05/04/2023
Les finances publiques en 2022
François ECALLE
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L’Insee vient de publier une première version des comptes de 2022 des administrations publiques. Les ratios de finances publiques en pourcentage du PIB sont estimés par l’Insee en retenant le PIB de 2022 qui résulte des comptes nationaux trimestriels. Ils pourraient être modifiés lors de la première publication des comptes nationaux annuels à la fin du mois de mai et jusqu’aux comptes définitifs dans deux ans.
Le déficit public s’est élevé à 125 Md€ en 2022 après 162 Md€ en 2021, ce qui correspond à 4,7 % du PIB en 2022 après 6,5 % en 2021. Il était de 3,1 % du PIB en 2019 avant la crise. Depuis 1960, il est sur une tendance croissante, en pourcentage du PIB, s’aggravant à chaque crise et revenant rarement ensuite à son niveau initial.
Le déficit de l’Etat et des organismes non marchands qu’il contrôle s’est élevé en 2022 à 135 Md€. Les administrations de sécurité sociale ont dégagé un excédent de 9 Md€ : si le régime général a enregistré un déficit de 20,0 Md€, les fonds spéciaux (CADES notamment) et l’AGIRC-ARRCO ont dégagé des excédents de respectivement 18 Md€ et 8 Md€ en comptabilité nationale. Les administrations publiques locales sont restées proches de l’équilibre : si les collectivités locales ont été excédentaires de 5 Md€, les autres administrations publiques locales (société du Grand Paris et Ile-de-France Mobilités notamment) ont été déficitaires de 4 Md€.
Les prélèvements obligatoires (PO) ont augmenté de 8,0 % en 2022, soit nettement plus que la croissance du PIB en valeur (5,7 %). En conséquence, le taux des PO est passé de 44,3 % en 2021 à 45,3 % en 2022, un niveau jamais atteint jusque-là.
Il y a pourtant eu des baisses d’impôts en 2022. Il y a eu également des mesures fiscales temporaires, à la hausse et à la baisse, en réponse à l’augmentation des prix de l’énergie. Au total, les baisses d’impôts peuvent être estimées provisoirement à 6 Md€. La croissance des PO a ainsi été de 8,6 % à législation constante, ce qui correspond à une élasticité au PIB particulièrement élevée (1,5). On peut en trouver des explications, comme à la forte progression de certains impôts, mais elles sont encore insuffisantes.
Les dépenses publiques ont augmenté de 4,0 % en valeur en 2022, ce qui les a fait passer de 59,1 % du PIB en 2021 à 58,1 % en 2022, et ont diminué de 1,2 % en volume si on les déflate par l’indice des prix à la consommation. Hors mesures exceptionnelles prises pour faire face à la crise de 2020-2021 et à la hausse des prix de l’énergie, elles se sont accrues de 5,5 % en valeur et 0,3 % en volume. Certaines décisions prises en 2022 n’auront toutefois leur plein effet sur les dépenses qu’en 2023 (revalorisation des salaires des fonctionnaires et des prestations sociales). La progression des dépenses en 2022 a été plus particulièrement forte pour la charge d’intérêts de la dette et les investissements.
La dette publique est passée de 2 824 Md€ à la fin de 2021 à 2 950 Md€ à la fin de 2022, soit de 112,9 % à 111,6 % du PIB. La dette publique nette des actifs financiers liquides a plus augmenté, car les administrations publiques ont prélevé 34 Md€ sur leur trésorerie, et elle est ainsi passée de 100,3 % du PIB fin 2021 à 101,0 % fin 2022.
A) Le déficit public
Le déficit public s’est élevé à 124,9 Md€ en 2022, après 162,0 Md€ en 2021. Il est ainsi passé de 6,5 % du PIB en 2021 à 4,7 % en 2022. En 2019, avant la crise économique et sanitaire, il était égal à 3,1 % du PIB (2,2 % hors impact ponctuel du remplacement du CICE par des allègements de cotisations sociales).
Le déficit primaire (c’est-à-dire hors charge d’intérêts) est passé de 5,0 % du PIB en 2021 à 2,7 % du PIB en 2022.
Comme le montre le graphique suivant, la tendance du solde des administrations publiques au cours des 60 dernières années est nettement décroissante. Il est devenu de plus en plus déficitaire en période de crise économique ou de fort ralentissement de l’activité et il est ensuite revenu très difficilement vers son niveau antérieur à cette crise ou à ce ralentissement. L’évolution du solde primaire est semblable : la pente est moins forte mais décroissante.
Source : Insee ; FIPECO.
Les évolutions du solde des administrations publiques sont très proches de celles des administrations publiques centrales (Etat et organismes publics non marchands sous son contrôle). Celles-ci ont enregistré un déficit de 134,9 Md€ (soit 5,1 % du PIB) en 2022, après 143,9 Md€ (5,8 % du PIB) en 2021.
Le solde des administrations de sécurité sociale était proche de l’équilibre ou excédentaire jusqu’à la fin des années 1980. Ensuite, il a été le plus souvent déficitaire et ce déficit était de 17,2 Md€ (0,7 % du PIB) en 2021. Il est redevenu excédentaire en 2022 à hauteur de 9,2 Md€ (0,35 % du PIB). Si le régime général a enregistré un déficit de 20,0 Md€, les fonds spéciaux (CADES et fonds de réserve pour les retraites) et l’AGIRC-ARRCO ont dégagé des excédents de respectivement 17,9 Md€ et 8,4 Md€ en comptabilité nationale.
Les administrations publiques locales étaient nettement déficitaires jusqu’au milieu des années 1990. Leur situation s’est ensuite progressivement améliorée et elles ont dégagé de légers excédents au tournant des années 2000. À partir de 2004, elles ont renoué avec les déficits, pour des montants relativement limités par rapport à ceux de l’Etat. Elles sont proches de l’équilibre depuis 2015 et leur déficit a été limité à 0,8 Md€ en 2021 (moins de 0,1 % du PIB). En 2022, elles ont dégagé un excédent de 0,8 Md€. Si le solde des collectivités locales a été excédentaire de 4,8 Md€, celui des organismes divers d’administration locale (Ile-de-France Mobilités et Société du Grand Paris notamment) a été déficitaire de 4,0 Md€.
B) Les recettes publiques
Les recettes publiques ont augmenté de 7,3 % en 2022 et sont passées de 52,6 % du PIB en 2021 à 53,4 % en 2022. Elles regroupent les prélèvements obligatoires, c’est-à-dire les impôts et cotisations sociales (85 % du total), et d’autres recettes (revenus de la propriété, redevances, ventes de biens et services…). Ces dernières ont augmenté de 6,6 % en 2022.
Les prélèvements obligatoires (PO) sont passés de 1 108 Md€ en 2021 à 1 197 Md€ en 2022, soit une hausse de 8,0 % (+ 89 Md€)[1]. Cette croissance est largement imputable à celle du PIB (2,6 % en volume et 5,7 % en valeur), mais elle a été nettement supérieure à celle du PIB en valeur. En conséquence, le taux des PO est passé de 44,3 % en 2021 à 45,3 % en 2022. Il n’avait jamais atteint ce niveau jusque-là (le précédent record était de 45,1 % en 2017).
Source : Insee, FIPECO.
Les réformes fiscales ont pourtant contribué à réduire les prélèvements obligatoires en 2022. Selon le rapport annuel de la Cour des comptes publié en février dernier, on peut notamment relever la suppression de la redevance de l’audiovisuel (- 3,2 Md€), la dernière étape de la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés (- 2,9 Md€) et une nouvelle étape de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales (- 2,8 Md€).
L’évolution des prélèvements obligatoires a aussi été affectée en 2022 par des mesures supposées temporaires prises en réponse à la hausse des prix de l’énergie : baisse de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (- 7,4 Md€ selon la Cour des comptes), contributions sur les rentes des producteurs d’électricité (+ 1,3 Md€) et traitement comptable en impôts des versements des producteurs d’énergies renouvelables à l’Etat (+ 8,4 Md€).
Au total, selon la Cour des comptes, les mesures nouvelles auraient contribué à réduire les PO en 2022 de 5,7 Md€, estimation proche de celle qui figure dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2023 (- 4,7 Md€). Elle sera probablement révisée mais une baisse de 6 Md€ peut être provisoirement retenue.
Dans ces conditions, la croissance « spontanée » (à législation constante) des PO aurait été de 8,6 % en 2022, ce qui correspond à une élasticité de 1,5 (rapport de leur croissance spontanée à celle du PIB nominal). Cette élasticité a été en moyenne de 1,06 entre 1990 et 2021 et fluctue autour de cette moyenne (voir fiche sur ce sujet). Il est exceptionnel qu’elle soit aussi élevée, surtout sur les 20 dernières années pour lesquelles son estimation est plus fiable, mais ce n’est pas impossible au vu de ses niveaux passés (elle était de 1,4 en 2017).
Source : FIPECO
Comme le rappelle une note de février 2023 du Haut Conseil des finances publiques, le PIB n’est qu’une mesure approximative de l’assiette des prélèvements obligatoires et diverses raisons peuvent expliquer une élasticité élevée. L’examen de l’écart entre taux de croissance des PO à législation constante et taux de croissance nominal du PIB doit d’abord compléter celui du rapport entre ces deux taux de croissance. Cet écart a été particulièrement important en 2022 (2,9 points), mais il peut s’expliquer en partie par la croissance de la masse salariale. En effet, beaucoup d’impôts et cotisations sociales sont prélevés sur celle-ci et sa croissance a été de 8,1 % en 2022 d’après la note de l’Insee de présentation du compte des administrations publiques, soit nettement plus que celle du PIB nominal.
Cette analyse globale doit être complétée par un examen des principaux prélèvements obligatoires.
La croissance du prix du PIB (écart entre ses taux de croissance en valeur et en volume) a été de 3,1 % et donc nettement inférieure à celle du prix de la consommation des ménages, ce qui peut expliquer une progression de la TVA (8,1 %) largement supérieure à celle du PIB en valeur (5,7 %).
Les taux de croissance du produit de l’impôt sur le revenu, de la CSG et des cotisations sociales (entre 6 et 10 %) sont cohérents avec la progression de la masse salariale (8,1 %).
La progression du produit de l’impôt sur les sociétés est particulièrement rapide (22 % en 2022 après 11 % en 2021), ce qui peut refléter une forte augmentation des bénéfices des entreprises. Selon les comptes nationaux trimestriels, l’excédent brut d’exploitation des entreprises a augmenté de 14,9 % en 2021 et 0,3 % en 2022. Cet agrégat comptable est certes différent du bénéfice fiscal et les recettes tirées de cet impôt sont très volatiles : elles ont diminué de 60 % de 2008 à 2009 puis augmenté de plus de 100 % de 2009 à 2011. Le bénéfice fiscal est en effet lui-même très fluctuant et certaines caractéristiques de cet impôt peuvent amplifier cette volatilité comme l’existence d’un taux normal et d’un taux réduit, qui lui confère une certaine progressivité, et le jeu des reports de déficit.
La progression de l’excédent brut d’exploitation paraît toutefois un peu faible pour expliquer la croissance du produit de l’impôt sur les sociétés. Une décomposition de celui-ci entre acomptes et solde, non encore disponible, pourrait permettre d’y voir plus clair.
Le produit des impôts sur la production s’est accru de 9,8 % à législation courante et de 8,7 % à législation constante (c’est-à-dire hors impact de la création d’un prélèvement sur les rentes des producteurs d’électricité). Les impôts sur les salaires ont augmenté de 8,1 % comme la masse salariale. Les autres impôts sur la production ont cru de 8,9 % à législation constante avec notamment une progression de 20 % de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Cet impôt a toujours été très volatil pour des raisons qui n’ont jamais été clairement identifiées.
Il reste enfin que la croissance du PIB en valeur tirée des comptes nationaux trimestriels pourrait être sous-estimée. La publication des comptes nationaux annuels pour 2022 à la fin du mois de mai permettra d’affiner le diagnostic.
C) Les dépenses publiques
La croissance des dépenses publiques, crédits d’impôts inclus conformément à leur définition en comptabilité nationale, s’est élevée en 2022 à 4,0 % en valeur[2] et elle a été négative en volume (- 1,2 %) si on déflate leur croissance en valeur par l’indice des prix à la consommation comme le fait le ministère des finances. Elle peut aussi être déflatée par l’indice du prix du PIB (3,1 % de hausse en 2022), ce qui est plus cohérent avec les agrégats de finances publiques en pourcentage du PIB et conduit à une croissance des dépenses publiques en volume de 0,9 % en 2022.
Source : Insee ; FIPECO ; crédits d’impôts inclus. Croissance en volume déflatée par les prix à la consommation.
La croissance du PIB en valeur ayant été de 5,7 %, le rapport des dépenses publiques au PIB a diminué, passant de 59,1 % en 2021 à 58,1 % en 2022.
Selon la Cour des comptes, les mesures de soutien et de relance prises en réponse à la crise sanitaire se sont élevées à 84,0 Md€ en 2021 et 37,5 Md€ en 2022, soit une baisse de 46,5 Md€. Les dépenses effectuées pour faire face à la hausse des prix de l’énergie (nettes des économies réalisées par exemple sur les subventions en faveur des énergies renouvelables) ont été de 2,8 Md€ en 2021 et 25,5 Md€ en 2022, soit une augmentation de 22,7 Md€. Au total, ces dépenses exceptionnelles et supposées temporaires ont diminué de 24 Md€ en 2022.
La croissance des dépenses « ordinaires » s’est donc élevée à 5,5 % en valeur et 0,3 % en volume en prenant les prix à la consommation comme déflateur (2,4 % en volume en prenant le prix du PIB).
La croissance des dépenses publiques en volume est souvent plus faible les années où l’inflation est plus forte que prévue. En effet, d’une part, les budgets sont votés en valeur et sont rarement accrus pour tenir pleinement compte de l’inflation en cours d’exercice et, d’autre part, les prestations sociales ne sont indexées sur l’inflation qu’avec retard. Or le projet de loi de finances pour 2022 prévoyait une inflation de 1,5 % et elle a été finalement de 5,2 % en moyenne annuelle.
Il faut plus particulièrement noter que des mesures importantes sur le plan budgétaire ont été prises en juillet 2022 (revalorisation du point de la fonction publique et des prestations sociales) et qu’elles n’auront leur plein effet qu’en 2023.
La croissance des dépenses publiques en 2022 a été plus particulièrement forte pour ce qui concerne les investissements (+ 9,5 % pour la formation brute de capital fixe) et la charge d’intérêts de la dette publique (+ 39,7 %).
L’augmentation des intérêts de la dette est imputable à la charge d’indexation des OAT indexées sur l’inflation en France ou dans la zone euro (11,5 % de la dette négociable de l’Etat). Dans la comptabilité budgétaire de l’Etat, cette charge est passée de 3,0 Md€ en 2021 à 15,6 Md€ en 2022 (l’impact diffère un peu en comptabilité nationale). Elle diminuera en 2023 si l’inflation est plus faible alors que l’effet de la hausse des taux d’intérêt est plus progressif mais bien plus important à terme (voir note sur ce sujet sur ce site).
D) La dette publique
La dette publique est passée de 2 824 Md€ à la fin de 2021 à 2 950 Md€ à la fin de 2022, soit une hausse de 4,5 % (+ 126 Md€). La valeur du PIB ayant augmenté de 5,7 %, le rapport de la dette au PIB est passé de 112,9 % fin 2021 à 111,6 % fin 2022.
La dette publique nette des actifs financiers liquides a nettement plus augmenté (+ 161 Md€, soit + 6,4 %) et elle est ainsi passée de 100,3 % du PIB fin 2021 à 101,0 % fin 2022. En effet, l’endettement brut des administrations publiques avait largement dépassé leur besoin de financement en 2020 et elles avaient accru leur trésorerie de près de 80 Md€. Elles n’y ont pas touché en 2021 mais elles ont prélevé 34 Md€ dans cette trésorerie en 2022.
La dette publique (brute) est portée à hauteur de 80 % par l’Etat dont l’endettement s’élevait à 2 360 Md€, soit 89,3 % du PIB, à la fin de 2022, après 2 228 Md€ et 89,1 % du PIB fin 2021. La dette des administrations de sécurité sociale (ASSO) était de 271 Md€, soit 10,3 % du PIB, fin 2022 après 275 Md€ (11,0 % du PIB) fin 2021. Celle des administrations publiques locales (APUL) était de 245 Md€ à la fin de 2022, comme à la fin de 2021, ce qui correspond à 9,3 % du PIB à la fin de 2022 après 9,8 % à la fin de 2021.
Source : Insee ; FIPECO
Les médias suivants ont mentionné cet article :
Le Nouvel Economiste
[1] Le montant des PO en euros, non encore publié par l’Insee, est estimé en multipliant le PIB par le taux de PO.
[2] La croissance des dépenses hors crédits d’impôts a également été de 4,0 % en valeur en 2022.