30/09/2021
La taxation des carburants
François ECALLE
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La hausse du prix des carburants au cours des derniers mois a relancé les débats sur leur taxation, même si cette hausse résulte du prix du pétrole et non des taxes. Dans ce contexte, le présent billet décrit les principales caractéristiques de la fiscalité des carburants en 2021, l’évolution de ses tarifs et de son rendement depuis la fin des années 1990, son impact économique et social, enfin la situation de la France par rapport aux autres pays européens.
De 1998 à 2014, la hausse des tarifs de la « taxe intérieure de consommation des produits énergétiques » (TICPE) a été inférieure à l’inflation. Comme, en outre, la consommation de gazole (moins taxé) a augmenté tandis que celle d’essence (plus taxée) diminuait, les recettes budgétaires tirées de la TICPE ont stagné en euros et fortement baissé en pourcentage du PIB (de 1,7 à 1,1 %).
En 2014, une « composante carbone », en euros par tonne de CO² émise, a été incluse dans les tarifs de la TICPE puis progressivement augmentée jusqu’en 2018 où elle a atteint 10 / 12 centimes par litre de supercarburant / gazole. Les recettes tirées de la TICPE se sont alors accrues pour atteindre 32 Md€, soit 1,35 % du PIB, en 2018.
La loi de finances initiale pour 2018 avait programmé une augmentation progressive de la composante carbone de la TICPE jusqu’à 2022 mais cette hausse a été abandonnée à la fin de 2018 à la suite du mouvement des « gilets jaunes » alors que la taxation est un instrument simple et efficace de lutte contre les émissions de gaz carbonique. La consommation de carburants est en effet sensible à leur prix et donc aux taxes qui le majorent. Cette fiscalité pèse certes plus lourdement sur les ménages modestes ou ruraux mais cet effet négatif pourrait être fortement atténué en recyclant le produit de la hausse de la taxe sous forme de transferts aux ménages décroissant avec leur revenu et dépendant de leur zone de résidence, même si les taxes affectées devraient en principe être évitées.
La crise a ramené les recettes tirées de la TICPE à 27,0 Md€, soit 1,2 % du PIB, en 2020.
Son tarif (hors TVA) représentait environ 42 % du prix à la pompe en septembre 2021.
Il figure parmi les plus élevés de l’Union européenne mais le produit de la taxation des carburants en France représente un pourcentage du PIB à peu près égal à la moyenne européenne. La relative faiblesse de ces recettes au regard des tarifs pourrait s’expliquer par l’importance des dépenses fiscales (6,4 Md€ en 2020) au profit de secteurs particuliers.
A) Les principales caractéristiques de ces taxes en 2021
Les carburants sont soumis à la « taxe intérieure de consommation des produits énergétiques » (TICPE) qui a remplacé en 2011 la « taxe intérieure de consommation des produits pétroliers » (TIPP), elle-même ayant succédé à la « taxe intérieure pétrolière » créée en 1928.
La TICPE est un « droit d’accise », comme les taxes sur les alcools et les tabacs, c’est-à-dire un impôt indirect sur la vente d’un produit particulier qui est exprimé en euros par quantité de produit vendue. En conséquence, contrairement à la TVA, les accises n’amplifient pas les variations des prix hors taxes.
Elle s’applique aux produits pétroliers et assimilés (comme les biocarburants) qui sont utilisés comme carburants ou comme combustibles en vue du chauffage. Il existe par ailleurs une taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN), une taxe intérieure sur la consommation de charbon (TICC) et des taxes sur la consommation finale d’électricité.
La TICPE est exigible au moment de l’importation ou de la « mise à la consommation » des produits, en pratique à la sortie des dépôts pétroliers ou des raffineries. Les services de la direction générale des douanes la collectent par décades auprès des raffineurs ou importateurs, qui la répercutent sur les distributeurs et ceux-ci sur les consommateurs. La TICPE est elle-même soumise à la TVA au taux normal de 20 %.
Les taux de la TICPE par produit sont votés par le Parlement et les conseils régionaux peuvent les majorer dans la limite de 0,73 centime par litre de supercarburant et 1,35 centime par litre de gazole (ces limites sont un peu plus élevées en Ile-de-France). En 2021, toutes les régions ont adopté la majoration maximale sauf Auvergne-Rhône-Alpes et la Corse.
Compte-tenu de ces majorations, les taux de la TICPE en 2021 sont de 60,75 centimes par litre pour le gazole (62,64 centimes en Ile-de-France) et 69,02 centimes pour l’essence sans plomb SP95-E5 (70,04 centimes en Ile-de-France).
Le 17 septembre 2021, la TICPE (hors TVA) comptait pour 42 % du prix à la pompe du gazole (1,45 € / litre) et 43 % de celui du SP95 (1,59 € / litre) selon l’union française des industries pétrolières. En ajoutant la TVA sur la TICPE[1], celle-ci comptait pour 50 % du prix à la pompe de l’essence et 52 % de celui du gazole.
Plusieurs branches professionnelles bénéficient d’une exonération, de taux réduits ou de remboursements, partiels ou totaux, de TICPE : agriculture, transports aériens et fluviaux, taxis, transports publics collectifs de voyageurs, transport routier de marchandises pour les véhicules de plus de 7,5 tonnes… La Corse et les départements d’outre-mer bénéficient d’un régime plus avantageux.
Source : union française des industries pétrolières. Les CEE sont les certificats d’économies d’énergie.
B) L’évolution des taux de la TICPE depuis 1998
De 1998 à 2014, la hausse des tarifs de la TICPE (+ 17 % pour le gazole et + 7 % pour l’essence sans plomb) a été nettement inférieure à l’inflation (+ 26 %).
Depuis 2014, les différentes taxes intérieures de consommation incluent une « composante carbone » en euros par tonne de CO² émise du fait de la combustion de ces combustibles. Elle a atteint 44,6 € par tonne de CO² en 2018 (soit environ 12 centimes par litre de gazole et 10 centimes par litre d’essence sans plomb[2]). L’augmentation de cette composante explique la hausse du taux de la TICPE sur le SP95-E5 de 2013 à 2018 (+ 13 %). La hausse du taux de la TICPE sur le gazole (+ 39 %) tient à la montée en charge de la composante carbone mais aussi à son alignement progressif sur le taux d’imposition de l’essence sans plomb.
La loi de finances pour 2018 avait programmé une augmentation progressive de cette composante carbone jusqu’à un niveau de 86,20 € par tonne de CO² en 2022, ce qui aurait conduit la TICPE à 78,23 c€ par litre de gazole et 77,80 c€ par litre de SP95-E5. Toutefois, la loi de finances pour 2019 a annulé les hausses prévues pour les années 2019 à 2022.
C) Le rendement budgétaire
De 1998 à 2014, comme indiqué ci-dessus, la hausse des tarifs de la TICPE a été nettement inférieure à l’inflation ; la consommation de gazole, moins taxé, a augmenté en volume de 34 %, soit un peu plus que le PIB (27 %), mais celle de supercarburant a diminué de 51 % ; les dépenses fiscales relatives à la TICPE sont passées de 2,3 Md€ à 3,6 Md€.
Le produit de la TICPE (TIPP avant 2011) est ainsi resté quasiment constant de 1998 (23,4 Md€) à 2014 (23,8 Md€ en 2014). Rapporté au PIB, il a donc nettement diminué (de 1,7 à 1,1 %).
La création puis la montée en puissance de la composante carbone ainsi que le rattrapage du tarif appliqué à l’essence par celui qui est appliqué au gazole ont ensuite fait remonter le poids de la TICPE jusqu’à 1,35 % du PIB en 2018. La baisse de la consommation due à la crise l’a ramené à 1,2 % du PIB en 2020.
Source : Insee ; recettes de TIPP avant 2011
En comptabilité nationale, le produit de la TICPE s’est élevé à 27,0 Md€, soit 1,2 % du PIB, en 2020, après 31,4 Md€ (1,3 % du PIB) en 2019 (31,9 Md€ et 1,35 % du PIB en 2018). En comptabilité budgétaire, il était de 26,4 Md€[3] dont 13,7 Md€ pour l’Etat (6,9 Md€ pour le budget général et 6,8 Md€ pour le compte d’affectation spéciale « transition énergétique »), 11,1 Md€ pour les collectivités territoriales (régions et départements) et 1,6 Md€ pour l’agence de financement des infrastructures de transport de France[4]. Les collectivités locales reçoivent non seulement la part de la TICPE dont le taux est modulable par les régions mais aussi une fraction importante de la part de la TICPE dont le taux est national.
Les dépenses fiscales (coût des exonérations, taux réduits et remboursements) se sont élevées à 6,4 Md€ en 2020, mais l’exonération du kérosène consommé par l’aviation commerciale ne figure pas sur la liste officielle des dépenses fiscales.
D) Les contraintes et les comparaisons internationales
Les taxes sur l’énergie font l’objet d’une harmonisation européenne à travers une directive de 2003. Elle précise notamment leur champ d’application, fixe des taux minimaux et détermine les conditions dans lesquelles certains secteurs, certaines zones géographiques ou certaines formes d’énergie peuvent ou doivent bénéficier d’exonérations, de taux réduits ou de remboursements.
Les taux minimaux de taxation des carburants sont de 35,9 c€/l pour l’essence sans plomb et 33,0 c€/l pour le gazole.
Le tableau suivant fait apparaitre les taux effectifs de taxation dans les principaux pays de l’Union européenne comparables à la France en juin 2020. Ils sont nettement supérieurs aux minima communautaires.
Les taxes sur les carburants en juin 2020 en centimes par litre
|
France
|
Allemagne
|
Royaume-Uni
|
Italie
|
Espagne
|
Pays-Bas
|
Belgique
|
Suède
|
Essence
|
69
|
65
|
65
|
73
|
47
|
80
|
60
|
63
|
Gazole
|
61
|
47
|
65
|
62
|
38
|
51
|
60
|
45
|
SourcSource : Commission européenne ; FIPECO
Ces taux sont plus forts en France que dans ces pays, à l’exception de l’Italie (pour essence et gazole), des Pays-Bas (essence) et du Royaume-Uni (gazole). Ils sont particulièrement faibles en Espagne. La TVA s’ajoute, au taux normal, à ces accises dans tous les pays européens.
En pourcentage du PIB, les taxes sur les carburants ont un poids quasiment identique en France (1,3 % du PIB en 2019)[5] et dans la moyenne des pays de l’Union européenne ou de la zone euro (1,2 %). Si les taux « normaux » de taxation des carburants y sont parmi les plus élevés, le rendement budgétaire de ces taxes est réduit en France par les dépenses fiscales associées. Le poids des taxes sur les carburants est nettement supérieur à la moyenne en Italie et nettement inférieur en Suède.
Source : Commission européenne ; FIPECO
E) L’impact économique et social
La consommation des carburants est sensible à leur prix et donc au niveau des taxes. Selon une note de 2019 du conseil d’analyse économique (CAE), l’analyse économétrique de cette consommation conduit à une élasticité prix de la consommation de carburants d’environ 0,45. Elle est plus élevée pour les ménages modestes et ceux qui habitent dans les petites ou moyennes communes.
La dieselisation continue du parc automobile français jusqu’à ces dernières années illustre également la sensibilité des comportements des ménages à un écart de taxation, et donc de prix, en l’espèce favorable aux moteurs diesel[6].
Comme pour les autres impôts sur la consommation, le rapport du montant des taxes sur les produits énergétiques au revenu par unité de consommation des ménages est décroissant en fonction du revenu, ce qui confère un caractère dégressif à ces prélèvements.
Une étude publiée en février 2019 par Terra Nova montre ainsi que la composante carbone des taxes de consommation des produits énergétiques pèse plus fortement sur les ménages modestes. Son impact dépend aussi beaucoup des conditions de logement (mode de chauffage) et de transport entre le domicile et le lieu de travail.
Comme l’explique une autre note du CAE, et même si l’affectation de taxes n’est en principe pas recommandée (voir billet sur ce site), une nouvelle hausse de la composante carbone de la TICPE devrait, et pourrait, être accompagnée de transferts ciblés sur ces ménages pour être acceptable. Pour maintenir une incitation à économiser le carburant, cette compensation ne devrait pas être totale pour chaque ménage mais forfaitaire pour tous les ménages appartenant à des groupes qui apparaissent statistiquement plus vulnérables. Certains y perdraient, mais moins que sans compensation, et d’autres y gagneraient et le « signal prix » serait maintenu. La note du CAE montre que c’est possible.
[1] La TVA est également prélevée sur les autres accises (tabacs et alcools). Il est toujours surprenant de constater que des impôts sont assis sur des impôts (il en existe d’autres exemples ; l’impôt sur le revenu est assis sur la partie non déductible de la CSG, une contribution sociale est assise sur l’impôt sur les sociétés…), mais si la TVA n’était pas appliquée aux accises, celles-ci seraient sans doute relevées et le résultat serait le même.
[2] Le gazole contient 0,002651 tonne de CO² par litre, soit une composante carbone de 11,8 c€/l ; le SP95-E5 contient 0,002287 tonne de CO² par litre, soit une composante carbone de 10,2 c€/l.
[3] Recette brute, avant remboursements aux transporteurs, agriculteurs…
[4] La différence entre le les comptabilités budgétaire et nationale résulte en principe de modes de comptabilisation différents (encaissements / droits constatés).
[5] Ce poids est plus faible que celui de la TICPE car il ne comprend pas le produit de la TICPE sur le fioul et le gazole non routier et il tient compte des remboursements de TICPE.
[6] Ce mouvement de dieselisation a été récemment arrêté par des mesures réglementaires comme l’annonce d’une prochaine interdiction des véhicules fonctionnant au gazole dans certaines villes.