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FIPECO le 01.02.2021                                                             

Les notes d’analyse                                                                       V) Les dépenses publiques

2) Comment améliorer le dispositif de performances de la LOLF ?

                             François ECALLE

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La loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) fêtera son 20ème anniversaire le 1er août 2021 et des travaux ont déjà été engagés pour en faire le bilan et proposer de la modifier, notamment par la Cour des comptes dans son rapport sur le budget de l’Etat en 2018 et par la Commission des finances de l’Assemblée nationale dans un rapport de septembre 2019. Une note de ce site présente les modifications à apporter à la présentation du budget de l’Etat et à la comptabilité budgétaire. Ce billet examine le volet « performance de la gestion de l’Etat » de la LOLF.

A) Un dispositif de performance inefficace

1) Le dispositif de performance prévu par la LOLF

S’appuyant sur l’expérience d’autres pays, la LOLF a profondément transformé l’architecture budgétaire de l’Etat en remplaçant ses quelques 800 chapitres par nature de dépenses (achats de services, rémunérations…) par seulement 120 « programmes » environ (pour le budget général) associés à des objectifs de politique économique. La fongibilité des crédits au sein de ces programmes[1] offre aux gestionnaires une souplesse de gestion inconnue avant la LOLF et qui doit être mise à son actif.

Pour chacun de ces programmes, un projet annuel de performance (PAP) est annexé au projet de loi de finances. Il précise notamment le « responsable du programme », les objectifs poursuivis, les coûts, les résultats obtenus dans le passé et attendus pour l’année à venir.

Ces résultats sont mesurés au moyen de 676 indicateurs de performance (budget général, 2020) qui sont regroupés en trois catégories : les « indicateurs de qualité des services publics » (18 % du total des indicateurs), supposés refléter les attentes de leurs usagers, qui peuvent reposer sur des enquêtes de satisfaction ; les « indicateurs d’efficacité socio-économique » (49 %), supposés refléter les attentes des citoyens, qui mesurent l’impact des politiques publiques au regard des grands objectifs que sont, par exemple, la qualité de l’environnement, la santé, l’emploi ou la sécurité publique ; les « indicateurs d’efficience de la gestion » (33 %), supposés refléter les attentes des contribuables, qui rapportent les résultats plus directs des programmes à leur coût.

Le programme « infrastructures et services de transport » retient ainsi l’état des chaussées et ouvrages d’art parmi les indicateurs de qualité, la part des transports ferroviaires et fluviaux, supposés plus favorables à l’environnement, dans le transport terrestre de marchandises parmi les indicateurs d’efficacité socio-économique et le coût d’entretien au kilomètre du réseau ferroviaire parmi les indicateurs d’efficience de la gestion.

A chaque indicateur est associée une « cible » pour l’année à venir et le responsable du programme devrait être évalué en fonction des résultats obtenus au regard de cette cible.

La LOLF prévoit aussi que les PAP comprennent une « justification au premier euro » des crédits du programme qui oblige en principe les parlementaires à revenir sur les crédits votés antérieurement et à ne pas se contenter d’examiner les mesures nouvelles. Cette disposition a souvent été présentée comme une rupture par rapport à la pratique antérieure à la LOLF consistant à reconduire automatiquement les « services votés » dans les lois de finances précédentes pour ne débattre que des mesures nouvelles.

Cette justification au premier euro n’est toutefois en pratique qu’une ventilation comptable du coût du programme entre ses principaux éléments, assortie éventuellement d’explications sur les facteurs d’évolution de ces éléments de coûts. Ce n’est pas une justification économique de ces dépenses fondée sur leur utilité pour la collectivité nationale.

Des « rapports annuels de performances » (RAP) sont annexés, pour chaque programme, à la loi de règlement. Ils précisent notamment les dépenses payées dans l’année et les résultats obtenus au regard de chaque indicateur de performance. Ils expliquent les écarts entre ces résultats et les cibles des PAP. Ils fournissent la décomposition comptable du coût du programme, comme la justification au premier euro des PAP mais sur la base des dépenses effectivement payées.

2) Un dispositif qui n’a pas d’effet sur les performances de l’Etat

Les rapports annexés aux projets de loi de finances et de règlement qui constituent le dispositif d’amélioration de la performance instauré par la LOLF (projets et rapports annuels de performances, « jaunes » et « documents de politique transversale ») ont, au total, environ 20 000 pages (en 2018, contre 15 000 en 2006). Cette masse de données est considérable et la France figure parmi les pays avancés où l’information budgétaire et comptable est la plus complète et la plus fiable. Selon une étude de l’OCDE, la qualité des documents budgétaires est « particulièrement satisfaisante ».

Ce dispositif n’a cependant aucun impact sur la gestion publique et ne sert pas à améliorer les performances de l’Etat. La répartition des crédits budgétaires n’a aucun rapport avec les indicateurs des PAP et RAP. Certes, aucun pays n’a établi de lien automatique entre performances des services et dotations budgétaires mais, comme le soulignait déjà une mission d’information de l’Assemblée nationale en 2009, « si la performance ne saurait commander la budgétisation, elle devrait à tout le moins contribuer à l’éclairer », ce qui n’est même pas le cas. Selon ce rapport, le dispositif de performance « est vécu comme générateur de procédures supplémentaires totalement déconnectées de la réalité de la gestion ».

En 2019, la Cour des comptes observe que « le dispositif de performances reste sans effet significatif tant sur l’allocation des ressources que sur les processus de modernisation de l’action publique ». S’il existe dans certains ministères des instruments de pilotage et de contrôle de gestion, ils sont souvent indépendants du dispositif prévu par la LOLF. Les processus de réforme de l’Etat engagés depuis 2008 (la révision générale des politiques publiques, la modernisation de l’action publique, les revues de dépenses et Action Publique 2022) ne se sont pas appuyés sur le dispositif de performance de la LOLF.

Les gels de crédits imposés en cours d’exercice par le ministère du budget de 2010 à 2017 ont certes contribué à déresponsabiliser les gestionnaires et à éloigner les services de l’Etat d’une gestion pluriannuelle par la performance, mais le bilan était déjà décevant en 2009.

B) La nécessaire refondation de ce dispositif

Ce dispositif de performance a été plusieurs fois modifié depuis sa création, avec par exemple la création d’objectifs et indicateurs par mission, et les propositions visant à l’améliorer ne manquent pas : rationnaliser la carte des programmes ; consolider la place de leurs responsables dans les ministères ; inciter plus fortement les agents à améliorer les performances en agissant sur leur rémunération ; fiabiliser et stabiliser les indicateurs ; fixer des cibles pertinentes ; instaurer un véritable contrôle de gestion ; adapter les systèmes d’information, notamment pour mettre en place une comptabilité analytique ; généraliser les contrats avec les opérateurs en les articulant avec les objectifs des programmes ; appliquer la démarche de performance aux dépenses fiscales ; harmoniser les indicateurs associés à des actions similaires etc. Beaucoup sont pertinentes mais les suivantes sont prioritaires. Elles sont d’ailleurs proches de recommandations formulées par la Cour des comptes et la Commission des finances de l’Assemblée nationale dans les rapports cités en introduction.

1) Recentrer le dispositif de performance et la responsabilité des gestionnaires sur des objectifs et indicateurs améliorés d’efficience

Trois catégories de politiques publiques peuvent être distinguées : la production de biens et services non marchands ; les interventions financières en faveur des ménages et entreprises ; la régulation des activités privées.

Ces politiques publiques ont des objectifs ultimes tels que la croissance de l’emploi, la réduction de la pauvreté, la préservation de l’environnement, la sécurité publique, la santé de la population. Elles sont efficaces d’un point de vue socio-économique si elles contribuent à atteindre ces objectifs au moindre coût.

a) Les responsables de programmes ne devraient pas être tenus pour responsables de l’efficacité socio-économique des politiques publiques

La réalisation de ces objectifs ultimes dépend souvent de facteurs indépendants de l’action des responsables de programmes : la conjoncture économique, les évolutions technologiques, les préférences des consommateurs, l’influence des médias sur les comportements, les variations de la météo…Les responsables de programmes n’ont pas la moindre prise sur ces facteurs et ne peuvent pas être jugés, par exemple, sur le nombre de chômeurs retrouvant un emploi, l’abondance des oiseaux communs ou le taux de prévalence du tabagisme, indicateurs pourtant retenus dans les PAP et RAP. Ceux-ci correspondent en effet pour 50 % d’entre eux à des objectifs de cette nature, les objectifs d’efficacité socio-économique. 

Les objectifs et indicateurs d’efficacité socio-économiques devraient donc être supprimés dans les PAP et RAP, car ils n’y servent à rien, et seuls les objectifs et indicateurs de qualité et d’efficience de la gestion devraient y figurer.

b) Les PAP et RAP devraient être recentrés sur les objectifs et indicateurs d’efficience de la gestion et de qualité de service

Il faut demander aux responsables de programme, dans la limite des crédits qui leur sont attribués, de produire des services de qualité (des formations validées par des diplômes, par exemple) ou de mettre à disposition des biens en bon état (des routes, par exemple). Dans le cas des politiques d’intervention, il s’agit de payer des prestations sociales ou des subventions en respectant des règles et la production se mesure en nombre de paiements ou de dossiers traités ; dans le cas des politiques de régulation, il s’agit surtout de produire des décisions administratives d’autorisation ou d’interdiction (permis de construire…).

Les responsables de programme devraient être jugés sur la productivité (ou « l’efficience de la gestion » dans la terminologie de la LOLF) des services concernés, qui rapporte la quantité de biens et services produits, en tenant compte de leur qualité (par exemple, l’accueil des bénéficiaires d’aides), aux moyens mis en œuvre (ou à leur coût).

Les PAP et RAP devraient donc être recentrés sur les objectifs et indicateurs d’efficience de la gestion et de qualité de service, lesquels devraient largement se retrouver dans les outils de gestion et tableaux de bord spécifiques à chaque ministère.

Ces objectifs et indicateurs devraient être déclinés au niveau des « budgets opérationnels de programme »[2] et faire l’objet d’un véritable contrôle de gestion, encore très limité dans les services de l’Etat. La comparaison des résultats entre les services déconcentrés devrait permettre d’évaluer leurs responsables et d’aligner leurs résultats sur les plus performants.

c) Les objectifs et indicateurs d’efficience de la gestion devraient être améliorés

Déterminer des objectifs d’efficience de la gestion et les indicateurs associés présente d’importantes difficultés, mais des solutions existent et il faut essayer de les trouver.

La définition des services produits par les administrations, et leur traduction en indicateurs quantitatifs, est souvent un exercice complexe. Comment définir et quantifier les services produits par les armées ? La question est difficile mais il existe des réponses, déjà retenues dans les rapports de performance, comme le taux de disponibilité opérationnelle des troupes et des matériels pour ce programme.

La qualité des services publics est souvent difficile à apprécier objectivement, mais les enquêtes de satisfaction auprès des usagers peuvent en donner une mesure pertinente.

La production de services, marchands ou non, est souvent une coproduction entre le producteur et l’utilisateur. La « production » d’élèves diplômés par un établissement d’enseignement dépend ainsi des performances propres des enseignants mais aussi des capacités des élèves. Les études montrent à cet égard que les caractéristiques socioprofessionnelles de leurs parents ont un impact déterminant, mais il est possible de mesurer la valeur ajoutée des établissements en la corrigeant de ces biais. Il existe donc des solutions pour résoudre, au moins partiellement, ce type de problème.

Les objectifs des administrations sont souvent multiples et la nature des tâches demandées aux agents est complexe. Des indicateurs qui ne reflètent pas la pluralité et la complexité des attentes et des tâches risquent d’induire des comportements non souhaitables. Si la performance des contrôleurs est mesurée par le nombre de sanctions prononcées, ils tendent à sanctionner les fraudes les plus faciles à appréhender et non les plus répréhensibles. Il s’agit donc de construire des indicateurs plus sophistiqués, par exemple en pondérant les services rendus (comme le nombre de contrôles) par leur degré de complexité.

Enfin, pour apprécier l’efficience des services, il faut pouvoir déterminer les moyens qui leur sont affectés, ce qui suppose une comptabilité analytique suffisamment fiable.

Les travaux d’amélioration de ces indicateurs d’efficience de la gestion devraient être menés en concertation avec ceux de l’Insee et des institutions internationales sur la mesure de la production et de la productivité dans les services non marchands.

d) Les résultats devraient avoir des conséquences en termes de rémunération

De haut en bas de la hiérarchie administrative, les responsables devraient être incités à augmenter l’efficience de la gestion des services en agissant sur leur rémunération ou leur évolution de carrière. Or la prise en compte de la performance dans la gestion des ressources humaines de l’Etat reste très limitée malgré quelques progrès récents. Ce n’est pas étonnant dans la mesure où la réalisation des objectifs de performances actuels échappe au contrôle des « responsables » de programme ou de budgets opérationnels et où il est donc difficile d’en faire dépendre leur rémunération ou leur carrière. Recentrer le dispositif de performances sur l’efficience de la gestion des services devrait permettre de lier plus facilement résultats et rémunération. Il ne s’agit certes pas de systématiser une rémunération individuelle à la performance dont les études de l’OCDE montrent qu’elle n’a pas toujours obtenu des résultats positifs dans les administrations parce que la performance individuelle y sera toujours difficile à mesurer, mais elle pourrait être un peu plus fréquente.

2) Distinguer les responsabilités des autorités politiques et des fonctionnaires

a) Distinguer leurs responsabilité et leur demander des rapports différents

Il revient au Parlement, généralement sur proposition du Gouvernement, de définir les politiques permettant d’atteindre les objectifs ultimes que sont, par exemple, la croissance de l’emploi, la réduction de la pauvreté, la préservation de l’environnement, la sécurité publique, la santé de la population. Il lui revient également de fixer les moyens budgétaires et juridiques permettant de les atteindre, ainsi que les modalités d’évaluation de leurs résultats, de préférence dans un cadre pluriannuel (loi de programmation ou budget triennal) car ces politiques doivent s’inscrire dans un temps long.

La responsabilité du Gouvernement, notamment des ministres, devrait être de mettre en œuvre ces politiques, d’en faire évaluer périodiquement l’efficacité socio-économique dans le cadre de revues de dépenses, d’en rendre compte au Parlement et de lui proposer éventuellement de les modifier.

La mise en œuvre des politiques devrait être confiée par les ministres à des responsables de programme ayant pour responsabilité, dans la limite des crédits qui leur sont attribués, de produire des services de qualité, de mettre à disposition des biens en bon état, de payer des prestations sociales ou des subventions en respectant des règles ou encore de prendre des décisions administratives dans des délais raisonnables. Mais l’atteinte des objectifs ultimes de ces politiques doit relever de la responsabilité des ministres.

Il n’y aura pas de gestion par la performance tant que ces responsabilités respectives des ministres et des fonctionnaires ne seront pas mieux distinguées. Le volet performance de la LOLF devrait en conséquence distinguer deux catégories de rapports :

-  d’une part des « rapports sur les politiques publiques » présentés par les ministres et développant les objectifs et moyens de ces politiques, les évaluations de leur efficacité socio-économiques réalisées au cours de l’année dans le cadre des revues de dépenses et les propositions du gouvernement qui en découlent pour les améliorer ;

- d’autre part, des PAP et RAP présentés par les responsables de programmes et recentrés sur l’efficience de la gestion et la qualité des services.

Il est certes indispensable d’évaluer l’efficacité socio-économique des politiques publiques pour les justifier, les améliorer ou les supprimer. Toutefois, leur évaluation suppose d’appliquer des techniques statistiques complexes, permettant d’isoler la contribution de chaque facteur au résultat, à des données pertinentes et avec un recul temporel suffisant (cf. fiche sur l’évaluation), ce que les PAP et RAP ne peuvent pas faire. La mesure de l’efficacité socio-économique relève de techniques lourdes qui sont incompatibles avec un suivi annuel dans le cadre du calendrier budgétaire. En revanche, il est possible de présenter chaque année les évaluations de quelques politiques publiques et d’en tirer les conclusions dans des « rapports sur les politiques publiques » présentés par les ministres.

La procédure budgétaire d’allocation des crédits entre les programmes devrait être alimentée par ces deux catégories de rapports. Les rapports des ministres sur les politiques publiques, alimentés par les revues de dépenses, devraient permettre d’éclairer les grandes réformes qui se traduisent par des révisions profondes de ces politiques ou de l’organisation de l’Etat. Les PAP et RAP des responsables de programme devraient avoir pour objectif de réaliser les gains de productivité annuels qui peuvent être attendus dans des activités de services, ces gains prenant la forme d’une baisse des dépenses ou d’une augmentation du volume de services produits à missions inchangées.

Un rapport de 2013 de l’OCDE sur les « revues de dépenses » distingue les « efficiency savings » et les « strategic savings ». Les premières correspondent aux PAP et RAP recentrés sur l’efficience de la gestion et les deuxièmes correspondent aux rapports des ministres sur les politiques publiques dans le schéma proposé ci-dessus.

Dans son rapport sur le budget de 2018, la Cour des comptes conclut son analyse du dispositif de performance de la LOLF par les deux recommandations suivantes : « distinguer un nombre limité d’objectifs stratégiques et d’indicateurs associés relevant de la responsabilité des ministres et les objectifs de gestion assortis d’indicateurs qui relèvent des responsables de programme ; compléter le dispositif de performance de la LOLF en définissant en loi de programmation des finances publiques un calendrier de revues de dépenses et d’évaluations de politiques publiques présentées au Parlement ». La Commission des finances de l’Assemblée nationale recommande également de « distinguer les objectifs politiques des objectifs administratifs et de clarifier les responsabilités associées ».

b) Définir un régime de responsabilité des fonctionnaires

Le Gouvernement est responsable devant le Parlement, qui peut ne pas lui accorder sa confiance, et les parlementaires sont responsables devant les français, qui peuvent ne pas les réélire. La responsabilité des fonctionnaires est beaucoup moins claire.

Ils sont responsables pénalement s’ils commettent des crimes ou des délits dans l’exercice de leurs fonctions mais cette responsabilité pénale a sans doute déjà été trop étendue, ce qui peut conduire les fonctionnaires à prendre des précautions excessives pour l’éviter. Elle ne doit pas être appliquée à la mauvaise gestion. Celle-ci devrait être plus souvent sanctionnée par les supérieurs hiérarchiques des fonctionnaires, ou des instances disciplinaires, y compris les ministres pour les agents les plus élevés dans la hiérarchie et dont les postes sont à la discrétion du Gouvernement. Cette responsabilité managériale est toutefois insuffisante car les ministres ne restent pas assez longtemps à leur poste et ne s’investissent pas assez dans la gestion de leur ministère pour apprécier la valeur des directeurs d’administration centrale, d’opérateurs ou d’entreprises publiques et éventuellement les sanctionner.

Entre la responsabilité pénale et la responsabilité managériale, il existe en France une responsabilité devant des juridictions particulières : la Cour ou les chambres régionales des comptes pour les comptables publics et la Cour de discipline budgétaire et financière pour les ordonnateurs autres que les ministres et les élus locaux. Elles suivent toutefois des procédures trop lourdes et trop longues qui aboutissent à des sanctions financières de faible montant (après remises gracieuses par les ministres et remboursement par les assurances) et relativement rares s’agissant de la Cour de discipline. La Cour et les chambres régionales des comptes ne peuvent pas sanctionner les ordonnateurs, mais seulement dénoncer leurs fautes et manquements aux juridictions pénales ou aux ministres ou les faire connaître par leurs publications.

Il faudrait que les fautes lourdes de gestion soient plus souvent et plus fortement sanctionnées par ces juridictions, sachant que la principale difficulté est de qualifier ces fautes. Il est certes facile de constater qu’un ordonnateur ou un comptable a engagé ou payé une dépense alors que les crédits nécessaires étaient épuisés. Il est en revanche plus difficile de prouver que les diligences d’un comptable pour recouvrer des créances sont insuffisantes si on admet que beaucoup de démarches visant à leur recouvrement peuvent être inutiles. Il est également souvent difficile de démêler les responsabilités des nombreux agents qui ont participé à un projet dont le coût a dérapé. Comme les fonctionnaires se retranchent souvent derrière les instructions des ministres ou des élus locaux, il faudrait en outre que la responsabilité de ces derniers pour des fautes de gestion puisse être également mise en jeu.

3) Elargir le champ et l’horizon des rapports sur les missions et programmes pour avoir une vision globale et pluriannuelle des politiques publiques

Une étude de l’OCDE publiée en 2018 souligne que « par rapport au cadre budgétaire de ses pairs, celui de la France est très fragmenté, ce qui rend difficile l’évaluation du coût total des politiques mises en œuvre à différents niveaux d’administration et limite par ailleurs la capacité des décideurs à affecter des ressources en fonction des priorités politiques. Dans le cadre des réformes à entreprendre au premier chef, la France devrait par conséquent réfléchir aux possibilités de réduction de la fragmentation de son cadre budgétaire ».

En effet, beaucoup de politiques publiques sont mises en œuvre à la fois par l’Etat, ses opérateurs, des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale. L’information contenue dans les PAP et RAP se limite souvent aux subventions attribuées par l’Etat à ses opérateurs et à leurs plafonds d’emplois, ce qui est loin de suffire pour apprécier les performances de ces politiques.

Il serait donc souhaitable que les rapports des ministres sur les politiques publiques, surtout, ainsi que les RAP et PAP, plus secondairement dans la mesure où les responsables de programme ne contrôlent que les crédits de l’Etat, présentent une vision consolidée des dépenses publiques consacrées aux politiques publiques concernées dans l’ensemble des administrations publiques. Une telle présentation est possible en mobilisant la classification des dépenses publiques par fonctions utilisée par l’Insee et Eurostat.

Etant donné qu’elles se substituent souvent à des dépenses budgétaires, les dépenses fiscales devraient être incluses dans le champ de ces rapports.

La performance de l’action publique ne peut être appréciée que sur plusieurs années. Il serait donc également nécessaire de mettre en œuvre la recommandation de la Commission des finances de l’Assemblée nationale visant à présenter à titre indicatif une programmation triennale glissante des crédits par programme dans les rapports annexés au projet de loi de finances. Il est également souhaitable de poursuivre les efforts engagés pendant la législature actuelle pour que les crédits votés en loi de finances initiale correspondent mieux aux besoins inéluctables et qu’il ne soit plus nécessaire de les modifier fortement en cours d’exécution, ce qu’il est convenu d’appeler la « sincérisation » du budget.

4) Décentraliser plus largement la gestion des dépenses publiques

La LOLF a consolidé un fonctionnement « vertical » des services de l’Etat : les crédits correspondant à des politiques publiques sont affectés à des responsables de programmes, en général des directeurs d’administration centrale, qui les délèguent à des responsables de budgets opérationnels, généralement les directeurs des services territoriaux de leur ministère, à charge pour eux de contribuer à réaliser les objectifs du programme.

Or une forte coordination est nécessaire au niveau local entre les services déconcentrés des ministères, qui est en principe assurée par les préfets, et cette organisation en tuyaux d’orgues la rend très difficile en pratique. La France n’a jamais su concilier le mode de fonctionnement vertical des ministères, renforcé par la LOLF, et la dimension nécessairement horizontale de l’action des représentants de l’Etat dans les territoires. Contrairement aux grandes entreprises, l’Etat n’a jamais su mettre en place une organisation matricielle, celle-ci supposant sans doute une flexibilité dont il est incapable.

La décentralisation, et non la seule déconcentration, est sans doute la seule solution pour sortir de cette impasse. Elle permettrait également de réaliser de véritables expérimentations. Les dépenses des administrations territoriales ne représentent que 20 % du total des dépenses publiques en France, contre une moyenne de 32 % dans l’Union européenne ou la zone euro (cf. fiche sur ce sujet). La gestion d’une part beaucoup plus importante des dépenses publiques pourrait donc être confiée aux collectivités territoriales. En contrepartie, il faudrait limiter les ressources dont elles peuvent disposer en s’inspirant de l’Allemagne : 41 % des dépenses publiques y sont gérées par les collectivités territoriales mais celles-ci sont financées principalement par des impôts d’Etat partagés par celui-ci en concertation avec les représentants des länder. Il serait également souhaitable que les collectivités locales publient des indicateurs de coût et d’efficacité de leurs politiques validés par un tiers de sorte que les électeurs puissent élire leurs représentants sur la base d’une information pertinente.

C) Conclusion

Celle-ci avait pour ambition de faire passer la gestion publique d’une logique de moyens à une logique de résultats en inscrivant la programmation et l’exécution budgétaires dans une « démarche de performance » présentée comme le socle de la réforme de l’Etat.

En contrepartie de règles de gestion plus souples, avec en particulier le remplacement de 800 chapitres budgétaires par 120 « programmes », les gestionnaires des crédits de l’Etat devaient être « responsables » des résultats obtenus, ceux-ci étant présentés dans des « rapports annuels de performance » et mesurés par des « indicateurs » quantitatifs associés à des « objectifs » fixés dans des « projets annuels de performance ».

De nombreux fonctionnaires remplissent chaque année les 20 000 pages des documents sur la performance. Si les informations publiées sont très riches, elles n’ont quasiment aucun impact sur les décisions budgétaires, sur l’efficience de la gestion publique et sur la modernisation de l’Etat. Le volet performance de la LOLF est un échec.

Il faudrait au moins distinguer plus clairement les responsabilités respectives des ministres et des fonctionnaires « responsables » de programmes en leur fixant des objectifs différents faisant l’objet de rapports distincts.

Le Parlement devrait donner aux ministres des objectifs « socio-économiques » et politiques (comme la réduction de la pauvreté) avec les moyens budgétaires et juridiques pour les atteindre dans un cadre pluriannuel. Les ministres devraient lui en rendre compte et proposer éventuellement des réformes dans des « rapports sur les politiques publiques » reposant sur des évaluations de leur efficacité. Le champ de ces rapports devrait être élargi aux dépenses de toutes les administrations publiques et aux dépenses fiscales et leur horizon devrait être pluriannuel.

Les fonctionnaires responsables de programme devraient avoir seulement des objectifs d’amélioration de la productivité et de la qualité des services rendus par leurs administrations. Un investissement méthodologique important est nécessaire pour définir correctement ces objectifs et en tirer des « indicateurs d’efficience » qui devraient pouvoir être déclinés au niveau des unités territoriales et fonctionnelles dans le cadre d’un véritable contrôle de gestion. Les projets et rapports annuels de performance devraient être recentrés sur ces objectifs et indicateurs d’efficience de la gestion.

Entre la responsabilité pénale et la sanction par le pouvoir hiérarchique, qui risque de rester insuffisante, il reste à définir un régime juridictionnel de responsabilité efficace des fonctionnaires en cas de faute lourde de gestion, sachant qu’il sera toujours difficile de caractériser de telles fautes lourdes, ce qui conduit à s’interroger sur les missions et procédures de la Cour et des chambres régionales des comptes ainsi que de la Cour de discipline budgétaire et financière.

La LOLF a consolidé une logique verticale de fonctionnement de l’Etat qui s’oppose à la nécessaire coordination des services dans les territoires. Cette contradiction ne pourra être levée qu’en décentralisant plus largement la gestion des dépenses publiques aux collectivités locales, tout en les soumettant à une contrainte budgétaire stricte.

Enfin, la révision de la LOLF ne peut pas suffire pour réussir la transformation de l’Etat, qui passe notamment par une réforme de sa gestion des ressources humaines. On trouvera des analyses complémentaires sur « les ingrédients du succès » des réformes à mener dans une note du cercle de la réforme de l’Etat et sur la gouvernance des finances publiques dans un récent rapport de la Cour des comptes.

 

[1] Partielle (« asymétrique ») entre les crédits de rémunération et les autres.

[2]Les programmes sont divisés en « budgets opérationnels de programme » qui correspondent aux crédits affectés à des services centraux ou territoriaux.

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