FIPECO le 02.06.2023
Les fiches de l’encyclopédie III) Programmation et pilotage des finances publiques
3) Les prévisions macroéconomiques
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Cette fiche a pour objet de présenter les prévisions macroéconomiques sur lesquelles s’appuient les lois de programmation des finances publiques, les programmes de stabilité et les lois de finances et de financement de la sécurité sociale, en particulier les prévisions de recettes qui y sont inscrites.
Elle décrit d’abord le dispositif institutionnel mis en place en France pour établir ces prévisions. Elle expose ensuite les principales caractéristiques des outils techniques utilisés avant de donner quelques indications sur la fiabilité de ces prévisions.
A) Le dispositif institutionnel
Les prévisions macroéconomiques associées aux lois financières et aux programmes de stabilité sont réalisées par la direction générale du trésor (DGT) du ministère des finances.
Traditionnellement, celle-ci procède chaque année à deux exercices complets de prévision, le premier en hiver en vue du programme de stabilité qui est adressé à la Commission européenne en avril et le deuxième en été en vue des projets de loi de finances et de financement et, éventuellement, du projet de loi de programmation qui sont transmis au Parlement en septembre. Des exercices plus sommaires peuvent permettre à tout moment de les actualiser en tant que de besoin en fonction des évolutions de la conjoncture, notamment en vue du dépôt d’un projet de loi de finances rectificative.
La direction générale du trésor établit en interne un « budget économique technique » qui est transmis au ministre. Il comprend notamment, pour chaque année sous revue, un compte prévisionnel de chacun des grands secteurs institutionnels de la comptabilité nationale : les ménages, les sociétés, les administrations publiques et le « reste du monde » qui regroupe les agents non-résidents et décrit leurs relations économiques avec la France.
Ce budget économique technique est éventuellement corrigé par le cabinet du ministre pour être transformé en un « compte normé ». Celui-ci est transmis aux autres directions du ministère chargées d’établir des prévisions de recettes publiques, ainsi qu’à la direction de la sécurité sociale, pour que celles-ci s’appuient sur ce cadrage économique commun.
Après arbitrage de leurs prévisions de recettes par le cabinet et prise en compte des dernières données conjoncturelles, la prévision macroéconomique officielle est transmise au Haut Conseil des finances publiques, quelques jours avant le conseil des ministres qui approuve le projet de loi de finances. Le Haut Conseil donne un avis motivé sur ces prévisions qui est publié et transmis au Parlement avec le projet de loi.
Ces prévisions sont aussi examinées par la Commission européenne dans le cadre des procédures instituées par le pacte de stabilité et de croissance.
B) Les outils de prévision
Les principales caractéristiques des outils de prévision utilisés par la DGT sont décrites dans un ouvrage publié en 2002 par N. Carnot et B. Tissot[1] et n’ont pas beaucoup changé depuis.
1) Les prévisions pour l’année en cours
Les prévisions macroéconomiques, comme les prévisions de finances publiques, pour l’année à venir et les années suivantes s’appuient sur des comptes prévisionnels pour l’année en cours. Ne sont ici traités que ceux établis en été en vue des projets de lois de finances et de financement ou de loi de programmation. Les comptes nationaux du premier trimestre ont alors déjà été publiés par l’Insee et il s’agit de prévoir ceux du deuxième trimestre, jusqu’à leur publication début août, et du deuxième semestre.
La DGT ne se contente pas, contrairement à beaucoup de prévisionnistes, d’estimer la croissance du PIB en utilisant les corrélations statistiques existant entre celle-ci et certaines des informations déjà connues sur la production et la consommation de la période écoulée ou certaines des réponses des ménages et entreprises aux enquêtes sur leurs intentions de consommation ou leurs perspectives de production pour les mois à venir.
Pour appuyer ses prévisions pour l’année suivante sur une prévision détaillée de l’année en cours, elle prévoit en fait non seulement le PIB mais aussi presque tous les éléments des comptes trimestriels de l’Insee : production, consommation, investissement… pour les cinq principales branches de l’économie.
Ces prévisions reposent sur les statistiques déjà disponibles (indices de la production industrielle, consommation de biens des ménages, chiffre d’affaires dans les services…) et sur les réponses à des enquêtes de conjoncture ainsi que sur les relations statistiques entre ces données et les divers postes des comptes trimestriels. Les méthodes appliquées sont décrites dans un document de travail de la DGT.
Ni les statistiques disponibles ni les réponses des chefs d’entreprise ou des ménages à ces enquêtes ne peuvent être directement utilisées pour prévoir les divers éléments des comptes trimestriels car le champ des statistiques disponibles est souvent différent de celui des comptes trimestriels et le rapprochement entre les réponses aux enquêtes et les évolutions effectivement constatées dans le passé montre que ces réponses sont souvent biaisées. Un « étalonnage » sur les données observées dans le passé permet de corriger en partie ces différences de champ et ces biais.
Ces statistiques et enquêtes ne permettent de prévoir qu’une partie des éléments des comptes trimestriels. Pour construire un budget économique complet et cohérent, au moins d’un point de vue comptable, les autres éléments sont obtenus en utilisant les relations qu’ils ont eu dans le passé avec ceux qui ont été prévus ou en extrapolant leur tendance des derniers mois connus.
Pour prévoir la « demande mondiale » adressée aux exportateurs français, en pratique estimée en faisant une moyenne des importations de nos partenaires, la DGT prévoit l’activité dans les autres pays en confrontant les prévisions de leur gouvernement et des institutions internationales aux siennes, qui sont réalisées avec des méthodes semblables à celles utilisées pour la France.
Enfin, certaines variables économiques particulièrement difficiles à prévoir, notamment le taux de change de l’euro par rapport aux autres monnaies et le prix du pétrole, sont fixées à leur dernier niveau connu.
Au total, la construction d’un budget prévisionnel complet au cours de l’été pour l’année en cours est un exercice beaucoup plus difficile qu’on ne l’imagine souvent. Les comptes nationaux provisoires pour l’année N-1 publiés par l’Insee en mai de l’année N sont d’ailleurs eux-mêmes fragiles alors qu’ils reposent sur des informations bien plus nombreuses. Il n’est en effet pas rare qu’ils soient fortement corrigés un an plus tard à l’occasion de la publication des comptes semi-définitifs, voire deux ans plus tard avec les comptes définitifs[2].
2) Les prévisions pour l’année suivante
Pour l’année suivante, la DGT utilise un modèle de l’économie française, appelé Opale, qui est un peu plus simple que le modèle Mésange présenté dans la fiche sur le multiplicateur mais présente les mêmes caractéristiques générales.
Comme pour les prévisions relatives à l’année en cours, la demande mondiale adressée aux entreprises françaises est prévue en confrontant les prévisions internes de la DGT à celles des autres gouvernements et, surtout, des institutions internationales. Si la DGT et ses homologues des autres pays peuvent utiliser des modèles de l’économie mondiale développés par des centres de recherche, les institutions internationales disposent de l’information la plus riche sur l’ensemble des pays et sont les mieux placées pour assurer la cohérence nécessaire entre les prévisions relatives à chacun d’eux. Certaines variables, comme les taux de change et le prix du pétrole, restent fixés à leur dernier niveau connu. En effet, les dernières études statistiques concernant ces variables montrent qu’il n’existe pas aujourd’hui de modèle de prévision fiable de celles-ci. Les mesures budgétaires sont prises en compte mais sont estimées hors modèle, comme l’ensemble du compte des administrations publiques.
Les budgets économiques ne peuvent pas être établis en reprenant simplement les résultats d’un modèle macroéconomique, notamment parce que la comparaison de ces résultats avec les évolutions constatées a posteriori montre toujours que certaines d’entre elles ont été mal anticipées. Le prévisionniste doit alors se demander si ces écarts sont exceptionnels et non reconductibles, ce qui l’autorise à se fier aux résultats du modèle pour les années suivantes, ou s’ils traduisent une modification durable des comportements, voire l’incapacité du modèle à prévoir certaines variables, ce qui l’oblige à en corriger les résultats ou bien à corriger le modèle lui-même. Cette correction ne peut souvent être opérée que sur la base d’informations incomplètes : si les agents économiques ont modifié leur comportement, le recul manque généralement pour modéliser les nouveaux comportements.
Enfin, les prévisions relatives à chaque variable économique sont ajustées pour s’inscrire dans un « scénario économique » crédible. Même si le scénario retenu s’éloigne des résultats du modèle, celui-ci reste utilisé pour assurer sa cohérence comptable.
Les prévisions ainsi établies, par la DGT comme par ses homologues et par les institutions internationales, présentent d’importantes fragilités. En particulier, elles intègrent mal les évolutions du système financier et leurs interactions avec la « sphère réelle » (la production, la consommation, l’investissement…).
Ensuite, les modèles macroéconomiques utilisés tendent à faire converger l’économie vers un « sentier de croissance équilibré » où toutes les variables croissent à un rythme de croisière et sont très peu adaptés à la prévision des retournements de la conjoncture, ce qui n’est d’ailleurs pas sans lien avec une insuffisante prise en compte de la « sphère financière » d’où proviennent souvent les « chocs » déséquilibrants.
3) Les prévisions à un horizon dépassant l’année suivante
Les prévisions économiques à un horizon dépassant la prochaine année, sur lesquelles sont construits les lois de programmation des finances publiques et les programmes de stabilité, sont élaborées avec des outils encore plus fragiles.
Elles reposent d’abord sur une estimation de la « croissance potentielle » de l’économie à moyen terme. Celle-ci est définie comme la croissance du PIB qui serait observée en l’absence de fluctuations conjoncturelles ou comme la croissance des facteurs de production (capital et travail) disponibles majorée de l’impact du progrès technique. La croissance annuelle moyenne du PIB sur un cycle est en principe égale à la croissance potentielle. La fiche consacrée à la croissance potentielle montre l’intérêt de cette notion mais aussi les difficultés rencontrées pour l’estimer.
Pour prévoir quelle sera la croissance dans les prochaines années, il est également nécessaire de situer à quel point du cycle se trouve l’économie, ce qui revient à estimer « l’écart de production » entre le PIB effectif et le « PIB potentiel ». Ce dernier correspond à une pleine utilisation des facteurs de production sans tensions sur les prix et salaires et serait constaté si la croissance avait toujours été égale à la croissance potentielle.
Si l’écart de production est négatif (le PIB effectif étant inférieur à son potentiel), les prévisionnistes considèrent que le PIB effectif va progressivement rejoindre le PIB potentiel puis le dépasser et fluctuer autour de lui. Si l’écart de production est positif, une évolution symétrique est prévue. Les évolutions des autres variables économiques (consommation, investissement…) sont calées sur celles du PIB avec parfois des décalages (par exemple, l’investissement évolue comme le PIB mais avec retard).
Il est tout aussi difficile d’estimer l’écart de production que la croissance potentielle. La difficulté est ensuite d’évaluer le temps nécessaire pour que le PIB effectif rejoigne le PIB potentiel. L’observation des cycles passés pouvait y aider jusqu’à 2008, mais l’ampleur de la crise de 2008-2009 a été telle que de nouvelles références doivent encore être trouvées. Le rythme de convergence vers le PIB potentiel qui est retenu en prévision est intrinsèquement assez conventionnel.
Lecture : la prévision est réalisée l’année 0, où l’écart de production est négatif et correspond à 2 % du PIB potentiel. La croissance potentielle est de 1,5 % par an et la croissance prévue du PIB effectif permet de ramener l’écart de production à zéro entre les années 2et 3 puis de lui donner une valeur positive et enfin de le ramener de nouveau à zéro l’année 8.
C) La fiabilité des prévisions
Les prévisions économiques associées aux projets de lois de finances ne se limitent pas au taux de croissance du PIB en volume, mais portent sur un grand nombre de variables (l’emploi, la consommation des ménages…) dont certaines sont utilisées pour prévoir l’évolution des recettes publiques (la TVA dépend notamment de la consommation, les cotisations sociales de la masse salariale…). L’écart entre les taux de croissance du PIB prévu et constaté est néanmoins un indicateur synthétique pertinent de la qualité des prévisions.
Il est préférable de considérer la croissance du PIB en valeur car cela permet de prendre en compte la qualité des prévisions d’évolution des prix, qui sont tout aussi importantes que les prévisions d’évolution en volume pour faire des prévisions de finances publiques. Les recettes publiques dépendent en effet de la croissance en valeur et non en volume de la consommation ou de la masse salariale, par exemple.
Le graphique ci-joint permet de comparer la croissance du PIB en valeur telle que prévue dans le rapport économique annexé au projet de loi de finances initiale pour l’année considérée et celle qui figure dans les derniers comptes nationaux publiés par l’Insee. Il montre que la croissance du PIB en valeur a été nettement surestimée au début des années deux mille, pendant la crise de 2008 et 2009, puis sur la période 2011-2014.
Source : projet de loi de finances pour l’année considérée et derniers comptes publiés par l’Insee ; FIPECO
En matière économique, la réalité observée n’est jamais conforme aux prévisions. La qualité de ces dernières dépend fortement des informations disponibles au moment où elles sont élaborées et ne peut être appréciée que par rapport aux résultats obtenus par d’autres organismes. Dans son rapport d’activité de juillet 2015, le Haut Conseil des finances publiques a comparé les prévisions de croissance du gouvernement à celles du « groupe technique de la commission économique de la Nation » qui réunit la plupart des prévisionnistes français au moment du dépôt du projet de loi de finances. Il apparaît que, sur la période 2006 à 2014, la moyenne des prévisions des membres de ce groupe technique a toujours été inférieure à celle du gouvernement, sauf en 2010, et presque toujours plus proche de la croissance finalement constatée par l’Insee.
Il existait donc un biais optimiste des prévisions macroéconomiques du gouvernement dans le passé, que le Haut Conseil des finances publiques a vocation à limiter. Il semble avoir contribué à cette amélioration des prévisions, celles-ci étant plus proches de la croissance finalement constatée sur la période 2014-2019.
En 2020, tous les prévisionnistes ont été surpris par la crise sanitaire et la chute du PIB qui s’en est suivie. Les prévisions du ministère des finances pour 2021 et 2022 ont en revanche été très proches de la croissance constatée.
[1] « La prévision économique », N. Carnot et B. Tissot ; Economica ; 2002.
[2] Par exemple, le projet de loi de finances pour 2014 tablait sur une croissance du PIB en volume de 0,1 % en 2013. Elle a été estimée par l’Insee à 0,3 % en mai 2014 lors de la publication des comptes provisoires et a été corrigée à 0,7 % en mai 2015 avec les comptes semi-définitifs puis à 0,6 % en mai 2016 avec les comptes définitifs.