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23/06/2021

La modification des lois organiques relatives aux finances publiques

François ECALLE

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Le président et le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale ont présenté en mai 2021 une proposition de loi organique « relative à la modernisation de la gestion des finances publiques » modifiant les lois organiques de 2001 sur les lois de finances (LOLF) et de 2012 sur la programmation et la gouvernance des finances publiques.

La présente note commente les principales modifications que le vote de cette proposition de loi organique apporterait. Elles sont souhaitables pour la plupart d’entre elles mais pas toujours assez ambitieuses.

A) Le renforcement de la programmation pluriannuelle

1) Les propositions

Il est proposé que les lois de programmation des finances publiques définissent, pour chaque année couverte, un objectif de dépenses publiques en milliards d’euros courants et un objectif de croissance de ces dépenses en volume. L’objectif en niveau donnerait lieu à des sous-objectifs relatifs à des dépenses particulières (dépenses de l’Etat, ONDAM…), qui existent déjà, et l’objectif en taux de croissance serait décliné par catégories d’administrations publiques.

L’article liminaire des lois de finances et de financement de la sécurité sociale présenterait, pour chaque année à venir de la période de programmation, les prévisions actualisées relatives à ces objectifs de dépenses ainsi qu’au solde public, au solde structurel, à la dette publique et aux prélèvements obligatoires.

S’agissant du budget de l’Etat, les crédits par programme seraient présentés non seulement pour l’année à venir mais aussi, à titre indicatif, pour les deux années suivantes en cohérence avec la loi de programmation ou l’article liminaire de la loi de finances.

La loi d’approbation des comptes et des résultats de gestion (nouvelle appellation de la loi de règlement) comprendrait un article liminaire donnant la valeur prise par ces indicateurs l’année passée.

2) Commentaires

Quel qu’en soit le taux d’intérêt, la dette publique n’est pas soutenable si les dépenses publiques augmentent toujours plus vite que le PIB, sauf à relever toujours plus le taux des prélèvements obligatoires ce qui n’est pas souhaitable. Les dépenses publiques annuelles doivent donc être plafonnées dans une loi de programmation pluriannuelle.

En raison du principe constitutionnel dit d’annualité, on ne peut certes pas empêcher le Parlement de voter des lois financières annuelles qui ne respectent pas les plafonds fixés dans les lois de programmation et, même si la Constitution était révisée pour rendre les lois de programmation contraignantes, le Parlement pourrait toujours en voter une nouvelle s’il ne voulait plus respecter celle en vigueur. Le renforcement de la programmation pluriannuelle des dépenses publiques est néanmoins utile et nécessaire car elle donne des orientations aux gestionnaires pour prendre leurs décisions et, même si elle n’est pas respectée, elle oblige au moins le Gouvernement à s’expliquer.

Les dispositions actuelles selon lesquelles les lois de programmation fixent en priorité un objectif de solde structurel à moyen terme, proche de l’équilibre, et la trajectoire des soldes structurels annuels permettant d’y parvenir seraient maintenues. En effet, elles constituent la transposition en droit français du traité de 2012 sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) dans l’Union européenne et du pacte de stabilité et de croissance (PSC) qui précise et complète le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’esprit de la proposition de loi organique (PLO) est de donner la priorité à la trajectoire de dépenses et de laisser de côté la trajectoire de solde structurel, mais la réécriture proposée de la LOLF et de la loi organique de 2012 ne fait pas apparaître clairement ce changement de priorité car ce ne serait pas conforme aux textes européens, tant qu’ils ne sont pas eux-mêmes révisés.

La trajectoire des dépenses publiques devrait pouvoir être modifiée par le Parlement pour tenir compte de hausses ou de baisses des prélèvements obligatoires non prévues dans la loi de programmation de sorte de maintenir inchangé le solde structurel. L’indicateur le plus pertinent est en fait l’effort structurel qui permet de mesurer l’impact combiné des mesures nouvelles relatives aux recettes et aux dépenses publiques. Il est prévu dans cette PLO que l’effort structurel annuel figure dans la loi de programmation mais pas dans l’article liminaire des lois financières annuelles, ce qui tend à en faire un indicateur secondaire alors qu’il devrait être privilégié. Au moins faudrait-il inscrire dans la loi organique que toute baisse non prévue des prélèvements obligatoires doit être compensée par une diminution équivalente de l’objectif de dépenses.

La loi de programmation fixerait des objectifs de dépenses en euros courants et de croissance en volume des dépenses, ces deux objectifs étant liés par les prévisions d’inflation du scénario macroéconomique sous-tendant la programmation des finances publiques. Il faudrait peut-être préciser que l’objectif de dépenses en euros courants serait modifié dans les lois financières annuelles si l’inflation prévue était elle-même modifiée.

Enfin, il faudrait prévoir une clause de sauvegarde permettant de dépasser les objectifs de dépenses dans des circonstances exceptionnelles, par exemple en cas de récession.

B) L’amélioration de la présentation du budget

1) Les propositions

Il est proposé dans cette PLO de distinguer systématiquement les recettes et dépenses de fonctionnement et les recettes et dépenses d’investissement, notamment dans les articles soumis au vote et pas seulement dans des annexes comme actuellement, par exemple dans l’article d’équilibre des lois de finances ou dans la décomposition des crédits par missions et programmes.

Il est également proposé de renforcer les exigences applicables aux prélèvements sur recettes (évaluation de leur efficacité, création de nouveaux prélèvements réservée aux lois de finances…).

Les affectations de taxes dont bénéficient les opérateurs de l’Etat seraient mieux encadrées (inscription dans la loi organique de la doctrine d’emploi des taxes affectées et du principe de plafonnement des emplois des opérateurs ; récapitulation des affectations de taxes dans la première partie de la loi de finances).

Les instruments concourant aux objectifs des programmes (crédits budgétaires mais aussi dépenses fiscales, dépenses des opérateurs, interventions des collectivités locales…) seraient plus systématiquement recensés dans les projets et rapports annuels de performance.

2) Commentaires

La distinction entre dépenses et recettes de fonctionnement et d’investissement est très importante, mais il ne faudrait pas que sa généralisation conduise à privilégier systématiquement les investissements. En effet, certains investissements sont inutiles alors que certaines dépenses de fonctionnement, comme la rémunération d’enseignants, contribuent à relever le potentiel de croissance.

Les propositions de la PLO visant à améliorer la présentation du budget manquent d’ambition car il faudrait aller beaucoup plus loin comme indiqué dans une note de ce site : les prélèvements sur recettes sont des dépenses au profit des collectivités territoriales et de l’Union européenne et devraient donc figurer parmi les dépenses budgétaires au lieu d’être déduits des recettes ; les remboursements et dégrèvements d’impôts locaux devraient être traités comme des dépenses au profit des collectivités locales au lieu d’être déduits des recettes fiscales de l’Etat ; plusieurs comptes spéciaux, les budgets annexes et les « fonds sans personnalité juridique » devraient être supprimés.

Les dispositions relatives aux affectations de taxes et au recensement des instruments concourant aux objectifs des programmes amélioreraient la présentation du budget.

C) La révision de l’année budgétaire

1) Les propositions

Le vote de cette PLO conduirait à supprimer le débat d’orientation des finances publiques de juillet et à élargir la portée du débat sur le programme de stabilité en avril. Le dépôt du projet de loi de règlement (renommée « loi d’approbation des comptes et des résultats de gestion ») serait avancé du 1er juin au 1er mai et la réservation d’une période consacrée à l’évaluation des politiques publiques (appelée « printemps de l’évaluation ») au cours de l’examen de ce projet de loi serait inscrite dans la loi organique.

L’examen du projet de loi de finances initiale commencerait en septembre par un débat sur la dette publique sur la base d’un rapport du Gouvernement.

Une nouvelle catégorie de lois de finances serait créée, les lois de finances de fin de gestion qui remplaceraient les lois de finances rectificatives de fin d’année. Elles se différencieraient de ces dernières par l’interdiction d’y inscrire des mesures fiscales nouvelles.

2) Commentaires

L’allongement de la période d’examen du projet de loi de règlement, pour notamment évaluer plus profondément les résultats des politiques publiques, est bienvenu, de même que l’ouverture de la session budgétaire d’automne par un débat autour d’un rapport sur la dette publique.

Les gouvernements ont souvent inscrit dans les lois de finances rectificatives de fin d’année des mesures fiscales « oubliées » dans le projet de loi de finances initiale pour l’année suivante. Or les exigences en termes d’évaluation préalable et les délais d’examen des projets de lois de finances rectificatives sont moindres que ceux des projets de loi de finances initiale. La création de ces lois de finances de fin de gestion est donc souhaitable.

La commission des finances de l’Assemblée nationale n’est pas compétente pour proposer de modifier le calendrier des lois de financement de la sécurité sociale, mais celui-ci mériterait aussi d’être révisé. La loi de financement de la sécurité sociale joue le rôle à la fois de loi de règlement pour l’année passée, de loi rectificative pour l’année en cours et de loi initiale pour l’année à venir. Il conviendrait de distinguer une loi d’approbation des comptes et résultats sociaux et de faire en sorte que l’examen du projet déposé par le Gouvernement ait lieu en même temps que celui du projet de loi d’approbation des comptes de l’Etat. Une proposition de loi organique modifiant la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale a été déposée en ce sens par un autre député.

D) Le renforcement du Haut Conseil des finances publiques

1) Les propositions

Les auteurs de la PLO proposent d’élargir le mandat du Haut Conseil des finances publiques. Il pourrait se prononcer sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses des projets de lois de finances ou de financement de la sécurité sociale. Il pourrait, à la demande du Gouvernement, examiner les conséquences financières de toute disposition des projets de loi de finances ou de loi de financement. Il pourrait apprécier la cohérence des lois de programmation sectorielles (défense, recherche…) avec la loi de programmation des finances publiques en vigueur.

En vue du dépôt du projet de loi d’approbation des comptes de l’Etat, il rendrait un avis spécifique sur le respect des objectifs de dépenses publiques au cours de l’année écoulée.

2) Commentaires

L’élargissement des missions du Haut Conseil est souhaitable. Il examine déjà en pratique le réalisme des prévisions de recettes et dépenses publiques du Gouvernement, mais parce qu’il interprète ainsi les dispositions actuelles de la loi organique de 2012 qui sont ambiguës. Cette clarification est donc bienvenue. Son avis sur la cohérence entre les lois de programmation sectorielles et la loi de programmation des finances publiques est nécessaire. L’examen des conséquences financières des dispositions des projets de loi de finances et de financement, notamment des mesures fiscales nouvelles, est souhaitable et le Haut Conseil devrait pouvoir y procéder de sa propre initiative ou à la demande du Parlement. Plus généralement, il devrait pouvoir s’auto-saisir, ce qui lui est actuellement interdit, ou répondre à une saisie du Parlement.

Les objectifs de dépenses publiques étant privilégiés, il est souhaitable que le Haut Conseil rende un avis spécifique sur leur respect au cours de l’année écoulée. Il faudrait aussi qu’il puisse s’auto-saisir s’il craint un dépassement de ces objectifs en cours d’année.

S’agissant des programmes de stabilité, la mission du Haut Conseil reste limitée à une appréciation du scénario macroéconomique alors qu’elle devrait être étendue au réalisme des prévisions de recettes et dépenses publiques.

Les missions assignées actuellement au Haut Conseil seraient maintenues, notamment celles qui concernent le suivi du solde structurel et le déclenchement du « mécanisme de correction automatique » si celui-ci est significativement supérieur à la trajectoire prévue par la loi de programmation des finances publiques. Les objectifs de dépenses étant désormais privilégiés, ces missions pourraient être allégées mais elles résultent du TSCG et du PSC qui n’ont pas été modifiés.

E) L’enrichissement de l’information budgétaire

1) Les propositions

Outre les éléments d’information déjà cités (rapport du Gouvernement sur la dette publique…), le PLO prévoit : un rapport du Gouvernement sur la situation des finances publiques locales annexé au projet de loi de finances et pouvant donner lieu à un débat préalable à la discussion des articles concernant les collectivités territoriales ; que toutes les dispositions fiscales inscrites dans des lois autres que les lois de finances initiales soient récapitulées dans une annexe du projet de loi de finances ; que le rapport annexé au projet de loi de finances et relatif aux dépenses fiscales comporte une évaluation de celles qui viennent d’être crées et de celles qui arrivent à expiration.

2) Commentaires

Ces propositions d’enrichissement de l’information budgétaire sont bienvenues.

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