avance aux collectivités territoriales » par lequel transitent les impôts locaux prélevés par l’Etat et reversés aux collectivités. En réalité, il n’y a pas d’avances aux collectivités locales. L’Etat leur garantit un montant de recettes fiscales sur la base des assiettes estimées par ses services et des taux fixés par les collectivités. Ces recettes des collectivités apparaissent en dépenses du compte et sont versées chaque mois par douzième. L’Etat prélève lui-même les impôts locaux et en inscrit le produit en recettes du compte. Seul le solde de ce compte correspond à une véritable charge pour l’Etat (s’il est négatif) et il est normal que lui seul apparaisse dans l’article d’équilibre de la loi de finances. Ses recettes et dépenses devraient relever de comptes de tiers.
Le « compte d’avances à l’audiovisuel public » n’est pas non plus un compte d’avances. Ses recettes sont constituées d’une fraction de la TVA et ses dépenses sont constituées des subventions de l’Etat aux entreprises publiques de l’audiovisuel. Ces subventions devraient être inscrites avec les crédits de la mission « médias, livre et industries culturelles ».
En application de l’article 3 de la loi organique du 28 décembre 2021, cette affectation d’une fraction de la TVA aux entreprises publiques de l’audiovisuel ne pourra être maintenue au-delà de 2025 que s’il est établi que la TVA est « en lien avec les missions » de l’audiovisuel public, ce qui n’est pas manifeste.
c) Les comptes de commerce
L’utilité du plus important de ces comptes de commerce, celui qui retrace les opérations de gestion de la dette et de la trésorerie de l’Etat, est très douteuse. En effet, les charges et produits financiers qu’il retrace sont déjà comptabilisés au budget général dans la mission « engagements financiers de l’Etat » et les opérations en capital qu’il retrace (emprunts, remboursements…) sont déjà décrites dans le tableau de financement qui figure dans la loi de finances et la loi de règlement. Il fait donc double emploi avec la mission « engagements financiers » du budget général et le tableau de financement. Il pourrait donc être supprimé.
Les autres « comptes de commerce » retracent des opérations à caractère industriel et commercial effectuées à titre accessoire par des services de l'Etat non dotés de la personnalité morale (par exemple, les activités de production des détenus dans les prisons), parfois pour d’autres services de l’Etat. Ils présentent un enjeu beaucoup plus limité.
4) Supprimer les budgets annexes
Les deux derniers services disposant d’un budget annexe (service du contrôle de la navigation aérienne et direction de l’information légale et administrative) ont des activités principalement marchandes et doivent couvrir leurs coûts par leurs recettes, ce qui suppose d’affecter les recettes à la couverture des coûts. Ces activités devraient toutefois être exercées par des établissements publics industriels et commerciaux ou par des sociétés à capitaux publics. Le contrôle aérien devrait même être confié à une agence européenne, ce qui permettrait de réduire les coûts de transport et les émissions de carbone dus à la fragmentation de l’espace aérien européen. Ce projet est porté sans succès par la Commission européenne depuis très longtemps.
5) Supprimer les fonds sans personnalité juridique
Les « fonds sans personnalité juridique » sont, selon la Cour des comptes, « des véhicules financiers contrôlés par l’Etat et dont la gestion est confiée à des tiers » (par exemple, le fonds national des aides au logement, la plupart des fonds qui financent les programmes d’investissement d’avenir et le fonds pour l’innovation et l’industrie créé en 2018). Ce sont de simples comptes de tiers dans la comptabilité d’organismes comme la Caisse des dépôts et consignations ou BPI France dont les mouvements en crédits et débits sont effectués par les comptables de ces organismes sous le contrôle des services de l’Etat. C’est la forme la plus poussée de débudgétisation car il n’y en a aucune trace dans les documents budgétaires de l’Etat, ni dans les comptes publiés par ces organismes. Ces fonds devraient donc être supprimés et leurs dépenses inscrites dans les lois de finances.
B) Mieux articuler les comptabilités de l’Etat
La fonction comptable de l’Etat occupe environ 8 000 agents à la DGFIP[1]. Ils produisent deux comptabilités, budgétaire et générale[2], qui en alimentent une troisième, la comptabilité nationale.
La comptabilité générale, qui existe depuis 2006, est très peu utilisée. En effet, les gestionnaires n’utilisent que la comptabilité budgétaire parce que le budget est présenté et voté dans ce cadre. Les crédits doivent donc être gérés par les responsables de programmes dans ce même cadre. Ensuite, une comptabilité de caisse est plus facile à comprendre qu’une comptabilité d’exercice, celle-ci impliquant des traitements complexes. Enfin, elle permet un suivi quasi-quotidien, alors qu’une comptabilité en droits constatés oblige à effectuer des opérations d’inventaire nécessairement plus espacées dans le temps.
La comptabilité nationale devrait s’appuyer en principe sur la comptabilité générale, qui est en droits constatés, plutôt que sur une comptabilité budgétaire de caisse, mais elle s’appuie en pratique surtout sur cette dernière. Eurostat a en projet le développement de normes harmonisées de comptabilité générale dans toutes les administrations publiques, mais à un horizon lointain. Certains pays, notamment l’Allemagne, n’ont qu’une comptabilité de caisse et ne semblent pas vouloir adopter une comptabilité en droits constatés.
Avec une comptabilité de caisse, il est certes parfois facile d’améliorer artificiellement le résultat en « oubliant » de payer des factures, mais un contrôle interne efficace peut empêcher de telles dérives. Une comptabilité de caisse ne permet pas d’établir un bilan, tout au moins un bilan complet[3], mais il n’est pas certain que l’estimation précise de tous les actifs et passifs de l’Etat, avec en fait souvent des modes de valorisation conventionnels, soit nécessaire au regard de son coût et de son utilité.
La comptabilité budgétaire a donc des atouts par rapport à la comptabilité générale et conserve un rôle majeur, comme la comptabilité nationale qui a des avantages tout aussi déterminants. Elle seule permet en effet des comparaisons internationales, consolide les comptes des administrations publiques et présente des séries longues à méthodes constantes. Elle a certes une périodicité seulement annuelle (il existe des comptes trimestriels mais très peu détaillés pour les administrations publiques) et les données publiées sont trop agrégées pour analyser avec précision les recettes et dépenses publiques. Pour de telles analyses, elle peut toutefois être complétée par les données de la comptabilité budgétaire.
Ces deux comptabilités sont donc complémentaires et évincent la comptabilité générale qui est au milieu du gué. Pour être utile, il faudrait qu’elle remplace la comptabilité budgétaire, ce qui signifierait notamment : faire voter au Parlement un compte de résultat prévisionnel et établir des résultats mensuels en droits constatés ; mettre en place une véritable comptabilité analytique s’appuyant sur la comptabilité générale. Les grandes entreprises privées le font et c’est donc possible mais le coût de cette nouvelle étape serait probablement élevé pour l’Etat et il n’est pas certain que ses performances en seraient améliorées.
A défaut d’une telle réforme, il faudrait réduire le coût de gestion de la comptabilité générale, en acceptant des imprécisions sur certains postes de moindre importante, et ses ambitions, en ne se lançant pas sur la voie d’une consolidation des comptes de l’Etat et des entités qu’il contrôle. Il serait également souhaitable que les comptables nationaux l’utilisent plus souvent.
C) Améliorer les comptes des collectivités locales
Dans son rapport de septembre 2018 sur les finances locales, la Cour des comptes a fait le point sur la fiabilité des comptes publics locaux et les moyens de l’améliorer.
1) La dualité des comptes
La Cour des comptes critique depuis longtemps la dualité des comptes des collectivités locales, entre le « compte administratif » de l’ordonnateur (maire…) et le « compte de gestion » du comptable, qui est une source de complexité et de fragilité des états financiers, et elle plaide en faveur d’un compte financier unique. Un rapport des inspections générales de l’administration et des finances d’août 2017 confirme l’intérêt et la faisabilité de cette réforme et propose des pistes d’évolution pour y parvenir.
La loi de finances pour 2019 prévoit que les collectivités locales et leurs groupements puissent, à titre expérimental et pour trois ans à partir de l’exercice 2020, présenter un compte financier unique.
2) Le compte de résultat
Beaucoup de collectivités locales omettent d’amortir leurs immobilisations ou de provisionner leurs créances ou leurs risques. La Cour notait en 2018 que les provisions pour dépréciation et pour risques sont inexistantes dans les trois quarts des collectivités qui se sont engagées à expérimenter la certification de leurs comptes (cf. plus loin).
En outre, pour éviter que ces dotations ne contraignent les collectivités locales à trouver des recettes « réelles » supplémentaires, les instructions comptables leur permettent de comptabiliser des « recettes d’ordre » fictives en contrepartie des dotations aux provisions et amortissements[4]. Ces écritures pour ordre brouillent la lecture de leurs comptes.
Par ailleurs, malgré l’existence d’une « période complémentaire » qui permet de rattacher à l’exercice N des charges payées au début de l’année N+1, le rattachement des charges à l’exercice approprié est souvent très incertain.
Enfin, alors qu’ils devraient être enregistrés sur des lignes comptables spécifiques, les flux financiers entre les comptes principaux des communes, les comptes annexes et les comptes des groupements auxquels elles appartiennent, ne sont pas toujours correctement identifiés, notamment ceux qui concernent les mises à disposition de personnels.
3) Le bilan
Selon la Cour des comptes, la connaissance de leur patrimoine par les collectivités territoriales est très lacunaire, voire inexistante, alors qu’elles sont supposées tenir une comptabilité d’exercice patrimoniale. En particulier, les inventaires comptables sont d’une fiabilité très limitée. Un rapport de mai 2016 de l’inspection générale des finances sur le patrimoine des collectivités locales confirme ce constat.
A la suite de la découverte d’importants « emprunts toxiques » dans les comptes des collectivités locales au début de la précédente décennie, des travaux ont été entrepris, notamment par le conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP), et des instructions ont été données par le ministre chargé des comptes publics pour qu’elles intègrent mieux dans les comptes et leurs annexes les risques liés à leurs engagements financiers.
Les dettes vis-à-vis des fournisseurs qui résultent de mandats des ordonnateurs non payés par les comptables faute de trésorerie suffisante apparaissent rarement au passif.
Le CNOCP a adopté un recueil de normes comptables publié en 2023 qui tient compte des spécificités du secteur public local et concerne le bilan, le compte de résultat et les annexes. Il devrait permettre de les améliorer.
4) La certification des comptes
Les comptes des collectivités locales sont examinés par les chambres régionales des comptes, avec une périodicité variable, à l’occasion des contrôles de leur gestion, mais ces travaux ne correspondent pas à une mission de certification.
La loi de 2015 sur une nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRé) a prévu l’expérimentation d’une certification des comptes des collectivités les plus grandes, sur une base volontaire, conduite sous l’égide de la Cour et en liaison avec les chambres régionales des comptes. Cette expérimentation a porté sur les comptes des exercices 2020 à 2022 de 25 collectivités de toutes catégories et de toutes tailles.
Dans son bilan final de cette expérimentation, établi en janvier 2023, la Cour des comptes conclut que toutes les collectivités locales devraient engager une démarche progressive de fiabilisation de leurs comptes mais que seules les plus importantes devraient les faire certifier par un auditeur externe compte-tenu du coût de cette certification.
Dans un référé de septembre 2023, la Cour observe que le gouvernement a présenté en juin 2023 un rapport au Parlement où il propose de conserver le caractère facultatif de cette certification, même pour les plus grandes collectivité. La Cour souligne que les collectivités locales ont toujours pu faire certifier leurs comptes sur une base volontaire et que ce statu quo serait incohérent avec les choix faits pour les autres administrations publiques (Etat, régime général de sécurité sociale…) dont les comptes doivent être « réguliers et sincères » et « donner une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière » selon la Constitution.
La Cour note que le coût de la certification est inférieur à 0,05 % des dépenses de fonctionnement des collectivités qui participent à l’expérimentation et que celles-ci reconnaissent l’utilité de cette démarche. Elle rappelle que la fiabilité des comptes des collectivités locales présente des « insuffisances majeures » quelle que soit leur taille : « ainsi, les produits et les charges ne sont pas toujours enregistrés dans le bon exercice comptable... Les charges et les risques ne sont pas systématiquement provisionnés. Les créances dont le recouvrement est compromis ne sont pas toujours dépréciées. Souvent, les collectivités ne disposent pas d’un inventaire complet et actualisé de leurs immobilisations corporelles et incorporelles ; lorsqu’il en existe un, elles ne rapprochent pas les données comptables avec les informations qui y sont retracées. La plupart des engagements hors bilan donnés et reçus ne sont pas recensés. La traçabilité des opérations effectuées et comptabilisées est imparfaitement assurée ».
Elle observe que les commissaires aux comptes de 20 collectivités participant à l’expérimentation ont refusé de certifier leurs comptes de 2020 mais que les réformes entreprises leur ont permis de certifier les comptes de 2022 de 14 d’entre elles.
La Cour recommande donc d’instaurer une obligation de certification des comptes des collectivités locales de taille importante.
5) La consolidation des comptes
Les activités industrielles et commerciales des collectivités font souvent l’objet de budgets et comptes annexes qui ne sont pas consolidés avec les budgets et comptes principaux.
En outre, les collectivités locales logent beaucoup de leurs interventions dans des structures juridiquement autonomes dont elles ont le contrôle de fait et dont elles partagent les risques (établissements publics locaux, associations sportives ou culturelles, sociétés d’économie mixte…). Enfin, les communes transfèrent certaines de leurs compétences à des établissements publics de coopération intercommunale.
Comme l’ont montré les bilans de l’expérimentation de la certification de leurs comptes, l’absence de consolidation de ceux-ci avec leurs budgets annexes et ceux de leurs satellites et des groupements auxquels elles appartiennent est un obstacle à une appréciation correcte de leur situation financière.
Les médias suivants ont mentionné cette note :
La gazette des communes
[1] Soit 8 % de ses 100 000 agents selon son rapport d’activité pour 2019.
[2] La comptabilité budgétaire distingue même, s’agissant des dépenses, une comptabilité des « crédits de paiements » et une comptabilité des « autorisations d’engagement ».
[3] Les dettes financières de l’Etat sont comptabilisées depuis bien avant la mise en place de la comptabilité générale.
[4] En effet, les collectivités locales sont astreintes à voter et exécuter la section de fonctionnement, pour le compte administratif, ou le compte de résultat, pour le compte de gestion, en équilibre ou en excédent. Or les dotations aux amortissements et aux provisions accroissent leurs dépenses et peuvent les obliger à augmenter leurs recettes de fonctionnement, en pratique souvent les impôts locaux, pour atteindre cet équilibre.