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17/10/2018

Les principes et la mise en oeuvre du futur système universel de retraite

François ECALLE

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Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a annoncé que la réforme des retraites aurait pour objet de « rendre le système de retraite plus juste et plus transparent, pour qu’un euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous ». Le Haut-Commissaire à la réforme des retraites a présenté le 10 octobre 2018 un constat de la situation actuelle et les grands principes du système universel qui pourrait être mis en place.

Un régime de retraite se caractérise par une population ayant une activité particulière, les règles de calcul des pensions dont cette population peut bénéficier et leurs modalités de financement et de gestion. Il existe 25 régimes de retraite de base en France et un peu moins de 20 régimes complémentaires obligatoires.

Les constats dressés par le Haut-Commissaire sont pertinents. En effet, cette fragmentation du système de retraite, qui entraîne des coûts de gestion inutiles, constitue un obstacle à la mobilité professionnelle et un facteur d’injustice sociale dans la mesure où un même montant de cotisations ne donne pas droit à la même pension selon l’activité professionnelle. En outre, il est difficile de caractériser les régimes selon leur degré de générosité, ce qui entretient des polémiques récurrentes.

Les grands principes retenus par le Haut-Commissaire sont satisfaisants. Il est en effet souhaitable de créer un régime universel par répartition, à la fois de base et complémentaire, dans lequel les cotisations payées tout au long de la vie professionnelle seraient converties en points, avec la même valeur d’achat pour tous, qui seraient eux-mêmes convertibles en une pension. Les cotisations et les pensions devraient être calculées sur la base de la rémunération totale, primes incluses, et le taux de cotisation devrait être identique pour les fonctionnaires et les salariés du secteur privé. Des points gratuits devraient néanmoins pouvoir être attribués par un fonds de solidarité pour tenir compte de certaines situations particulières.

Sa mise en œuvre posera des problèmes difficiles et importants qui restent à traiter. Les avantages non contributifs devraient correspondre à la moyenne de ceux qui sont aujourd’hui attribués pour que la réforme ne soit pas très coûteuse et il faudrait donc accepter que les perdants soient nombreux. La période de transition sera probablement beaucoup plus longue qu’envisagé par le Haut-Commissaire. La valeur de service du point devrait dépendre de la situation démographique et des règles d’indexation. Il faudrait que son mode de calcul incite les Français à partir plus tard en retraite. Un âge minimal resterait nécessaire, au moins pour bénéficier du minimum de pension, et il devrait être supérieur à 62 ans.

A)Les constats dressés par le Haut-Commissaire sont pertinents

Une annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 recense 25 régimes de base obligatoires de sécurité sociale. Le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 2016 fait apparaitre une dizaine de régimes de retraite complémentaires obligatoires dont l’un, l’organisation autonome d’assurance vieillesse des professions libérales, est en fait composé d’une caisse nationale et de 10 sections professionnelles qui gèrent chacune un régime complémentaire. Il existe deux régimes de fonctionnaires, le premier pour les agents de l’Etat et le deuxième pour les agents territoriaux et hospitaliers, gérés par des organismes différents bien qu’ils versent des prestations identiques, sans distinction entre pensions de base et complémentaires.

1)Le coût de gestion de la fragmentation des régimes

Les coûts de gestion des régimes de retraite sont très mal connus et mesurés par chacun avec des méthodes différentes, comme l’a montré la Cour des comptes à propos des régimes de fonctionnaires. Elle a néanmoins observé que la création d’une caisse unique de retraite des fonctionnaires pourrait entraîner une économie de 23 % du coût actuel (environ 200 M€).

L’AGIRC et l’ARRCO, qui vont bientôt fusionner, sont des fédérations regroupant 17 institutions de retraites complémentaires disposant d’une certaine autonomie pour des raisons historiques. Selon un autre rapport de la Cour des comptes, cette segmentation est à l’origine de nombreux doublons qui, avec d’autres facteurs comme le niveau des rémunérations, expliquent un coût de gestion (environ 2,0 Md€) supérieur de 20 % à celui du régime général à périmètre d’activités comparable.  

2)Le manque de transparence et d’équité du système

Les règles de calcul des cotisations et des pensions sont généralement différentes d’un régime à l’autre et le même montant de cotisations ne donne pas droit à la même pension. En outre, bien souvent, ces règles sont complexes et le lien entre cotisations et pensions est très distendu, à la fois du fait d’avantages « non contributifs » (ne reposant pas sur des cotisations) spécifiques à chaque régime et du financement de la plupart des régimes par des ressources pour partie autres que les cotisations sociales (des impôts pour l’essentiel).

En conséquence, les justifications des différences entre régimes sont peu convaincantes et l’importance des avantages indus dont pourraient bénéficier certaines catégories sociales donne lieu à des polémiques récurrentes. Les « régimes spéciaux » et notamment ceux des fonctionnaires sont au cœur de débats permanents alors que la mesure de leur degré relatif de générosité est en pratique très difficile. 

Si elles ont été rapprochées depuis 2003, de nombreuses différences subsistent entre les règles relatives aux pensions des fonctionnaires et des salariés du secteur privé. Les principales portent sur le salaire de référence, pour l’ensemble des fonctionnaires, et sur l’âge de départ, pour ceux des catégories dites « actives ». Seul le salaire de référence est ici examiné (pour une analyse complète du régime des fonctionnaires, voir la note qui lui est consacrée).

Le salaire de référence est celui des six derniers mois dans la fonction publique au lieu de la moyenne des 25 meilleures années (retraite de base) et de toute la carrière (retraite complémentaire) dans le secteur privé ; ce salaire de référence, de même que l’assiette des cotisations sociales, exclue les primes dans les régimes de fonctionnaires alors que tous les éléments de rémunération sont pris en compte dans le secteur privé. Le taux plein appliqué à ce salaire de référence est de 75 % dans la fonction publique et de 50 % dans le régime général des salariés, mais ces derniers ont des retraites complémentaires (AGIRC-ARRCO), contrairement aux fonctionnaires, ce qui porte en pratique leur taux plein également aux alentours de 75 %.

Le taux effectif de remplacement des derniers salaires par la pension versée au moment de la liquidation peut différer fortement du taux plein légal puisqu’il dépend également du mode de calcul du salaire de référence. Tous les travaux réalisés jusqu’à présent conduisent néanmoins au même taux de remplacement (environ 75 %), en moyenne, du salaire net des cinq années précédant la retraite par la pension nette, après une carrière complète dans la fonction publique ou dans le secteur privé. Les fonctionnaires sont avantagés par la règle des six derniers mois mais pénalisés par l’exclusion des primes.

Cette égalité du taux moyen de remplacement, malgré des règles très différentes, est un effet du hasard. Elle masque d’ailleurs d’importantes disparités, notamment en fonction du taux de prime des fonctionnaires, qui est très variable d’un corps et d’un ministère à l’autre. Si les règles du privé étaient appliquées aux fonctionnaires partant aujourd’hui en retraite, la moitié environ y gagnerait et l’autre moitié y perdrait, ces gains et pertes pouvant être très importants (plus de 15 % de la pension), ce qui rendrait une telle mesure très difficile à mettre en œuvre.

Le taux de remplacement moyen va nettement baisser d’ici à 2070 dans les régimes de retraite du secteur privé (cf. fiche), notamment parce que la règle des 25 meilleures années induit un décalage de plus en plus fort entre le salaire à la date de la retraite et le salaire de référence qui détermine la pension (les salaires des 25 meilleures années étant actualisés en fonction de la seule hausse des prix à la consommation). A taux de prime inchangé, le taux de remplacement baissera en revanche peu dans le secteur public, la règle des six derniers mois protégeant les fonctionnaires contre l’effet de l’indexation des salaires pris en compte.

3)Un impact négatif sur le fonctionnement du marché du travail

Les changements de statut professionnel sont de plus en plus fréquents. Les passages par le chômage et les contrats courts sont devenus la norme pour près d’un actif sur cinq. La part des contrats à durée limitée (CDD et intérim) dans les recrutements atteint 86 %. Cette précarité et ces discontinuités dans les parcours professionnels touchent notamment les jeunes, les séniors et les moins qualifiés. Le travail indépendant connait par ailleurs un renouveau depuis quelques années sous l’effet du développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, de l’aspiration à l’autonomie mais aussi de la recherche d’emplois et de revenus lorsque le taux de chômage est élevé. D’un autre côté, les fonctionnaires vivent dans un univers professionnel quasiment fermé aux transferts entre les secteurs public et privé.

En raison de la rapidité de diffusion des nouvelles technologies et des restructurations du tissu économique qu’elles imposent, ainsi que des aspirations à des parcours professionnels plus diversifiés, il est souhaitable de favoriser les transitions professionnelles d’un secteur et d’un statut à l’autre. Or la segmentation des régimes de protection sociale fait obstacle à ces transitions. Même si les droits à pension acquis successivement dans ces différents régimes au cours de la vie active s’additionnent pour l’essentiel, le fait qu’ils soient calculés différemment et gérés par des organismes différents constitue un obstacle à la connaissance et à l’anticipation de ces droits et donc au changement de statut.

B)Les grands principes de la réforme envisagée sont satisfaisants

Les défauts du système actuel et les principes de fonctionnement d’un régime universel sont analysés dans un document de janvier 2015 de D. Blanchet, A. Bozio et S. Rabaté.

1)Un régime universel en répartition

Le régime universel devrait couvrir toute la population, indépendamment du statut ou de l’activité professionnelle. Comme il n’est pas imaginable de transformer totalement les régimes par répartition actuels en régimes par capitalisation, car une génération serait alors forcément sacrifiée, ce régime universel fonctionnerait forcément en répartition.

Le Haut-Commissaire prévoit néanmoins d’asseoir les cotisations sur les revenus d’activité dans la limite de 3 fois le plafond de la sécurité sociale alors que les salaires sont pris en compte jusqu’à 8 fois ce plafond par l’AGIRC. Un espace un peu plus grand sera donc laissé à la constitution d’une épargne retraite en capitalisation pour les hauts revenus.

2)La fin de la distinction entre régimes de base et complémentaires

La distinction entre des régimes obligatoires de base et complémentaire résulte d’une sédimentation historique, n’a aucun intérêt et n’existe pas dans la plupart des autres pays[1]. En conséquence, les régimes complémentaires actuels devront être fondus dans le régime universel, ce qui suppose que l’Etat en prenne le contrôle alors qu’ils sont gérés paritairement par les partenaires sociaux[2].

3)Un régime par points

Il existe trois grands modèles de fonctionnement d’un régime de retraite en répartition : les régimes « par annuités », où la pension à la liquidation est un pourcentage d’un salaire de référence modulé par le nombre d’années de cotisations validées (c’est le cas du régime général) ; les régimes « par points », où les cotisations servent à acheter des points et où la pension dépend du nombre de points accumulés et de leur « valeur de service » (cas des régimes AGIRC et ARRCO) ; les régimes « en comptes notionnels », où la valeur en euros des cotisations accumulées est convertie en pension par un « coefficient de conversion » dépendant de l’espérance de vie au moment de la retraite (de tels régimes ont été mis en place dans certains pays, notamment en Scandinavie).

Les régimes par points et en comptes notionnels sont préférables car ils permettent d’établir le lien le plus clair entre les cotisations payées et les pensions reçues et ainsi de respecter le principe selon lequel chaque euro cotisé donne le même droit à pension pour tous. Dans un régime par annuités, certaines cotisations ne sont pas prises en compte.

4)Un taux de cotisation identique pour les salariés et fonctionnaires sur la totalité du salaire

Dans le secteur concurrentiel, on peut considérer que la rémunération avant tout prélèvement correspond à la productivité du travail (c’est-à-dire la valeur que les consommateurs lui donnent en achetant le produit de ce travail). Les cotisations de retraite amputent cette rémunération et constituent donc un sacrifice de la part du travailleur, salarié ou non, qui a pour contrepartie l’obtention d’une pension à l’issue de sa vie professionnelle. Il est équitable que cette contrepartie soit la même et qu’un euro de cotisation donne droit à la même pension pour tous. Le taux de cotisation peut différer, notamment entre salariés et non-salariés, mais les pensions attribuées en contrepartie sont alors ajustées en proportion.

Dans le secteur public, les rémunérations, cotisations sociales comprises, sont financées par des prélèvements obligatoires et non par la vente de biens et services sur un marché concurrentiel. Elles peuvent être très différentes de la productivité du travail. En conséquence, les cotisations, même salariales, ne constituent pas nécessairement un sacrifice réalisé par les fonctionnaires au regard de leur productivité.

Dans le futur système universel, l’Etat pourrait très bien augmenter le nombre de points de ses agents en relevant le taux de ses cotisations d’employeur et en finançant ce relèvement par une hausse de la TVA ou de tout autre impôt[3]. Le principe selon lequel un euro de cotisation donne droit à la même pension pour tous serait alors dévoyé.

Il faut que le taux de cotisation des fonctionnaires, des salariés et employeurs, soit identique à celui des salariés du secteur privé. Ce principe a été retenu par le Haut-Commissaire.

5)Des avantages non contributifs attribués par un fonds de solidarité financé par l’impôt

Dans les régimes actuels, de nombreux avantages non-contributifs (c’est-à-dire non liés à des cotisations) majorent les pensions (majoration pour enfants ou validation des périodes de chômage dans le calcul du nombre de trimestres cotisés, par exemple). Après un examen de leur utilité, ils pourront être maintenus dans le cadre du système universel à condition d’être attribués sans lien avec un statut professionnel.

A ce principe retenu par le Haut-Commissaire, il faudrait ajouter que ces avantages non contributifs devraient être clairement distingués des avantages contributifs et, à cette fin, prendre la forme de points supplémentaires attribués par un fonds de solidarité qui devrait être lui-même financé par l’impôt.

C)Des problèmes difficiles de mise en œuvre restent à traiter

1)La nécessaire révision des avantages non contributifs

Les dispositifs de solidarité représentaient 19 % de la masse des pensions tous régimes confondus en 2012 (dernière année pour laquelle cette évaluation est disponible) et 20 % de la masse des pensions des salariés du secteur privé en 2016. Ils prennent des formes variées (majoration de pensions, validation gratuite de trimestres de cotisation, départs avant l’âge minimal de droit commun…) et concernent des populations diverses (parents de plusieurs enfants, personnes ayant eu un emploi pénible, handicapés…). 

Dans le futur régime universel, ces avantages devraient être remplacés par des points gratuits attribués par un fonds de solidarité financé par l’impôt. Ces points gratuits permettront à ceux qui le souhaitent de partir plus tôt en retraite.

Les avantages non contributifs actuels sont très différents d’un régime à l’autre. Par exemple, le calcul des droits associés au nombre d’enfants diffère selon les régimes et la pénibilité du travail est prise en compte au niveau individuel, à travers le compte personnel de prévention de la pénibilité, dans le secteur privé et au niveau du corps de fonctionnaires, par son classement dans la catégorie « active », dans le secteur public.

Il faudra donc revoir tous ces dispositifs pour les harmoniser. Si cette harmonisation conduit à retenir les conditions d’éligibilité et les modalités de calcul les plus avantageuses, le coût pour les finances publiques risque d’être très élevé. Pour que cette réforme ne coûte rien, il faudrait que les nouveaux avantages correspondent à la moyenne de ceux qui sont aujourd’hui attribués. Il faudrait alors accepter qu’il y ait beaucoup de perdants pour des montants très significatifs. Un « coût de la réforme », en appliquant le principe selon lequel il faut payer pour réformer, est certes envisageable mais encore faut-il qu’il reste limité.

2)Une période de transition qui devrait être très longue

Selon la Cour des comptes, il est aujourd’hui impossible de calculer les retraites des fonctionnaires sur la base des rémunérations, primes incluses, qu’ils ont reçues ou des cotisations qu’ils ont payées au cours de leur vie active car ces données n’ont pas été enregistrées. Elles sont en effet aujourd’hui inutiles puisque seul le salaire hors primes des six derniers mois est retenu. Pour calculer la retraite des fonctionnaires sur la base des rémunérations qu’ils ont reçues et des cotisations qu’ils ont payées depuis le début de leur vie professionnelle (principe d’un régime par points), il faudrait reconstituer ces rémunérations, primes comprises, à partir de leur déroulement de carrière, ce qui serait très difficile, voire impossible, et leur faire payer rétroactivement des cotisations sur les primes.

Seules les rémunérations versées et les cotisations payées dans le futur pourront en pratique être converties en points et seuls les nouveaux entrants auront une retraite entièrement calculée sur la base des points accumulés pendant leur carrière.

Le Haut-Commissaire a précisé que la réforme ne s’appliquera pas à ceux qui sont à moins de 5 ans de l’âge de départ en retraite lors de l’adoption de la loi. Supposons que la loi soit votée et applicable en 2020, que toutes les carrières se déroulent de 20 à 60 ans et que les personnes de plus de 55 ans en 2020 ne soient donc pas concernées. Le Gouvernement semble envisager que les nouveaux retraités, à partir de 2025, cumulent deux pensions. La première correspondrait aux droits acquis, contributifs ou non, avant 2020 sur la base des règles actuelles ; la deuxième correspondrait aux points accumulés à partir de 2020 dans le cadre du système universel. De 2025 à 2060, les nouveaux retraités cumuleraient donc une « pension ancienne » par annuités et une « pension nouvelle » par points ; à partir de 2060, il n’y aurait plus que des « pensions nouvelles ».

Pour ceux qui prendront leur retraite entre 2025 et 2060, le cumul de la pension ancienne et de la pension nouvelle ne sera cependant qu’exceptionnellement égal à ce qu’ils auraient perçu en l’absence de réforme (la pension nouvelle étant calculée selon des modalités différentes de la pension ancienne, il n’y a aucune raison pour que le résultat soit le même). Pour que la masse annuelle des pensions n’augmente pas, les nouvelles règles feront nécessairement des gagnants et des perdants. On peut en donner les deux exemples suivants.

La retraite des fonctionnaires est aujourd’hui liquidée sur la base de leur rémunération des six derniers mois d’activité. Tous ceux qui ont la perspective d’une forte progression de carrière pourront faire valoir avec raison qu’une pension liquidée en partie sur la base des points ou des cotisations accumulées entre 2020 et la date de leur départ est moins favorable.

Les personnes dont les avantages familiaux sont aujourd’hui les plus favorables seront automatiquement lésées dans la mesure où ces avantages seront alignés sur la moyenne actuelle et donc plus faibles dans la composante « nouvelle pension » de leur retraite.

Pour qu’il n’y ait pas de perdants et que la masse des pensions n’augmente pas, il faudrait appliquer les nouvelles règles seulement à ceux qui entreront sur le marché du travail à partir de 2020. Jusqu’à 2060, les retraites seraient entièrement calculées en appliquant les règles actuelles. A partir de 2060, elles seraient entièrement calculées en appliquant les nouvelles. C’est la solution adoptée il y a déjà longtemps pour les agents de France Télécom. S’agissant des cheminots, c’est la seule solution cohérente avec le principe affiché par le Gouvernement selon lequel tous les agents aujourd’hui en activité conserveront le statut actuel.

D’ici 2060, les régimes de retraite devraient continuer à prélever les cotisations sur les agents en activité en 2020 selon les règles anciennes pour financer les pensions de ces agents et des actuels retraités. Les cotisations des nouvelles générations actives devraient être versées à un fonds de retraite universelle, pour y être enregistrées par le gestionnaire de ce fonds de façon à être converties en points, puis reversées par ce fonds aux régimes actuels pour financer les pensions versées pendant la période de transition.

3)Une valeur de service du point qui devrait dépendre des règles d’indexation et de la situation démographique

Les principaux paramètres d’un régime par point sont : la valeur d’achat des points ; les modalités de revalorisation des points achetés entre la date où ils ont été achetés et la date de liquidation de la retraite ; la valeur de service du point, qui détermine le montant de la première pension ; les conditions dans lesquelles cette pension est revalorisée chaque année jusqu’au décès. Quelques principes devraient guider le choix de ces paramètres.

Pour maintenir l’équilibre entre les ressources et les dépenses du système de retraites, caractéristique fondamentale d’un régime par répartition, à taux de cotisation et valeur d’achat donnés, la valeur de service du point doit être d’autant plus faible que les règles de revalorisation des points et de la pension sont favorables aux retraités. Une fois ces règles d’indexation fixées, la valeur de service doit être adaptée en fonction de l’évolution du ratio de dépendance (rapport entre le nombre de retraités et le nombre de cotisants), qui dépend lui-même largement de la progression de l’espérance de vie. Dans un régime en comptes notionnels, cette adaptation à l’évolution de l’espérance de vie est automatique. Dans un régime par point, elle est laissée à l’appréciation des responsables du régime.

4)Une incitation souhaitable au recul de l’âge de départ en retraite et le maintien d’un âge minimal

Pour équilibrer un régime par répartition dont le ratio de dépendance démographique se dégrade sans relever le taux de cotisation, il faut nécessairement diminuer le taux de remplacement, quel que soit le mode de fonctionnement de ce régime (annuités, points ou comptes notionnels). Les conditions dans lesquelles cette baisse est obtenue ne sont toutefois pas les mêmes, les paramètres modifiables étant différents (nombre d’annuités pour avoir le taux plein, valeur de service des points, coefficient de conversion, indexation…).

Dans un régime par points, les règles d’indexation étant fixées, les deux leviers disponibles sont les valeurs d’achat et de service. Leur modification touche les actifs pour la valeur d’achat et les retraités pour la valeur de service. Comme le montrent depuis longtemps l’ARRCO et l’AGIRC, ces leviers sont socialement mieux acceptés que le nombre d’annuités nécessaires pour avoir le taux plein d’un régime en annuités, ce taux plein lui-même ou l’âge minimal. Le pilotage financier d’un régime par points semble donc plus aisé alors même que la problématique de l’équilibre financier d’un régime par répartition est toujours la même.

Selon les projections du conseil d’orientation des retraites, cet équilibre est envisageable à très long terme seulement si la croissance de la productivité du travail (ou du revenu réel par tête) est au moins de 1,5 % en moyenne annuelle, ce qui peut paraître optimiste.

Cet équilibre proviendra d’une baisse de 30 % du taux de remplacement des revenus d’activité par les pensions, qui résultera des règles actuelles d’indexation des pensions et des salaires « portés au compte » pour calculer le salaire de référence. Il s’agit en effet d’une indexation sur l’inflation et non sur les revenus nominaux. En conséquence, plus la croissance de la productivité et du pouvoir d’achat des actifs est forte, plus les pensions décrochent par rapport aux revenus d’activité. Ce mode d’équilibrage, très dépendant de la croissance, pose un problème de crédibilité à long terme : si la croissance est forte, la pression sociale sera également forte pour relever le taux de remplacement.

Dans le futur système universel par points, notamment si les règles d’indexation sont plus généreuses, la baisse du taux de remplacement devrait passer par une réduction de la valeur de service du point ou une augmentation de sa valeur d’achat.

Pour équilibrer financièrement les régimes de retraite sans augmenter les ressources et en limitant la baisse du taux de remplacement, il faut ralentir la dégradation du taux de dépendance et le meilleur moyen pour y arriver est d’inciter les actifs à partir plus tard en retraite. A long terme, augmenter la population active permet en effet d’accroître l’emploi et le PIB potentiel, sans effet négatif sur le taux de chômage. C’est la principale justification d’un recul de l’âge de départ.

Dans un régime par point, la baisse de la valeur de service est une incitation au recul de l’âge de départ puisqu’il faut accumuler plus de points pour obtenir la même pension, mais une partie des actifs partirait probablement au même âge avec une pension plus faible. Pour que l’incitation soit plus forte, la valeur de service pourrait faire l’objet d’une décote jusqu’à un « âge pivot », ce qui semble envisagé par le Haut-Commissariat.

Une incitation encore plus forte consisterait à maintenir un âge minimal et à le relever au-delà de 62 ans, bien que ce soit peu cohérent avec l’esprit d’un régime par point. Un de ses principaux avantages est en effet de laisser chacun libre de partir à n’importe quel âge, la pension étant ajustée en fonction du nombre de point.

Le maintien d’un âge minimal serait en tout état de cause nécessaire pour bénéficier du minimum de pension puisque celui-ci serait indépendant du nombre de points et donc de l’activité au cours de la vie professionnelle. Sans âge minimal, le minimum de pension pourrait être perçu à 40 ans après avoir travaillé quelques heures par an.

 

[1] Dans la plupart des pays, il y a une retraite minimale financée par l’impôt, un premier étage public et obligatoire en répartition et un deuxième étage privé et différent selon les branches en capitalisation.

[2] Les régimes complémentaires en capitalisation, comme celui de la fonction publique, devraient toutefois être maintenus et développés pour créer, comme dans les autres pays, un étage complémentaire vraiment différent.

[3] Il pourrait aussi augmenter les cotisations salariales en relevant les salaires bruts grâce à une hausse d’impôt.

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