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FIPECO le 13.05.2017

Les notes d’analyse                                                            IV) Les prélèvements obligatoires

6) Que peut-on attendre d’une TVA sociale ?

François ECALLE

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La « TVA sociale » est une fraction de la TVA affectée au financement des dépenses de sécurité sociale en substitution de cotisations sociales patronales[1]. Elle existe déjà puisqu’environ 12 Md€ de recettes de TVA sont affectées (en 2016) à la sécurité sociale sur un total de 154 Md€.

Il s’agirait donc de poursuivre cette évolution en s’inspirant de l’exemple des autres pays où, en général, la part des cotisations sociales patronales dans le total des prélèvements obligatoires est plus faible qu’en France et celle de la TVA plus importante. Certains d’entre eux, comme le Danemark dès 1987 ou l’Allemagne en 2007, ont en effet remplacé à certaines périodes des cotisations sociales par la TVA.

Une telle réforme pourrait contribuer à une clarification souhaitable du financement de la protection sociale et avoir des effets favorables sur l’activité et l’emploi, sous certaines conditions.

Les enjeux financiers peuvent être appréhendés en notant qu’une réduction de 1 point du taux des cotisations sociales des employeurs du secteur marchand non agricole entraîne une perte de recettes de 5,5 Md€ pour le régime général de sécurité sociale. Une hausse de 1 point de tous les taux de TVA rapportant environ 10 Md€, il faudrait affecter 0,55 point de TVA sur tous les produits taxés pour compenser la baisse d’un point des cotisations.

Toutefois, cette TVA serait payée à hauteur de 1,5 Md€ par des administrations publiques (les collectivités locales, pour lesquelles elle est remboursée par l’Etat, les établissements publics…). Pour que l’opération soit neutre pour les finances publiques, les taux de TVA devraient donc être relevés de presque 0,7 point.

A)   Une clarification du financement de la protection sociale

Ce redéploiement des prélèvements obligatoires pourrait accompagner une rectification de la frontière entre les domaines respectifs des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale, comme indiqué dans une autre note d’analyse.

La protection sociale recouvre deux types de prestations : les premières (vieillesse, chômage) remplacent, dans une logique d’assurance, des revenus d’activité qui ne peuvent plus être perçus ; les deuxièmes (maladie, famille) permettent, dans une logique de solidarité, à tous les citoyens d’accéder à des services en fonction de leurs besoins.

Dans une logique d’assurance, dite également « contributive », les prestations doivent être financées par des prélèvements sur les revenus d’activités qu’elles remplacent, ce qui est la caractéristique principale des cotisations sociales. Dans une logique de solidarité, ou « non contributive », les prestations doivent être financées par des prélèvements sur l’ensemble des revenus, comme la CSG, ou payés par l’ensemble des ménages, comme la TVA.

Cette distinction a d’importantes conséquences économiques, comme le rappelle une note du conseil d’analyse économique. Si les actifs considèrent que les cotisations prélevées aujourd’hui sur les revenus de leur travail leur donnent l’assurance de revenus de remplacement futurs en cas de perte de leur travail, ils peuvent accepter plus facilement aujourd’hui une perte de leur pouvoir d’achat ; étant considérées comme un « salaire différé », les cotisations sociales, qu’elles soient « salariales » ou « patronales », accroissent alors relativement peu le coût du travail pour les employeurs.

En revanche, les actifs acceptent plus difficilement que les revenus de leur travail soient amputés pour financer des prestations universelles, qui ne leur sont donc pas particulièrement destinées. La pression exercée par les prélèvements obligatoires à la hausse sur le coût du travail est alors plus forte.

Par ailleurs, les régimes de retraite fonctionnent en principe en France par répartition, ce qui signifie que les pensions versées aux retraités d’aujourd’hui doivent être financées par les cotisations des actifs d’aujourd’hui. En contrepartie, ces actifs doivent être assurés de recevoir à leur retraite une pension en rapport avec leurs cotisations. L’équilibre des régimes par répartition est brouillé et le « lien social » qu’ils créent entre les générations est distendu si les cotisations financent trop d’éléments de solidarité et si les prestations sont financées par des impôts ou des subventions d’équilibre de l’Etat qui sont elles-mêmes financées par l’impôt.

A l’origine, la sécurité sociale a été conçue en France sur un modèle d’assurance. Les prestations étaient financées par des cotisations sociales dont elles dépendaient fortement. Les prestations de l’assurance maladie et les prestations familiales ont ensuite été rendues universelles, dans une logique de solidarité. Le financement de l’assurance maladie a été en partie adapté avec la création de la CSG en substitution des cotisations sociales salariales, mais pas totalement puisque les cotisations patronales ont été maintenues. Le financement des prestations familiales n’a pas été réformé.

En outre, de multiples dispositions ont introduit des éléments de solidarité dans tous les régimes : revenus de remplacement minima, majoration des prestations en fonction de la situation familiale, de l’existence de handicaps….

Une clarification a été opérée s’agissant de l’assurance chômage : « l’allocation d’aide au retour à l’emploi » qui relève de l’assurance est versée par l’Unedic et financée par les cotisations alors que « l’allocation de solidarité spécifique » est versée par l’Etat et financée par l’impôt. Enfin, le financement des allocations de logement a été récemment transféré de la sécurité sociale à l’Etat.

Il reste que les prestations familiales et les dépenses d’assurance maladie sont encore financées par des cotisations sociales, surtout patronales, pour une grande partie, que les cotisations de retraite financent des dépenses de solidarité et que les pensions des régimes de base sont en partie financées par des impôts ou des subventions d’équilibre de l’Etat.

Il faut donc poursuivre cette clarification. Toutes les prestations sociales relevant d’une logique de solidarité devraient être financées par l’impôt et donc par l’Etat dans le cadre des lois de finance. Cela concerne les prestations familiales, dans la continuité du transfert des allocations de logement, et les dépenses d’assurance maladie. Les cotisations sociales affectées aux branches famille et maladie, qui sont surtout patronales, devraient donc être remplacées par des impôts : la TVA et la CSG mais aussi l’impôt sur le revenu compte-tenu de la masse de cotisations en jeu (environ 6 points de PIB).

B)   Un impact favorable sur l’activité et l’emploi sous certaines conditions

1)    Les effets favorables attendus

Une baisse du taux des cotisations sociales patronales se traduit par une diminution des coûts de production qui, à taux de marge inchangé, permet aux entreprises de réduire leurs prix de vente et d’améliorer leur « compétitivité prix » vis-à-vis de leurs concurrents étrangers, aussi bien sur les marchés internationaux que sur le marché domestique (cf. fiche sur finances publiques et échanges extérieurs).

La hausse de la TVA touche de la même façon les biens et services produits en France et ceux qui sont importés de l’étranger (environ un tiers des recettes de TVA est prélevé sur les biens et services importés), dont les prix augmentent donc identiquement, à taux de marge inchangés. En revanche, les exportations sont exonérées de TVA et sa hausse ne les affecte donc pas.

La TVA sociale permet donc d’améliorer la compétitivité prix des entreprises françaises, grâce à la baisse des cotisations patronales, sans dégrader les finances publiques, la baisse des cotisations étant financée par une hausse de la TVA qui est elle-même neutre au regard de la compétitivité par rapport aux autres pays.

Avec une telle réforme, le prix des produits exportés par la France diminue sur les marchés extérieurs, le prix des produits importés en France augmente et le prix des produits français ne varie pas, la baisse des cotisations étant compensée par la hausse de la TVA : c’est exactement ce qui résulte de la dévaluation d’une monnaie. C’est pourquoi, les économistes parlent à propos de la TVA sociale de « dévaluation interne » ou de « dévaluation fiscale ». Ayant les mêmes caractéristiques économiques qu’une dévaluation monétaire au sens habituel, elle peut s’y substituer dans les pays, comme ceux de la zone euro, qui partagent leur monnaie avec d’autres et ne peuvent pas en fixer seuls le taux de change.

L’amélioration de la compétitivité prix qui en résulte stimule le volume des exportations et ralentit celui des importations. On peut donc en attendre une hausse de la production nationale et de l’emploi. En outre, si l’augmentation des exportations et la diminution des importations, en volume, sont suffisamment forts, au regard de la baisse du prix des exportations et de la hausse du prix des importations, on peut également en attendre une amélioration du solde en valeur de la balance commerciale.

Cependant, toutes les dévaluations n’ont pas des effets aussi favorables, tout au moins dans la durée, car leur succès repose sur plusieurs conditions qui ne sont pas toujours respectées.

2)    Les risques

La hausse des prix des importations entraîne une hausse des prix à la consommation, parce que les produits importés sont directement consommés par les ménages ou parce qu’ils sont achetés par des entreprises qui en répercutent le coût sur leurs prix de vente.

Cette hausse des prix à la consommation entraîne une augmentation des salaires, soit parce qu’ils sont indexés de droit (le SMIC), soit parce qu’ils le sont de fait (les salaires au voisinage du SMIC) et donc une augmentation des coûts et des prix de vente des entreprises, ce qui majore de nouveau les prix à la consommation etc.

Dans une économie où tous les revenus sont indexés et où les entreprises répercutent toute hausse de leurs coûts dans leurs prix, l’amélioration de la compétitivité prix permise par la dévaluation est finalement annulée à la fin de ce processus. A long terme, la dévaluation, monétaire ou fiscale, n’a aucun impact sur l’activité et l’emploi.

Le risque est alors que les acteurs économiques anticipent une inflation durablement plus élevée et que ces anticipations se réalisent. Dans ce cas, les échanges extérieurs se dégradent de nouveau, la production et l’emploi diminuent par rapport à ce qui se serait passé s’il n’y avait pas eu de dévaluation.

Le fait que l’inflation soit trop faible actuellement dans la plupart des pays, y compris en France, ne conduit pas à remettre en cause cette analyse. Si elle est plus forte dans un seul pays, sa compétitivité se dégrade et l’activité finit par y diminuer.

3)    Les conditions de succès

Pour que les gains de compétitivité prix permis initialement par la dévaluation se maintiennent dans la durée, il faut que la hausse des prix à la consommation ne soit pas totalement répercutée dans les salaires ou que la hausse des salaires ne soit pas totalement répercutée dans les prix.

La deuxième solution est à éviter car elle signifie que les marges des entreprises diminuent, ce qui risque d’entraîner une dégradation de leur « compétitivité hors prix » du fait d’une baisse de leurs investissements, notamment en recherche et développement de produits nouveaux.

Il faut donc que le « salaire réel » par tête, c’est-à-dire le pouvoir d’achat des salariés, diminue, tout au moins ne croisse que très peu[2]. Dans ces conditions, l’emploi peut augmenter et, si sa croissance est assez forte, la masse salariale globale peut aussi s’accroître.

Cette modération du salaire réel est nécessaire, mais seulement à court et moyen terme. Une fois que l’équilibre des échanges extérieurs est rétabli et que la production et l’emploi dépassent leurs niveaux « potentiels », les salaires réels peuvent repartir à la hausse. A long terme, cette hausse des salaires réels est nécessaire pour permettre une augmentation de l’offre de travail et de la production potentielle.

Enfin, une dévaluation, monétaire ou fiscale, ne peut réussir que si les autres pays ne font pas la même chose. Si de nombreux pays procèdent à de telles dévaluations, le seul résultat est un accroissement de l’incertitude engendrée par les fluctuations des taux de change qui est préjudiciable à l’activité et à l’emploi. C’est pourquoi, au niveau mondial, le FMI a reçu pour mission de contrôler, autant que possible, les évolutions des taux de change et, au niveau européen, les pays de la zone euro ont décidé de fixer définitivement les taux de change entre leurs monnaies en créant une monnaie commune.

4)    Les résultats des études empiriques

Le rapport de décembre 2015 du conseil des prélèvements obligatoires sur la TVA présente les résultats des principales évaluations de la TVA sociale.

Les résultats obtenus sont très sensibles au comportement de marge des entreprises, aux élasticités des exportations et importations à leurs prix ainsi qu’aux réactions des autres pays. Ils dépendent également des modalités de la baisse des cotisations patronales : l’impact sur l’emploi est sensiblement plus important si elle est ciblée sur les bas salaires.

Il ressort de ces évaluations que la TVA sociale a un impact positif, mais relativement faible, sur le PIB, l’emploi et les échanges extérieurs. En particulier, une réduction de 1 Md€ de cotisations sociales patronales sur l’ensemble des salaires financée par une augmentation de 1 Md€ de la TVA entraînerait une création de 3 000 à 6 000 emplois au bout de 5 ans.

Le tableau suivant donne les résultats obtenus au bout de 5 ans avec le modèle Mésange de l’Insee et de la direction générale du trésor pour une baisse non ciblée des cotisations patronales de 1 point de PIB (22 Md€) financée par une hausse de même montant de la TVA, en supposant que les autres pays ne réagissent pas. Dans ce modèle, les salaires nominaux sont assez peu indexés sur l’inflation et la TVA sociale est donc efficace en termes d’activité et d’emploi, au détriment des salaires réels.

L’impact d’une TVA sociale de 1 point de PIB au bout de 5 ans

 

PIB (%)

0,2

Emploi salarié

200 000

Exportations en volume (%)

0,6

Importations en volume

- 0,2

Prix à la consommation (%)

0,2

Salaire réel (%)

- 0,9

Source : modèle Mésange (version de 2017), Insee et direction générale du trésor ; FIPECO.

C)    Conclusion

Poursuivre le basculement des cotisations patronales vers la TVA pourrait permettre de clarifier le financement des prestations sociales suivant qu’elles relèvent d’une logique de solidarité ou d’assurance, ce qui améliorerait à long terme le fonctionnement du marché du travail. Une telle réforme aurait un impact positif sur l’emploi à court et moyen terme, mais à condition d’obtenir une modération suffisante des évolutions de salaires malgré les effets inflationnistes créés. Une telle réforme est donc souhaitable, mais il ne faut pas en attendre des effets très importants sur l’activité et l’emploi.

Comme le montre la fiche de l’encyclopédie sur la TVA, le taux moyen de taxation des « emplois taxables » en France (14,8 % en 2013) est plus faible que dans les autres pays (17,9 % dans l’Union européenne). Cet écart de trois points résulte pour 1,0 point d’un taux normal plus bas (20,0 % contre 21,6 %), pour 1,3 point d’une plus forte proportion d’emplois taxables taxés à taux réduit et pour 0,8 point de taux réduits plus faibles en France.

 

[1] Cette expression désigne parfois, plus largement, la substitution de la TVA à des prélèvements sur les facteurs de production des entreprises (cotisations sociales mais aussi, par exemple, impôt sur les sociétés). La plupart des études et rapports sur ce sujet portent cependant sur la substitution de la TVA à des cotisations sociales patronales.

[2] Comme la dévaluation accroît la production et génère des gains de productivité, une légère hausse des salaires réels est envisageable au bout de quelques années.

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