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07/04/2021

Les inégalités et la redistribution des revenus en 2019

François ECALLE

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Cette note a pour objet de présenter les instruments de mesure des inégalités et de la redistribution puis la situation de la France en 2019, notamment au regard de celle des autres pays européens, et enfin les limites de ces instruments.

Il existe de multiples indicateurs de la répartition des revenus et de l’ampleur des inégalités et les conclusions peuvent être différentes selon celui qui est retenu. Il existe toutefois un indicateur synthétique de mesure des inégalités, le « coefficient de Gini », qui est souvent utilisé pour établir des comparaisons internationales et qui est régulièrement estimé par l’OCDE et Eurostat. Il va de zéro (quand tous les revenus sont identiques) à 100 (quand une seule personne dispose de la totalité des revenus). Il permet de mesurer l’ampleur de la redistribution.

Le coefficient de Gini des revenus après impôts et prestations sociales en espèces est de 29,2 en France pour une moyenne de 30,7 dans l’Union européenne en 2019. Parmi les principaux pays européens comparables, les Pays-Bas, la Belgique et la Suède ont un coefficient plus faible. Ceux de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de l’Italie et de l’Espagne sont plus élevés. La France n’est donc pas un pays particulièrement inégalitaire.

Les inégalités ont augmenté en France de 1996 à 2011 (+ 2,7 points) puis ont diminué en 2012-2013 (- 1,8 point) pour se stabiliser jusqu’en 2017. Elles ont ensuite augmenté en 2018 (+ 0,8 point) puis diminué en 2019 (- 0,3 point).

Les inégalités primaires (avant redistribution) sont en France dans la moyenne européenne, mais l’ampleur de la redistribution, mesurée par l’écart entre les coefficients de Gini avant et après redistribution, y est plus importante en 2019 (significativement supérieure à celle de l’Italie et de l’Espagne et inférieure à celle de la Belgique et de la Suède). La redistribution résulte en France des impôts pour 37 % (surtout de l’impôt sur le revenu) et des prestations sociales en espèces pour 63 %.

Le coefficient de Gini ne dit rien sur les extrêmes de la distribution des revenus (taux de pauvreté, concentration des revenus sur le dernier décile…). Selon Eurostat, le taux de pauvreté est de 13,6 % en France en 2019, contre une moyenne de 16,8 % dans l’Union européenne. Il est parmi les plus bas de ceux des plus grands pays de l’Union européenne.

Ces statistiques ne tiennent pas compte de la redistribution opérée par les services publics, ni des impôts indirects et des impôts sur le patrimoine. Des travaux exploratoires publiés par l’Insee en avril 2021 montrent que la redistribution apparaît beaucoup plus importante en France et qu’elle profite aussi aux classes moyennes si on en tient compte.

Enfin, la France se caractérise par une faible mobilité sociale d’une génération à l’autre.

A) La mesure des inégalités et de la redistribution

L’ampleur de la redistribution est mesurée en comparant les inégalités de revenu entre ménages avant et après la mise en œuvre des instruments de redistribution que sont les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques, ce qui suppose de déterminer préalablement les revenus concernés, les indicateurs d’intensité des inégalités ainsi que les prélèvements et dépenses publiques à prendre en compte.

1) Les revenus

Les analyses de la redistribution partent des « revenus primaires » des ménages, à savoir leurs revenus avant tout prélèvement obligatoire. S’agissant des salaires, le revenu primaire correspond au salaire « super brut », c’est-à-dire cotisations sociales patronales comprises.

Cependant, les revenus primaires des retraités sont relativement faibles et ceux des actifs font l’objet de prélèvements très importants (les cotisations de retraite) pour financer les pensions versées aux retraités. Les inégalités de revenus primaires apparaissent donc très fortes mais sont corrigées par le système de retraite qui assure une redistribution entre actifs et retraités. L’ampleur de ces formes d’inégalité et de redistribution peut fortement varier d’un pays à l’autre du fait de leur structure démographique.

En outre, pour une même personne, les pensions reçues sont très liées aux cotisations versées et celles-ci peuvent être considérées comme un « salaire différé ». Vu sous cet angle, le système de retraite ne redistribue pas des revenus entre actifs et retraités mais contraint les actifs à différer la perception d’une partie de leurs revenus.

Pour ces raisons, les inégalités sont souvent mesurées, et c’est le cas dans ce billet, en retenant les revenus primaires après déduction des cotisations de retraite pour les actifs et après ajout des pensions pour les retraités (un traitement identique est appliqué aux cotisations et allocations de chômage).

Un revenu de 10 000 € ne pouvant pas être considéré comme identique pour un célibataire sans enfant et un couple avec des enfants, les revenus des ménages sont divisés par un indicateur de leur taille appelé « unités de consommation ». Il vaut 1 pour un célibataire sans enfant mais il est inférieur à quatre pour un couple avec deux enfants, par exemple, pour tenir compte du fait que certaines dépenses sont communes à l’ensemble de la famille. Les revenus utilisés dans cette fiche sont des revenus par unité de consommation.

2) La mesure des inégalités

Il existe de multiples indicateurs de la « distribution des revenus » et des inégalités. La plus fréquente méthode consiste à classer les ménages par « quantiles » (déciles, centiles…) de revenus croissants et à rapprocher les revenus moyens ou médians des quantiles extrêmes (le premier et le dernier décile par exemple) ou les plafonds et planchers des quantiles extrêmes ou encore de les rapporter au revenu moyen ou médian de l’ensemble de la population. Il est également possible d’estimer la part du revenu total perçue par les 10 % ou les 20 % les plus aisés, les 20 % ou les 40 % les plus pauvres etc. Selon l’indicateur retenu, la mesure des inégalités est différente : le rapport entre les revenus du dernier et du premier décile est toujours bien plus élevé que le rapport entre les revenus du dernier et du premier quartile.

Il existe toutefois un indicateur synthétique de mesure des inégalités et de la redistribution qui est très utilisé au niveau international : le « coefficient de Gini ». Il est calculé à partir d’un graphique représentant la distribution des revenus, dit « courbe de Lorenz », qui met en relation les x % de ménages les plus pauvres avec leur part du total des revenus. Si la distribution est parfaitement égalitaire, ils perçoivent x % du total des revenus et la courbe de Lorenz est une droite faisant un angle de 45° avec l’horizontale.

Le coefficient de Gini est égal à la surface entre la courbe de Lorenz de la population considérée et cette courbe à 45 ° représentant une distribution égalitaire. Il va de zéro, pour une distribution égalitaire, à 100, pour une distribution totalement inégalitaire (une seule personne dispose de la totalité des revenus).

L’impact redistributif d’un prélèvement obligatoire, ou d’une prestation, est mesuré par l’écart entre le coefficient de Gini de la distribution des revenus avant ce prélèvement, ou cette prestation, et celui de la distribution des revenus après ce prélèvement ou cette prestation. Sur le graphique ci-joint, il correspond à la surface de la partie hachurée entre les deux courbes.

NB : la surface hachurée mesure l’ampleur de la redistribution opérée par les prélèvements ; il s’agit de distributions fictives des revenus pour illustrer ce que sont des courbes de Lorenz ; FIPECO.

3) Les instruments de la redistribution

La redistribution est opérée par les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques mais, pour mesurer leurs effets redistributifs, il faut pouvoir déterminer quels ménages, disposant de quels revenus, supportent ces prélèvements ou bénéficient de ces dépenses, ce qui est souvent très difficile en pratique. Les instituts statistiques retiennent en conséquence une liste limitée de prélèvements et prestations sociales qui est harmonisée au niveau international de façon à permettre les comparaisons. L’Insee, l’OCDE et Eurostat retiennent ainsi pour la France :

- s’agissant des prélèvements obligatoires, l’impôt sur le revenu, la taxe d’habitation, les cotisations sociales de la branche famille, la CSG et les autres contributions sociales (prélèvements sociaux sur les revenus du capital…) ;

- s’agissant des dépenses publiques, les prestations familiales, les aides personnelles au logement, l’allocation personnelle d’autonomie, la prime d’activité et les minima sociaux (RSA, minimum vieillesse, allocation aux adultes handicapés…).

Le « revenu disponible » est le revenu primaire, pensions de retraite et allocations de chômage comprises, dont sont déduits les prélèvements obligatoires précédents et auquel sont ajoutées les prestations sociales précédentes. Le revenu disponible par unité de consommation est appelé « niveau de vie » par l’Insee.

La redistribution est mesurée par l’écart entre le coefficient de Gini du revenu primaire (avec pensions et hors cotisations de retraite) et celui du revenu disponible, dans les deux cas par unité de consommation (les retraites sont donc supposées ne pas avoir d’impact sur la redistribution).

B) La situation en France et dans les autres pays européens

1) La situation en 2019

Le coefficient de Gini des niveaux de vie est provisoirement estimé à 29,5 en 2019 par l’Insee après 29,8 en 2018.

Selon Eurostat, le coefficient de Gini des niveaux de vie était égal à 29,2 en France en 2019[1], ce qui était inférieur à la moyenne de l’Union européenne (30,7) ou de la zone euro (30,2). La France est donc plus égalitaire que la moyenne. Son coefficient est inférieur à ceux de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de l’Italie et de l’Espagne et supérieur à ceux de la Suède, de la Belgique et des Pays-Bas.

Source : Eurostat ; FIPECO.

Le graphique suivant montre que l’ampleur de la redistribution en France en 2019 est supérieure à la moyenne européenne, voisine de celle de l’Allemagne, des Pays-Bas et du Royaume-Uni, inférieure à celle de la Suède et de la Belgique et supérieure à celle de l’Italie et de l’Espagne.

Source : Eurostat ; FIPECO ; différence entre les coefficients de Gini avant et après impôts et prestations sociales. Les retraites sont incluses dans les revenus avant redistribution et les cotisations de retraite en sont déduites.

La redistribution est plus forte au Royaume-Uni mais les inégalités avant redistribution y sont particulièrement élevées (coefficient de Gini de 40,4). La redistribution est faible en Italie et en Espagne alors que les inégalités avant redistribution (35,3 et 36,6) y sont un peu plus fortes que la moyenne européenne (35,0 dans la zone euro et 35,5 dans l’Union européenne). Les inégalités avant redistribution sont proches de la moyenne européenne en France (35,2) comme en Allemagne (35,2). Elles sont faibles en Belgique (32,7) et aux Pays-Bas (32,0).

2) Les évolutions

Sur longue période, le coefficient de Gini du niveau de vie montre une tendance à la hausse en France, comme dans la plupart des autres pays développés, depuis le milieu des années 1990 et jusqu’au début des années 2010. Une pointe est observée après la crise financière, dans les années 2010 à 2012, suivie d’une baisse en 2013 et d’une stabilisation dans les années 2013-2017. Le coefficient de Gini a augmenté en 2018 puis a baissé en 2019 mais sans revenir à son niveau de 2017.

Source : Insee ; FIPECO.

3) La part des différents canaux de redistribution

Le graphique suivant présente la contribution des différents canaux de redistribution à la réduction des inégalités en 2018[2].

Les prélèvements obligatoires y contribuent à hauteur de 36,6 %, dont 29 % pour le seul impôt sur le revenu, et les dépenses publiques à hauteur de 63,4 %.

Source : Insee ; FIPECO.

C) Les limites de ces instruments de mesure

Le coefficient de Gini n’apprend rien sur les extrêmes de la distribution des revenus (taux de pauvreté, concentration des revenus sur le dernier décile…). Un pays peut avoir un faible coefficient de Gini et un fort taux de pauvreté. Il doit donc être complété par des indicateurs tels que le « taux de pauvreté » (pourcentage de la population dont le revenu est inférieur à 60 % de la médiane) ou la part des revenus perçue par le dernier décile de ménages.

Selon l’Insee, le taux de pauvreté en 2019 est en France de 14,5 % après 14,8 % en 2018. Selon Eurostat, il est de 13,6 % en France en 2019 (13,4 % en 2018), contre une moyenne de 16,4 % dans la zone euro et 16,8 % dans l’Union européenne. Il figure au 9ème rang de l’Union européenne et il est le plus faible parmi les grands pays.

Source : Eurostat ; FIPECO.

Les revenus des ménages du dernier centile sont souvent mal connus, comme ceux du premier centile, mais ils font l’objet d’une attention particulière de certains économistes. Ils observent que, dans certains pays, le dernier centile concentre une part de plus en plus importante des revenus (cf. rapport sur les inégalités mondiales). Aux Etats-Unis, cette part serait ainsi passée d'environ 10% à presque 20% entre le milieu des années 70 et 2019. Il semble toutefois que ce phénomène soit beaucoup moins marqué en France (cette part y serait de 10 % en 2019 à peu près comme en 1975).

Les canaux de la redistribution sont en outre plus nombreux que ceux habituellement retenus par l’Insee ou Eurostat et souvent mal connus.

Les services publics rendus aux ménages, dans la mesure où leur valeur représente une part plus importante du revenu des ménages moins aisés, contribuent à la réduction des inégalités.

En 2018, par exemple, la diminution des allocations de logement a eu pour contrepartie une baisse des loyers dans le parc social, mais celle-ci n’est pas prise en compte dans les indicateurs d’inégalité et de pauvreté contrairement aux allocations de logement. Si cette baisse des loyers était prise en compte dans ces indicateurs, le taux de pauvreté serait inférieur de 0,4 point.

Seule une partie des prélèvements obligatoires est habituellement retenue par l’Insee ou Eurostat. Or les impôts indirects (TVA, taxes sur les carburants, tabacs et alcools…) sont plutôt anti-redistributifs[3] tandis que les impôts sur le patrimoine contribuent à redistribuer les revenus disponibles des ménages aisés, car ils sont payés par ceux-ci en prélevant d’abord sur leurs revenus puis en cédant une partie de leur patrimoine si leurs revenus sont insuffisants.

Les régimes de retraite sont supposés ne pas avoir d’effet sur la distribution des revenus, les pensions étant proportionnelles aux cotisations versées et supposées correspondre à des salaires différés. En réalité, ces régimes comportent d’importants « dispositifs de solidarité » en faveur des plus pauvres comme le minimum garanti.

Les collectivités locales assurent une aide sociale aux plus pauvres, par exemple sous forme de capacités d’hébergement, et demandent souvent aux ménages une participation financière au fonctionnement des services publics locaux (crèches, cantines, actions culturelles…) dont le tarif est croissant avec le revenu. Les montants en jeu sont publiés par la DREES pour les seules dépenses sociales des départements (23 Md€ en 2019 hors RSA et APA), mais leur impact sur la distribution des revenus n’est pas connu.

L’Insee vient de publier (en avril 2021) un rapport d’experts montant comment l’ensemble des dépenses et recettes publiques pourraient être prises en compte pour mesurer complètement la redistribution en s’appuyant sur la comptabilité nationale en dépit des difficultés méthodologiques d’un tel exercice.

En mettant en œuvre les méthodes qu’il préconise à titre exploratoire, ce groupe de travail montre que le rapport entre les revenus par unité de consommation des dixième et premier décile en 2016 est de 14 pour les revenus primaires, de 8 pour les revenus après redistribution au sens habituel et seulement de 3 quand on tient compte de l’ensemble des recettes et dépenses publiques. Leur rapport montre également que les prestations sont supérieures aux prélèvements seulement pour les quatre premiers déciles avec la mesure habituelle de la redistribution et jusqu’au milieu du septième décile avec une mesure élargie aux services publics et à tous les impôts. Autrement dit, les classes moyennes paraissent exclues de la redistribution avec sa mesure habituelle alors qu’elles en bénéficient avec une mesure complète.

Une comparaison des inégalités (coefficients de Gini) en France et aux Etats-Unis avec cette nouvelle méthode montre que les inégalités primaires sont plus fortes aux Etats-Unis, que la redistribution par les prélèvements obligatoires y est plus forte et que la redistribution par les dépenses publiques (notamment les services publics) y est bien plus faible.

Il faut enfin souligner que ces indicateurs ne renseignent pas sur la mobilité sociale d’une génération à l’autre. Or celle-ci est bien plus faible en France que dans les autres pays. Il y faut plus de 6 générations en moyenne pour passer du premier au cinquième décile contre 4,5 générations en moyenne dans l’OCDE.

 

[1] Les estimations de l’Insee et d’Eurostat diffèrent car le premier utilise surtout les déclarations fiscales tandis que le second utilise une enquête européenne auprès des ménages.

[2] Les données nécessaires ne sont pas encore disponibles pour 2019.

[3] Même si la caractère anti redistributif de la TVA est plus faible si on raisonne sur un cycle de vie.

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