FIPECO le 13.05.2024
Les fiches de l’encyclopédie VII) Les finances locales
4) La péréquation des ressources entre les collectivités locales
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Les ressources et les charges des collectivités locales sont inégalement réparties du fait de la diversité démographique, géographique, économique et sociale des territoires sur lesquels s’exercent leurs compétences. En conséquence, les contribuables des collectivités qui font face à des charges particulièrement élevées alors que leurs ressources sont faibles peuvent être soumis à des taux de taxation, au titre des impôts locaux, beaucoup plus forts que les contribuables des collectivités qui se trouvent dans la situation opposée.
Pour y remédier, « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales », aux termes de l’article 72-2 de la Constitution. Dans une décision du 17 juillet 2003, le Conseil constitutionnel a précisé que « cette disposition a pour but de concilier le principe de liberté[1] avec celui d’égalité[2] par l’instauration de mécanismes de péréquation financière ».
Cette fiche présente les dispositifs de péréquation mis en place ainsi que leurs objectifs et leurs résultats.
A) Les dispositifs de péréquation
Deux types de péréquation sont distingués : la « péréquation verticale » consiste pour l’Etat à moduler ses dotations aux collectivités territoriales pour avantager celles qui ont de faibles ressources propres et/ou de fortes charges ; la « péréquation horizontale » consiste à attribuer des ressources supplémentaires à ces collectivités défavorisées en prélevant une partie des ressources des collectivités dont la situation est plus favorable. Selon le rapport de 2023 de la Cour des comptes sur les finances locales, ces deux types de péréquation représentaient au total 13,1 Md€ en 2022, soit 5,4 % des recettes de fonctionnement des collectivités territoriales, montant qui connait une « lente augmentation ».
1) La péréquation verticale
La péréquation verticale est réalisée principalement par l’attribution de la « dotation globale de fonctionnement » (DGF), qui constitue le plus important concours financier de l’Etat aux collectivités territoriales (26,8 Md€ en 2022). La DGF comprend une « part forfaitaire » et une « part de péréquation », qui regroupent elles-mêmes plusieurs composantes, ainsi que plusieurs autres « parts » destinées, par exemple, à compenser les pertes de recettes résultant de réformes fiscales antérieures.
a) La part forfaitaire de la DGF
La part dite forfaitaire (11,0 Md€ en 2022) est calculée sur la base de critères différents selon les catégories de collectivités. Elle n’est pas comprise dans le montant de 13 Md€ affecté à la péréquation cité ci-dessus mais a de fait une fonction de péréquation.
Pour les communes et EPCI (6,8 Md€) depuis 2015, il s’agit d’une dotation unique qui consolide plusieurs dotations « forfaitaires » antérieures (« dotation de base », « dotation superficie », « dotation parcs naturels » etc.). Au titre du plan d’économie décidé par le gouvernement pour 2015 à 2017, elle a été réduite au prorata des recettes de fonctionnement des communes. Sous cette réserve, elle évolue désormais comme la population. Son montant est toutefois écrêté pour celles qui ont un « potentiel fiscal » (cf. plus loin) par habitant supérieur à un certain seuil.
Pour les départements (4,2 Md€) et depuis 2015, la part forfaitaire de la DGF a les mêmes caractéristiques que celle des communes. Elle est écrêtée pour les départements dont le « potentiel financier » par habitant (cf. plus loin) est supérieur à un certain montant.
Pour les régions, la DGF a été remplacée par l’affectation d’une fraction de la TVA en 2018.
b) La part de la DGF destinée à la péréquation
La part de la DGF destinée à la péréquation (8,5 Md€ en 2022 selon le rapport de la Cour des comptes) est composée de plusieurs dotations visant des collectivités particulières.
Pour le secteur communal, la « dotation de solidarité urbaine » (DSU ; 2,4 Md€) vise les communes urbaines confrontées à des ressources insuffisantes et des charges élevées ; la « dotation de solidarité rurale » (DSR ; 1,8 Md€) vise les communes rurales ; la « dotation nationale de péréquation » (0,7 Md€) vise à compenser les écarts de « potentiel financier » et de « potentiel fiscal » (cf. ci-dessous). Les communes d’Outre-Mer ont une dotation spécifique (0,3 Md€). Les intercommunalités reçoivent une « dotation d’intercommunalité » (1,7 Md€).
Pour les départements, la « dotation de péréquation urbaine » (DPU ; 0,6 Md€) vise les départements urbains dont le potentiel financier est inférieur à un seuil et où le revenu par habitant est inférieur à un autre seuil ; la « dotation de fonctionnement minimale » (DFM ; 1,0 Md€) par habitant vise les départements ruraux, à condition que leur potentiel financier soit inférieur à un certain seuil.
c) Les indicateurs de ressources et de charges
La répartition des dotations de l’Etat repose largement sur des bases historiques (le maintien des ressources antérieures à certaines réformes fiscales) mais également, surtout pour ce qui concerne les dotations destinées à la péréquation, sur des indicateurs de charge et de ressources des collectivités.
Les principaux indicateurs de charges utilisés sont la population, la superficie, le caractère urbain ou rural.
Les principaux indicateurs de ressources sont le « potentiel fiscal » et le « potentiel financier » par habitant.
Le potentiel fiscal, l’indicateur le plus ancien, est calculé en appliquant les taux moyens nationaux d’imposition aux bases fiscales propres à chaque collectivité. Il s’agit, pour les impôts fonciers, des valeurs cadastrales estimées par l’administration, qui n’ont plus qu’un lointain rapport avec les valeurs vénales réelles, et le potentiel fiscal ainsi estimé ne mesure que très conventionnellement les capacités contributives des résidents.
Le potentiel financier est obtenu en additionnant le potentiel fiscal et le montant de la dotation forfaitaire de la DGF puis en soustrayant la contribution de la collectivité à la baisse des dotations de l’Etat intervenue à partir de 2014. Il est désormais majoré du montant des recettes de TVA qui viennent en compensation de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales.
Le revenu par habitant est désormais parfois pris en compte à la place de ces indicateurs de ressources traditionnels (par exemple dans le calcul de la dotation de solidarité urbaine depuis 2016), mais il peut s’agir du revenu imposable ou du revenu fiscal de référence.
2) La péréquation horizontale
La péréquation horizontale ne représente que 4,5 Md€ en 2022, mais elle a beaucoup augmenté ces dernières années en partant de très bas (1,0 Md€ en 2013).
Jusqu’à 2010, la péréquation horizontale était surtout assurée par le « fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France » (FSRIF ; 0,4 Md€ en 2022) et des fonds départementaux de péréquation du produit de la taxe professionnelle.
Le FSRIF existe toujours et de nouveaux dispositifs ont été créés dont les principaux sont : le « fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales » (FPIC ; 1,0 Md€), dont la couverture est nationale ; le « fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux » perçus par les départements (1,6 Md€) ; le « fonds de péréquation départemental des taxes additionnelles aux droits d’enregistrement » (1,2 Md€) au profit des communes de moins de 5 000 habitants ; le « fonds de péréquation des ressources des régions » (0,1 Md€).
Les montants des prélèvements sur les collectivités les plus « riches » et des versements aux plus « pauvres » dépendent des principaux indicateurs de ressources et de charges cités ci-dessus mais aussi d’indicateurs spécifiques à chaque dispositif.
B) Les objectifs et les résultats de la péréquation
1) Les objectifs
Il n’existe pas de définition des objectifs de la péréquation entre les collectivités locales plus précise que les dispositions de la Constitution et les considérants du Conseil constitutionnel cités plus haut. En outre, alors qu’il s’agit de « favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales », il n’existe aucun instrument reconnu et pérenne de mesure des inégalités, avant et après intervention des mécanismes de péréquation, entre les collectivités.
De très nombreux indicateurs sont utilisés, qui se sont ajoutés au fil des réformes, sans qu’une approche synthétique puisse en être tirée : potentiel fiscal ou financier par habitant, ressources fiscales par habitant ou par kilomètre carré, revenu ou PIB par habitant… pour ce qui est des ressources ; nombre d’habitants, superficie, proportion de logements sociaux ou de résidences secondaires… pour ce qui est des charges ; indices synthétiques de ressources et charges combinant les précédents indicateurs dans des proportions variables.
Des seuils d’éligibilité, ou d’inéligibilité, sont fixés en appliquant des coefficients sans justification claire aux valeurs moyennes de ces indicateurs et indices synthétiques au niveau départemental, régional ou national.
La péréquation entre les collectivités locales est analogue à la redistribution des revenus entre les ménages. Celle-ci s’appuie toutefois sur une définition précise du « niveau de vie » de chaque ménage, qui correspond à son revenu disponible divisé par un « nombre d’unités de consommation » reflétant sa taille, et sur des indicateurs de dispersion des niveaux de vie (rapports entre les niveaux de vie moyens de certains déciles, indicateur synthétique dit de Gini, taux de pauvreté…).
S’agissant des collectivités locales, il faudrait pouvoir également disposer d’un indicateur de référence rapportant leur potentiel fiscal ou financier à leur taille, celle-ci pouvant combiner dans des proportions fixes des données telles que le nombre d’habitants ou la superficie, et se donner des objectifs tels que la réduction du coefficient de Gini ou de l’écart-type de cet indicateur, du « taux de pauvreté » (part des collectivités dont l’indicateur de référence est inférieur à 60 % de la médiane) ou du rapport entre les 10ème et 1er déciles. De tels objectifs n’ont jamais été formulés par le législateur.
Un indicateur de ce type est apparu dans le projet annuel de performances de la mission budgétaire « relations avec les collectivités territoriales » pour 2021. Il s’agit du pourcentage de communes d’une strate démographique dont le potentiel financier par habitant est ramené au-dessus de 75 % de la moyenne grâce aux mécanismes de péréquation verticale. Le même indicateur est présenté pour les départements avec un seuil de 90 %.
L’observation suivante de la Cour des comptes dans son rapport sur les finances locales d’octobre 2014 reste néanmoins d’actualité : « la péréquation financière ne s’accompagne pas d’une définition claire des objectifs qui lui sont assignés. Elle repose sur un ensemble de dispositifs dont la cohérence globale n’est pas assurée et qui s’ajoutent les uns aux autres par sédimentation ». On peut ajouter que cet ensemble de dispositifs est devenu illisible. Dans son rapport de 2023, elle souligne d’ailleurs que « la péréquation financière se caractérise par une construction au fil du temps d’une grande complexité ».
2) Les résultats
Les travaux de G. Gilbert et A. Guengant ont pourtant permis de poser en 2004 les bases théoriques et empiriques d’une évaluation de la péréquation qui pourraient permettre de fixer des objectifs à ces dispositifs et d’en mesurer périodiquement les résultats. L’efficacité de la péréquation y est principalement mesurée par le coefficient de Gini, avant et après dotations de l’Etat, associé au potentiel financier par habitant.
Ces travaux ont été actualisés en 2013 dans un rapport des inspections générales des finances et de l’administration. Il apparaît que la dispersion des potentiels financiers par habitant, avant dotations, est plus forte pour les communes (indice de Gini de 0,27) que pour les départements et régions (0,12). La péréquation verticale réduit cependant moins cette dispersion pour les communes (l’indice passe à 0,23) que pour les départements et régions (il passe respectivement à 0,07 et 0,06).
La péréquation a néanmoins bien pour effet de réduire les inégalités pour tous les niveaux de collectivité, mais les effets péréquateurs de la part forfaitaire de la DGF sont plus importants que ceux de sa part spécifiquement destinée à la péréquation. Ce résultat traduit surtout le montant réduit et un mauvais ciblage des dispositifs qui constituent cette part dite péréquatrice. Enfin, la péréquation horizontale reste d’une ampleur limitée.
Un rapport de la Cour des comptes de novembre 2016 sur les concours financiers de l’Etat aux communes et à leurs groupements montre que la part forfaitaire de la DGF, rapportée au nombre d’habitants, est très inégalement répartie car elle cristallise des dotations historiques très anciennes. La Cour confirme néanmoins que cette part forfaitaire de la DGF a bien globalement un fort effet de péréquation.
La loi de finances pour 2016 a prévu une réforme de la DGF visant à réduire les dotations qui reflètent des droits anciens des collectivités pour renforcer celles qui ont un impact véritablement péréquateur, qu’il s’agisse de la part forfaitaire ou de la part dite péréquatrice, mais sa mise en œuvre a été reportée. Elle n’a pas eu lieu mais la réduction de la DGF dans les années 2014 à 2017 a surtout porté sur sa part forfaitaire et elle a donc renforcé sa part en principe péréquatrice.
Selon le rapport de 2023 de la Cour des comptes, plus de 10 % des communes, classées par strates démographiques, ont vu leur potentiel financier par habitant passer au-dessus de 75 % de la moyenne de la strate grâce à la péréquation verticale en 2022. Dix départements ont vu leur potentiel financier par habitant passer au-dessus de 90 % de la moyenne.
Selon ce même rapport, les critères d’attribution des dotations de péréquation ne sont toutefois pas assez ciblés. Il en résulte, par exemple, que 97 % des communes ont bénéficié d’au moins une dotation de péréquation de la DGF.
Une étude parue en 2024 dans la revue d’économie politique confirme que l’essentiel de la péréquation passe par la DGF et montre que la péréquation verticale s’est un peu renforcée de 2018 à 2023. Elle reste néanmoins complexe et limitée par les effets de certains dispositifs qui vont à l’encontre de la péréquation.
La suppression de la taxe d’habitation et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises conduit à revoir profondément le financement des collectivités locales, les indicateurs de richesses comme le potentiel fiscal et les mécanismes de péréquation. Des ajustements de ces indicateurs ont été opérés en 2021 et 2022 en concertation avec le comité des finances locales, mais leur objectif était surtout de limiter les effets budgétaires des réformes fiscales récentes sur chaque collectivité locale, ce qui entraîne surtout plus de complexité avec une multiplication des « coefficients de correction ». Le comité des finances locales poursuit ses travaux pour, notamment redéfinir le potentiel fiscal des communes et le potentiel financier des départements, mais il faudrait revoir beaucoup plus profondément les mécanismes de péréquation.
Comme la redistribution entre les ménages, la réduction des inégalités entre les collectivités territoriales peut être source d’inefficacités en diminuant les incitations à l’effort. En effet, le potentiel fiscal d’une collectivité résulte pour une part de sa capacité à attirer des ménages et des entreprises sur son territoire en leur fournissant des services de bonne qualité à un prix (taux d’imposition) raisonnable. Si l’accroissement du potentiel fiscal résultant d’une amélioration des services rendus est trop fortement compensé par une perte de ressources au titre de la péréquation, l’incitation à améliorer les services rendus peut être insuffisante. A l’inverse, les collectivités bénéficiant de la péréquation peuvent être incitées à offrir des services moins utiles et plus coûteux.
Il faudrait donc mettre en place une péréquation plus simple, avec des objectifs plus clairs de redistribution entre les collectivités et qui les incite suffisamment à une bonne gestion. Ce chantier est immense.
[1] Les collectivités locales s’administrent librement par des conseils élus dans les conditions prévues par la loi, en vertu de l’article 72-2 de la Constitution.
[2] Principe d’égalité des contribuables devant les charges publiques.