FIPECO le 08.04.2016
Les fiches de l’encyclopédie II) Déficit et dette publics, politique budgétaire
12) L’équivalence ricardienne entre dette publique d’aujourd’hui et impôts de demain
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La théorie selon laquelle il y a équivalence entre dette publique et impôt a été développée par l’économiste américain Robert J. Barro dans un article intitulé « Are government bonds net wealth ? » et publié en 1974. L’intuition de cette théorie est toutefois attribuée à l’économiste anglais du 19ème siècle David Ricardo, d’où sa désignation par l’expression « équivalence ricardienne »,
Si cette équivalence était en pratique vérifiée, il n’y aurait aucun effet à attendre d’une augmentation du déficit public sur l’activité économique, mais elle repose sur des hypothèses peu réalistes et n’est pas validée de manière convaincante par les études empiriques.
Il reste que, si la dette publique est très élevée et s’accroit rapidement, des comportements d’épargne de précaution peuvent fortement limiter l’impact favorable d’une augmentation du déficit public sur l’activité économique, ce qui constitue une forme limitée mais réaliste d’équivalence ricardienne.
A) La théorie de l’équivalence ricardienne
1) La théorie
La théorie de l’équivalence ricardienne repose sur l’existence d’une contrainte d’équilibre budgétaire à long terme : les emprunts contractés aujourd’hui par les administrations publiques devront un jour, éventuellement à un horizon quasi-infini, être remboursés, intérêts compris, et sont donc équivalents à de futurs impôts.
Elle repose également sur des hypothèses très fortes : les agents économiques seraient parfaitement informés, totalement rationnels et feraient preuve d’un altruisme intergénérationnel total (ils prendraient soin du bien-être de leurs lointains descendants comme du leur). En outre, les marchés financiers seraient efficients et permettraient aux agents économiques de lisser leur consommation dans le temps en fonction de leurs perspectives de revenus à long terme.
Dans ces conditions, si l’Etat augmente son déficit en baissant les impôts ou en accroissant les dépenses publiques, les ménages (ou les entreprises à travers leurs actionnaires) anticipent que les impôts augmenteront dans le futur pour rembourser ce supplément de dette publique. Leur comportement d’épargne et de consommation étant déterminé par leurs perspectives de revenus à long terme, ils constituent dès à présent une épargne de précaution permettant de payer ces futurs impôts.
Sous ces hypothèses, il est possible de démontrer que l’épargne privée de précaution ainsi constituée est égale à l’augmentation du déficit public. Les ménages ne consomment pas plus et les entreprises n’investissent pas plus lorsque le déficit public s’accroît, si bien que le « multiplicateur keynésien » est nul. La politique budgétaire n’a donc aucun effet sur l’activité économique.
2) Les éléments de vérification empirique
Bien que l’équivalence ricardienne repose sur des hypothèses peu réalistes, elle a connu un regain d’intérêt dans les années quatre-vingt-dix et deux mille sur la base d’études empiriques mettant en évidence des multiplicateurs nuls, voire négatifs, dans des pays ayant mis en œuvre d’importants programmes de réduction de leur déficit public. Ces études se sont inscrites dans la lignée de travaux menés d’abord par F. Giavazzi et M. Pagano[1] puis G. Bertola et A. Drazen[2] ainsi que A. Alesina et R. Perotti[3].
Dans plusieurs pays comme le Canada, le Danemark, l’Irlande et la Suède dont la situation était caractérisée par des déficits structurels importants et une croissance très faible, de vigoureuses mesures de réduction du déficit ont été prises et n’ont apparemment pas eu d’impact négatif sur l’activité car celle-ci est rapidement repartie à la hausse.
De son côté, le Japon a lancé douze plans de relance entre les années 1992 et 2002, dont l’ampleur a parfois atteint plus de 2 points de PIB, sans le moindre effet visible sur une croissance du PIB qui est restée anémique.
Les multiplicateurs nuls, voire négatifs, ainsi observés ont été attribués par certains économistes à des « comportements ricardiens », ou « néo-ricardiens » : la hausse des déficits dans ces pays aurait conduit à la constitution d’une épargne privée de précaution que les mesures de consolidation budgétaire mises ensuite en œuvre auraient libérée, permettant ainsi une hausse de la consommation et de l’investissement[4].
Il existe toutefois une autre lecture possible de l’histoire économique des pays où des ajustements budgétaires importants sans effets multiplicateurs défavorables à l’activité ont eu lieu. Le retour de la croissance, malgré l’impact négatif de la réduction du déficit public, résulterait ainsi de l’expansion de la demande étrangère adressée à ces pays, les périodes considérées ayant été marquées par une forte croissance dans le reste du monde, conjuguée avec des dévaluations de grande ampleur.
Si l’équivalence ricardienne n’est pas validée empiriquement dans sa forme pure, l’analyse des évolutions de l’épargne publique et de l’épargne privée dans les pays de l’OCDE met en évidence une substitution partielle entre ces deux formes d’épargne qui peut correspondre à l’existence de comportements ricardiens dans une partie de la population.
Selon un document de travail de l’OCDE de 2004, une augmentation de l’épargne privée se substitue pour près de la moitié à la baisse de l’épargne publique dans les pays de l’OCDE[5]. Ce résultat a été à peu près confirmé en 2010 dans une nouvelle étude montrant qu’une variation de l’épargne publique est compensée à hauteur de 40 % par une variation de sens opposé de l’épargne privée[6].
Une étude de l’INSEE[7] montre que l’aggravation du déficit en France de 2008 à 2010 peut expliquer en partie la hausse du taux d’épargne des ménages tandis que sa diminution de 2010 à 2013 peut expliquer en partie sa diminution.
B) Les relations entre le multiplicateur et le niveau de la dette publique
Des travaux théoriques ont établi un lien entre le niveau de la dette publique et la fréquence des comportements ricardiens dans la population. Ce lien est toutefois difficile à mesurer empiriquement et d’autres facteurs peuvent expliquer une diminution des multiplicateurs lorsque la dette publique est élevée.
1) Les fondements théoriques
Des modèles théoriques relâchant certaines des hypothèses contestables sur lesquelles repose l’équivalence ricardienne ont été construits, d’abord par Blanchard et alii[8] puis surtout par A. Sutherland[9]. Si les ménages ont pour horizon leur espérance de vie, et ne se préoccupent donc pas du bien-être de leurs descendants, il en ressort que l’accumulation de dette publiques accroît pour eux la probabilité de voir leurs impôts augmenter pour rembourser ces dettes avant leur décès. Dans ces conditions, à partir d’un certain seuil d’endettement public, les effets multiplicateurs des déficits publics sur la croissance deviennent nuls, voire négatifs.
Il est réaliste de considérer que la fréquence des comportements ricardiens augmente avec le niveau de la dette publique, mais de manière non linéaire.
Tant que la dette publique est limitée, elle ne présente aucun risque et il n’y a aucune raison pour que les agents économiques l’intègrent dans leurs décisions d’épargne et de consommation. A partir du moment où elle dépasse un certain seuil, ils en prennent conscience, les médias y contribuant beaucoup, et peuvent craindre des hausses d’impôts pour la rembourser, tout au moins pour réduire le déficit public.
Toutefois ces modèles ne permettent pas de déterminer précisément où se situent ces seuils. Il est probable qu’ils sont spécifiques à chaque pays et sans doute même aussi à chaque période, car ils dépendent, par exemple, des perspectives de croissance du PIB et d’évolution des régimes de retraite à long terme ainsi que de la situation des échanges extérieurs. Ils dépendent probablement aussi, et surtout, de la crédibilité des politiques de maîtrise des finances publiques mises en œuvre.
Dans ces conditions, il est difficile de mettre en évidence empiriquement une relation entre la valeur du multiplicateur et le niveau de la dette publique, mais il est très probable qu’elle existe et que, plus la dette est élevée, plus le multiplicateur risque d’être faible.
2) Les éléments empiriques
Certaines études empiriques, comme celle du FMI dans ses perspectives de l’économie mondiale de l’automne 2008, montrent que les effets multiplicateurs sont plus faibles lorsque la dette publique est plus élevée. Dans le document de travail de l’OCDE de 2010 précité, il apparaît que la compensation d’une variation de l’épargne publique par une variation de l’épargne privée de sens opposé est d’autant plus importante que le niveau de la dette publique est élevé.
Selon un document de l’OCDE de 2015[10], des analyses empiriques récentes mettent en évidence une relation non linéaire entre la dette publique et le multiplicateur. Celui-ci est positif lorsque l’endettement est limité, mais devient négatif lorsque la dette dépasse un seuil compris selon les pays entre 65 et 75 % du PIB.
Cependant, cette relation entre importance de la dette publique et faiblesse du multiplicateur peut résulter non pas de comportements ricardiens plus fréquents mais des effets de l’endettement public sur les taux d’intérêt et de ces derniers sur l’investissement privé et la croissance. Ces effets ont d’ailleurs été mis en évidence dans de nombreuses études.
Celle de C. Reinhart et K. Rogoff[11] a été amplement commentée. Ils ont conclu à une réduction d’un point du taux de croissance lorsque la dette publique dépasse 90 % du PIB, en s’appuyant sur la collecte d’un très grand nombre de données économiques et budgétaires mais aussi sur une analyse statistique assez fruste et comportant des erreurs.
D’autres études, s’appuyant sur des données et des calculs plus sûrs, donnent néanmoins des résultats semblables. Selon le directeur des politiques budgétaires du FMI[12], la croissance à long terme est diminuée de 0,2 point lorsque la dette publique augmente de 10 points de PIB.
[1] « Can severe fiscal contractions be expansionary ? », NBER, 1990.
[2] “Trigger points and budget cuts: explaining the effects of fiscal austerity”, NBER, 1991.
[3] « Fiscal expansions and adjustment in OECD countries », NBER, 1995.
[4] Il faut toutefois noter que l’équivalence ricardienne explique des multiplicateurs nuls mais pas négatifs. Pour expliquer des multiplicateurs négatifs, il faut faire appel à d’autres modèles théoriques intégrant un effet très négatif des prélèvements obligatoires sur l’activité économique.
[5] “Saving behavior and the effectiveness of fiscal policy” L. de Mello, P. Kongsrud, R. Price, OECD working paper, 2004.
[6] “New evidence on the private saving offset and ricardian equivalence” O. Röhn, OCDE working paper, 2010.
[7] « L’économie française », comptes et dossiers, INSEE références, édition de 2014.
[8] “La soutenabilité de la politique budgétaire : réponses nouvelles à une question ancienne » O. Blanchard, JC. Chouraqui, R. Hagemann, N. Startor, Revue économique de l’OCDE, 1990.
[9] « Fiscal crisis and aggregate demand: can high public debt reverse the effect of fiscal policy ? », journal of public economics, 1997.
[10] “Prudent debt targets and fiscal framework”, OECD economic policy paper, 2015.
[11] « Growth in a time of debt », NBER, 2010.
[12] « Fiscal policy in advanced economies: fiscal adjustment, efficiency and growth”, C. Cottarelli, 13 mars 2012.